Rester dans l’Europe est préférable pour la Grande-Bretagne – et le Moyen-Orient
Le 23 juin 2016, le Royaume-Uni demandera au public britannique s’il souhaite rester ou non dans l’Union européenne (UE).
Ce n’est pas la bonne question, étant donné que l’appartenance à l’UE renforce une position désavantageuse pour le Royaume-Uni selon les Eurosceptiques. La question devrait être : « L’Europe a-t-elle besoin du Royaume-Uni ? ».
Cette question englobe les avantages économiques et sécuritaires de tous les pays européens dans l’union du marché unique.
À ce jour, aucun argument économique valide, étayé par des faits et des chiffres, n’a été formulé par les partisans de l’exit.
Les exportations actuelles du Royaume-Uni vers l’UE équivalent à 187 milliards de livres sterling par an, rendant environ trois millions d’emplois dépendants de l’UE. Ces revenus des exportations pourraient s’élever à 277 milliards de livres sterling d’ici à 2030 et les marchés européens du transport, de l’énergie et des services numériques combinés aux accords commerciaux mondiaux pourraient ajouter 58 milliards de livre sterling par an, ce qui augmenterait le PIB de 2,8 %.
Cette augmentation du PIB pourrait engendrer 300 000 emplois supplémentaires d’ici à 2020, et 790 000 de plus d’ici à 2030, selon une étude, « The Impact of the UK Being in the Single Market », réalisée par le Centre for Economic and Business Research.
L’actuelle sécurité de l’emploi et la croissance potentielle du nombre d’emplois ne peuvent être remplacés du jour au lendemain par des accords commerciaux avec d’autres nations. Il n’y a aucune justification politique ou économique à cela. En outre, ni le Royaume-Uni ni l’UE n’a de plan B économique cohérent pour faire face à la désintégration partielle ou totale de l’Union européenne.
L’argumentaire des sceptiques en faveur de la sortie de l’Europe s’est jusqu’à présent axé entièrement sur la nostalgie. Ces émotions sont complètement hors sujet. La souveraineté est exploitée à tort pour porter atteinte aux intérêts et à la sécurité nationale du Royaume-Uni et de l’UE.
Aujourd’hui, le Royaume-Uni fait face à des défis différents de ceux auxquels il a été confronté durant les guerres mondiales du siècle passé. Le terrorisme et les jeunes gens se tournant vers al-Qaïda et le groupe État islamique comptent parmi les défis les plus pressants de ce siècle.
La progression de ces menaces a été causée par les conséquences de l’intervention militaire américaine en Irak, en Libye et actuellement en Syrie. L’afflux de réfugiés en provenance d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, entre autres défis, peut uniquement être traité avec succès de façon collective, et avec le Royaume-Uni comme membre intégral de l’Europe.
Dans ce contexte, il semble opportun d’inventer l’expression de « relation spéciale du Royaume-Uni avec l’Europe ».
Les conflits du XXe siècle ont conduit le Royaume-Uni à entretenir une relation spéciale avec les États-Unis – une relation centrée sur une histoire et des valeurs partagées ainsi que des racines ancestrales et religieuses communes, et qui après deux guerres mondiales est devenue la pierre angulaire de la politique étrangère britannique.
Or cette relation est fondamentalement faillible, et ne sert plus autant les intérêts du Royaume-Uni que par le passé. La crédibilité politique du Royaume-Uni continue d’être affectée par l’étiquette de « caniche de Washington » dont il est affublé dans les cercles du pouvoir à travers le monde.
Partant, si le Royaume-Uni réaffirme ses références européennes, il gagnera un peu plus d’indépendance d’esprit et une plus grande disposition à « jouer sa politique » comme membre de l’Europe.
Depuis l’effondrement de l’Union soviétique, la seule politique étrangère visible du Royaume-Uni a été de soutenir l’action américaine à l’étranger. Au Moyen-Orient en particulier, les États-Unis continuent de déstabiliser la région à coup d’interventionnisme et de changement de régime afin de réaliser leur objectif de création d’un « Nouvel ordre mondial », qui participe lui-même d’un projet de « nouveau siècle américain ».
En plus de porter préjudice aux intérêts et à la sécurité nationale des pays arabes, la politique étrangère américaine a laissé le Moyen-Orient dans une position de faiblesse, divisé le long de lignes sectaires et confronté au risque de perdre son identité arabe. Elle a aussi créé une plateforme de diabolisation incessante de l’islam et d’association de cette foi au terrorisme. Dans tout cela, le Royaume-Uni a été un complice et partenaire inconditionnel.
Bien que le Royaume-Uni puisse bénéficier d’un accès privilégié aux renseignements et aux armes des États-Unis, c’est un privilège qui lui a certainement beaucoup coûté en matière d’indépendance dans la formulation de sa politique étrangère et de défense.
De nombreuses personnes suspectent le Royaume-Uni d’avoir échoué dans la poursuite efficace de ses propres intérêts en raison de son allégeance aux États-Unis. En adhérant aux politiques américaines à travers le monde, il a délaissé ses vieux amis et anciennes relations.
Par conséquent, à un moment donné, le Royaume-Uni devra réévaluer le coût du maintien d’une telle relation. Il doit y avoir un pallier au-delà duquel le Royaume-Uni ne peut plus continuer à sacrifier son intérêt national pour cette relation spéciale.
Le choix deviendra plus difficile quand une option alternative d’être européens offrira les mêmes attraits politiques et économiques.
Ce statu quo est confirmé au Moyen-Orient, où le Royaume-Uni a, dans sa soumission sans réserve aux États-Unis, sacrifié ses avantages commerciaux et diplomatiques avec des pays comme la Libye, l’Iran, l’Irak, le Soudan et l’Afghanistan. Le Royaume-Uni n’est pas en guerre avec ces pays, et aucun n’a de différend avec le Royaume-Uni. Cependant, son soutien à la politique étrangère américaine continue d’ajouter un vernis de prestige à l’intervention américaine.
Ainsi, il n’est pas irréaliste de présumer qu’à un moment ou à un autre, les intérêts américains deviendront incompatibles avec ceux des Britanniques.
Dans l’environnement politique mondial actuel, le seul argument raisonnable en faveur de la protection des intérêts et de la sécurité nationale du Royaume-Uni est que l’Europe a besoin du Royaume-Uni autant que celui-ci a besoin de l’Europe. À un moment où l’Europe fait face à des difficultés politiques et économiques extrêmes, l’idée que l’une des économies les plus florissantes de l’UE quitte l’union sera jugée comme déshonorante sur le plan politique et désastreuse sur le plan économique pour toutes les parties concernées.
Libéré de son engagement moral à soutenir aveuglement la politique étrangère américaine, le Royaume-Uni dans l’Europe aura l’opportunité de promouvoir une politique commune de stabilité politique et commerciale, basée sur l’échange d’énergie en contrepartie de l’approvisionnement en technologies, et ce pour le bénéfice mutuel de l’Europe et de ses voisins du Moyen-Orient.
Les avantages politiques et économiques certains du maintien du Royaume-Uni au sein de l’UE garantissent également que les fantaisistes messianiques croisés ne seront plus jamais en mesure de semer la mort et la destruction chez des personnes innocentes au nom du peuple britannique.
- Burhan al-Chalabi, membre de la Royal Society of Arts, est l'ancien président de la Fondation britannique irakienne, et l'éditeur du London Magazine.
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Photo : une partisane du « Brexit » sourit lors d’un rassemblement public à Londres le 19 février 2016 (AFP).
Traduction de l’anglais (original).
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