La guerre oubliée de Syrie : le massacre silencieux de Deir ez-Zor
Les civils de la province orientale assiégée de Deir ez-Zor sont face à une catastrophe humanitaire « bien pire que ce que le monde imagine » : ils sont confrontés non seulement au siège du groupe État islamique (EI), mais aussi à celui de l’armée syrienne et aux bombardements des avions de chasse des coalitions dirigées par la Russie et les États-Unis.
Omar Abu Lila, un journaliste qui gère le site d’informations Deir ezZor 24 depuis l’Allemagne, a indiqué mercredi à MEE que « la situation à Deir ez-Zor va de mal en pis et la couverture médiatique est inexistante. La Russie et le régime syrien continuent de bombarder des zones civiles densément peuplées de la ville et de la campagne qui l’entoure à l’est et à l’ouest. »
Malgré d’intenses bombardements au cours des dernières semaines, des activistes et des habitants disent que leur souffrance est éclipsée par d’autres événements : les troupes gouvernementales syriennes, assistée des bombardements russes, conduisent de lourdes frappes contre les forces rebelles à Alep et les forces kurdes avancent près de la frontière avec la Turquie. Les rapports de famine dans les zones assiégées de Madaya et Douma ont également fait la une des journaux.
« La situation humanitaire [à Deir ez-Zor] est bien pire que ce que le monde imagine », a déclaré Abu Lila, ajoutant que les habitants n’ont pas assez d’argent pour acheter « ne serait-ce que les biens de première nécessité ».
« Le régime syrien distribue une aide aux familles à al-Joura et al-Qusur [des quartiers de l’est qui sont contrôlés par le gouvernement], mais c’est loin d’être suffisant », a déclaré Abu Lila.
On estime que 200 000 personnes à Deir ez-Zor subissent un « double siège », selon l’organisation The Syria Campaign, le gouvernement refusant aux organisations humanitaires l’accès à des zones à l’intérieur de la ville, tandis que l’EI contrôle les zones autour de la ville.
Jalal, un membre de Justice for Life, une ONG basée à Deir ez-Zor, aurait rapporté à The Syria Campaign que la situation devenait désespérée.
« Nous ne savons pas si l’aide finira par nous parvenir », a déclaré Jalal. « Et c’est toujours insuffisant. »
Selon les rapports, c’est déjà la famine : les enfants seraient en train de mourir de faim ou n’auraient plus que la « peau sur les os ».
Abul Qasim, un commerçant qui a été interviewé à la frontière syrienne après avoir supposément fui la ville, a déclaré que l’hôpital local était « rempli d’enfants souffrant de la faim ».
« Tous les enfants subissant le siège de Deir ez-Zor souffrent de malnutrition. Beaucoup ont la diarrhée, souffrent de malabsorption et d’autres maladies dues à la faim », a-t-il ajouté.
La violence et la présence de l’EI dans la région a conduit à la création d’un groupe militant qui se fait appeler Deir ez-Zor is Being Slaughtered Silently, d’après le nom d’un groupe mis en place à Raqqa, la capitale de facto de l’EI, et qui recense les abus et les crimes commis par les membres de l’EI.
Traduction : Le prix d’une miche de pain à al-Jour et al-Qusur atteint 100 livres syriennes aujourd’hui. La plupart des boulangeries ont cessé de travailler – il n’y en a plus qu’une seule en fonctionnement et elle a été affectée à la cuisson du pain pour les forces d’Assad
Traduction : Campagne à l’est de Deir ez-Zor : l’État islamique procède à une vague d’arrestations dans le village d’al-Jineina, emprisonnant un certain nombre de civils soupçonnés de contrebande de nourriture dans les quartiers assiégés.
Deir ez-Zor : une poudrière
Deir ez-Zor, une zone stratégique riche en pétrole, a changé de mains plusieurs fois au cours de la guerre syrienne. Le groupe EI en contrôle de nombreuses zones depuis plus d’un an, mais subit depuis des mois les attaques d’une armée syrienne résurgente qui opère depuis un aéroport militaire à proximité et tente désespérément de conserver l’une de ses seules prises à l’est.
L’EI a mené une offensive majeure sur la ville de Deir ez-Zor le 16 janvier, enlevant au moins 400 civils, tuant au moins 120 soldats du gouvernement et prenant des territoires.
Jusqu’à présent, selon Abu Lila, l’EI a réussi à garder le contrôle de zones saisies en janvier dans la campagne à l’est de Deir ez-Zor et Bogeleyyah et dans les régions avoisinantes, mais les Russes semblent s’impliquer davantage.
Dans les semaines qui ont suivi l’attaque, plusieurs séries de frappes aériennes russes auraient ciblé différentes zones de la province alors que le gouvernement syrien cherche à reprendre la zone conquise.
Lundi, plus de 100 combattants de Daech auraient été tués dans des attaques de l’armée syrienne dans la province, selon ARA News, une agence axée sur les informations relatives à la Syrie et aux Kurdes.
Au cours des derniers jours, des tracts ont été largués depuis les avions de la coalition dirigée par les États-Unis à al-Bukamal, une ville dans l’est de la province de Deir ez-Zor, avertissant les habitants de rester loin des zones où les militants de l’EI se rassemblent.
« Les forces de la coalition ne visent pas les civils. Les forces de la coalition ne visent que l’EI. Ne vous rassemblez pas dans les lieux où est basé l’EI pour votre sécurité », indique un tract, qui circulait sur Twitter et que MEE n’a pas pu vérifier de manière indépendante.
Les États-Unis ont signalé avoir mené deux attaques à Deir ez-Zor le 17 février, lesquelles ont créé des « cratères sur une route » utilisée par l’EI.
Abu Lila, le journaliste originaire de Deir ez-Zor, a confié à MEE que, bien que les forces de la coalition aient tenté de cibler les zones de l’EI, elles ont eu du mal à faire la distinction entre les sites de l’EI et les civils.
« Il est très difficile de faire la différence entre les combattants de l’EI et les civils. Les frappes aériennes de la coalition visent bien les sites de l’EI, mais ces sites ont souvent été totalement évacués par les combattants de Daech. Les combattants sont pour la plupart maintenant répartis dans les zones civiles. »
De nombreux habitants d’al-Bukamal auraient fui auparavant des attaques sur d’autres zones comme Alep, à quelque 400 kilomètres au nord-est.
Mardi, l’ONU a annoncé que le gouvernement syrien avait accepté l’accès des travailleurs humanitaires à Deir ez-Zor, mais mercredi on ne savait pas clairement si les convois étaient immédiatement partis pour la ville située à plus de 200 km de Damas.
« On nous dit que, la semaine prochaine, le Croissant-Rouge arabe distribuera l’aide qu’ils ont reçue la semaine dernière », d’après les propos attribués à Jalal de Justice for Life.
Ali, un autre habitant de Deir ez-Zor qui aurait parlé à The Syria Campaign, a déclaré que les Russes parachutaient de l’aide dans les zones favorables au gouvernement.
« Les paniers de nourriture que nous avons reçus ne sont qu’une goutte dans l’océan », aurait-il dit. « Il est préférable de livrer par camions plutôt que par les airs parce que l’aide tombe uniquement aux mains du régime. »
Mercredi, les Russes se sont également engagés à parachuter quotidiennement des denrées alimentaires dans la région, selon les médias syriens officiels.
Cependant, on craint vivement que cela ne se révèle un peu trop tardif.
Abu Zufrian, un habitant, a déclaré au Daily Mail que les gens mangeaient des herbes, des racines et des animaux domestiques pour rester en vie.
Un autre habitant, Abdullah, un étudiant de 28 ans qui était encore à l’intérieur de la ville, a dit que beaucoup de gens priaient pour mourir parce qu’ils ne pouvaient pas regarder leurs enfants avoir faim.
« Ceci est le pire moment de ma vie, vivre sous ce siège », a-t-il confié à MailOnline. « La frustration ronge notre corps autant que la faim. »
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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