Les convertis de France démunis face à la radicalisation
« Floriane, est-ce que tu penses que Virginie se radicalise ? ». Floriane a reçu cet appel de la mère de sa meilleure amie Virginie l’année dernière. Âgée de 34 ans, Virginie est une Française convertie à l’islam depuis maintenant seize ans. Elle a toujours su discuter avec sa famille de son choix religieux mais avec les derniers événements, les attentats de Charlie Hebdo et ceux du 13 novembre à Paris, la confusion devient facile, surtout pour une mère.
Après avoir rassuré sa mère à maintes reprises, Virginie s’amuse de cette anecdote qui témoigne pourtant d’une réalité : l’amalgame rapide entre convertis à l’islam et radicalisation.
Lauranne, une Bretonne de 25 ans convertie depuis trois ans, a plus de mal à supporter cette tension. « L’islam représente une paix intérieure pour moi mais les attentats m’ont brisée. On vous demande de prendre parti des deux côtés et je sens une pression à me revendiquer plus musulmane que française, ou l’inverse, alors que les deux ne sont pas contradictoires. »
Convertis, donc radicalisés
Depuis les attentats, les préjugés à l’encontre des convertis se sont amplifiés en France alors que seule une minorité d’entre eux se radicalise. Parmi les 2 000 musulmans « radicalisés » en France, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur datant du 9 février 2016, plus de la moitié seraient des convertis, d’après un rapport du député Sébastien Pietrasanta, qui affirme que « la conversion est un point de passage vers l’islam radical, qui offre aux yeux de certains jeunes l’attrait d’une aventure, basée sur les valeurs de l’islam ».
Le rapport ne fait toutefois pas la différence entre les convertis nés dans des familles non musulmanes et les Français de famille musulmane mais « reconvertis », qui opposent la religion de leur enfance à une lecture plus proche des textes et de la vérité, selon eux.
Le terme même de « converti » doit ainsi être entendu avec des nuances. D’après David Thomson, journaliste et auteur du livre Les Français djihadistes, « Tous les djihadistes se considèrent comme ‘’convertis’’ soit par un retour récent à la religion soit par une découverte totale. Pour beaucoup, il est aussi question d’une rédemption face à une vie passée dans la délinquance par exemple. »
Le phénomène de conversion à l’islam en France n’est pas nouveau, comme l’explique à Middle East Eye la sociologue du fait religieux Amélie Puzenat : « Ce phénomène social a pris de l’importance ces deux dernières décennies. Il est lié au phénomène migratoire et au fait que les enfants de migrants d’obédience musulmane ont grandi aux côtés d’enfants non-musulmans ».
« La conversion peut, dans certains cas, faire suite à une recherche spirituelle personnelle, à la lecture du Coran, mais généralement cette recherche survient plutôt après des discussions entretenues avec des personnes musulmanes, pratiquantes ou non », précise la spécialiste, qui poursuit : « Souvent, c’est donc le contact avec des personnes musulmanes, plus ou moins respectueuses des préceptes islamiques, qui va déclencher la démarche. Ces relations se nouent lors de voyages ou, plus souvent, dans des quartiers ‘’marginalisés’’ où l’on trouve une forte population d’origine maghrébine et sub-saharienne et où les jeunes s’identifient au groupe à travers l’islam. L’école, l’université et les associations sont également d’autres espaces importants de rencontre avec l’islam, via les relations amicales ou amoureuses entretenues ».
S’il n’y a pas de statistiques officielles sur le nombre de convertis à l’islam en France (le recueillement et l'enregistrement d’informations relatives aux origines ethniques ou à l'appartenance religieuses y étant interdits), les différentes études et livres écrits sur la question avancent le chiffre d’environ 100 0000 convertis pour environ 2 millions de musulmans dans le pays, avec environ 4 000 conversions chaque année selon Bernard Godard, ancien chargé de mission au service des cultes du ministère de l’Intérieur et auteur du livre La Question musulmane en France.
Selon le rapport Pietrasanta, on peut distinguer trois profils principaux de convertis à l’islam : « Il y a les conversions dans le but de se marier, les conversions à l’extrémisme, sans connaissance théologique, et les conversions à l’islam plus ‘’réflexives’’, avec une connaissance de la religion. » Une pluralité de profils individuels et d’origines sociales caractérise ainsi les convertis de France.
Ignorance et incompréhension
Vice-présidente de Baytouna, une association qui aide les femmes sans domicile fixe, Virginie a dû subir en outre la perquisition du logement de ses résidentes par les forces de l’ordre dans le cadre de l’état d’urgence instauré en novembre après les attentats de Paris. En plus des portes cassées et des remarques malvenues, elle rapporte les motifs flous présentés par la police : « On nous a dit qu’on était soupçonnées d’héberger des femmes dont les maris étaient en Syrie ».
Virginie décrit la scène avec animation, encore très agacée un mois après. Pour cette française élevée à Versailles dans une famille catholique, l’incompréhension face à l’islam en France empire de jour en jour, même si elle dit n’avoir jamais de problèmes au quotidien, dans les transports par exemple, malgré son voile. Elle refuse de se victimiser et n’hésite pas à parler de sa foi aussi bien à son entourage qu’à tous ceux qui lui posent des questions. « Le comportement des gens dépend aussi du nôtre, donc il faut rester ouvert », affirme-t-elle.
Jonathan Coullet, un jeune Niçois de 28 ans qui s’est converti à l’islam il y a cinq ans, a quant à lui perdu son emploi lorsque ses patrons ont découvert sa conversion. « La première question que l’on m’a posée était absurde : ‘’Est-ce que tu donnes de l’argent à des gens pour ta conversion ?’’ Ça montre bien le niveau d’ignorance », confie-t-il à MEE. Aujourd’hui, Jonathan fait partie des membres fondateurs de la Fédération des Musulmans du Sud, une association créée en 2014 qui œuvre aussi bien dans le domaine caritatif que dans la prévention contre la radicalisation.
Le risque de la radicalisation
Pour Jonathan comme pour d’autres musulmans, convertis ou non, tous ont un rôle à jouer pour contrer les idées reçues mais aussi prévenir la radicalisation. Jonathan admet en effet qu’il y a un risque de basculement chez certains, surtout dans les premiers temps de la conversion, à cause de plusieurs facteurs : la rupture familiale, la solitude et la méconnaissance du Coran, notamment.
« Les nouveaux convertis sont toujours plus malléables car ils changent de vie et donc, cherchent de nouveaux repères. Par exemple, quand j’ai commencé à fréquenter la mosquée à Nice, j’ai été approché par des groupes salafistes qui critiquaient ma façon de faire la prière ou m’indiquaient comment je devais me comporter avec les femmes. »
Pour Jonathan, le tri s’est fait grâce à des amis et des lectures fiables. Pour d’autres, le problème de l’encadrement et du suivi reste un enjeu de taille. Le fondateur d’une association qui vient en aide aux nouveaux convertis en banlieue parisienne se dit souvent témoin de situations dans lesquelles de jeunes convertis se sentent isolés, abandonnés. « Soixante pour cent des appels que je reçois commencent par ‘’je sens qu’Allah m’a abandonné’’ », dit-il à MEE sous couvert d’anonymat. « La société et les musulmans de longue date ne comprennent pas que les convertis font souvent un sacrifice énorme, vis-à-vis de leur famille, de leur cercle d’amis.
« D’un côté comme de l’autre, il y a des fautes et des maladresses souvent fatales : les parents qui rejettent leur enfant à cause de sa conversion, les fidèles de la mosquée qui se contentent de l’accueillir à bras ouverts mais ne le suivent pas réellement. » Depuis près d’un an, ce musulman de 23 ans, fils d’un imam, tente d’aider de jeunes convertis à travers la discussion, un encadrement religieux et, surtout, le retissage du lien avec les familles.
Car il en convient, en désirant bien faire, certains convertis sont parfois tentés par une pratique radicale de la religion : « Certains confondent notamment islam et arabité. Par exemple, il y a des convertis qui pensent qu’il faut changer de prénom afin de devenir ‘’plus arabe’’, alors que c’est totalement faux. Devenir musulman ne veut pas dire rejeter sa culture ou sa nationalité française », ajoute-t-il.
Pour la chercheuse Amélie Puzenat, qui a travaillé sur les convertis de 2006 à 2009, ce processus est lié au parcours personnel de l’individu et est bien antérieur à la naissance du groupe État islamique. « J’ai été amenée à rencontrer deux jeunes filles qui rejetaient de manière globale la société dans laquelle elles vivaient et projetaient de partir vivre dans un pays musulman afin de réaliser la hijra [migration en terre musulmane]. On notait chez elles une mise à distance qui se doublait d’une mise en accusation de la société environnante », explique-t-elle à MEE.
La complexité du terme « radical » et de son emploi prend donc toute son ampleur dans le cas des convertis, d’autant plus qu’une pratique « radicale », basée sur un retour aux supposées « racines » de l’islam, n’est pas synonyme de passage à l’acte terroriste ou de départ pour la Syrie. « Souvent, au tout début de la conversion, les convertis ont tendance à aller vers une conception rigoriste de la religion. Mais un converti qui aurait une approche rigoriste au départ ne la maintiendrait pas nécessairement par la suite, il peut évoluer dans sa compréhension de la religion », observe la sociologue.
Entrent ensuite en jeu Internet et les influences extérieures, comme pour Kilian, un jeune converti de 18 ans qui a débuté sa recherche spirituelle sur Youtube et Wikipédia. « Internet peut être un facteur de radicalisation car tout y est mélangé et il n’y a pas de véritables personnes référentes ». Ce travailleur social employé dans une association d’aide aux SDF ne s’est pour sa part pas contenté de ses trouvailles sur le web, préférant s’entretenir aussi avec des religieux.
Lauranne, elle, raconte avoir été approchée par un homme aux idées extrémistes : « C’était un employé d’une société de télécom qui venait changer ma box Internet. Quand il m’a vue avec mon voile, il a commencé à me dire d’une voix doucereuse que ma place était en Syrie et à tenir des propos très violents et en même temps très calculés ». Lauranne a pris peur et souhaite aujourd’hui aider les jeunes convertis à mieux comprendre la manipulation qui se cache derrière ce genre de discours. « Mais je ne sais pas trop vers qui me tourner pour aider ou du moins partager mon expérience en tant que convertie », déplore-t-elle.
Le manque de structures d’accompagnement
Peu de structures autres que la mosquée et quelques associations locales offrent en effet un accueil pour les nouveaux convertis. Pour Yassine Jabri, employé d’une association caritative américaine, il est nécessaire de sensibiliser davantage le grand public à l’islam. Il œuvre sur le terrain, dans la rue, en essayant de parler de l’islam aux passants. « Par exemple, nous menons des actions à la station de métro Châtelet [à Paris], où nous proposons d’expliquer ce qu’est le Coran et les bases de l’islam. Avec un petit stand et quelques documents, nous essayons de déconstruire les préjugés grâce à un échange direct. »
À la Fédération des Musulmans du Sud, à Nice, Jonathan et Feiza Ben Mohammed, porte-parole de l’association, essayent de lutter contre l’exclusion avant de parler de religion. « On essaye déjà de faire revenir ces jeunes dans une structure et de leur donner un rôle, comme la distribution de nourriture ou d’autres activités bénévoles. » Ensuite, pour les questions liées à la religion, certains sont redirigés vers un imam « bien implanté dans la vie locale et pas juste amené de l’étranger », précise Feiza à MEE, avant d’ajouter : « Il y a en effet un problème avec ces imams de l’ancienne génération qui n’ont pas vraiment grandi en France et qui ne sont pas en adéquation avec les problèmes de la jeunesse. »
Mais quand la personne ne veut rien entendre, difficile de trouver des solutions. « Nous avons eu le cas d’une jeune fille qui était en train de préparer son voyage en Syrie ; nous n’avons eu d’autre choix que de la signaler aux autorités », admet Feiza.
Si les actions de ces associations ont des limites, elles ont pour mérite d’essayer de traiter le problème en amont à l’heure où les pouvoirs publics misent sur la sanction, avec notamment le projet de déchéance de la nationalité française, ou sur des programmes de « dé-radicalisation » qui interviennent une fois que la personne est déjà partiellement radicalisée.
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