Molenbeek : « bastion » des combattants belges ou banlieue multiculturelle ?
BRUXELLES – À la suite des attentats meurtriers du mardi 22 mars, Bruxelles vit sur les nerfs. Les habitants ont afflué sur la place de la Bourse dans le centre-ville pour manifester leur solidarité avec les 31 victimes et avec les blessés – plus de 270. Certains ont déposé des fleurs, d’autres ont rédigé des messages de paix et d’amour, mais les dissensions couvent et on redoute de plus en plus que les gens se mettent à chercher des boucs émissaires.
« Je suis ici pour montrer que tous les musulmans ne sont pas les mêmes », a déclaré Dina, 11 ans, citoyenne belge d’origine marocaine, qui est venue sur la place pour allumer une bougie à la mémoire des défunts.
Elle a affirmé qu’il est plus important que jamais pour les Belges de toutes origines de s’unir et de manifester leur solidarité.
« Je suis très triste que ça soit arrivé. D’abord je n’ai pas pu croire que cela se produisait. Pas dans mon propre pays. Ou dans ma propre ville », a-t-elle dit à Middle East Eye.
« En plus, ces terroristes sont musulmans, et maintenant certaines personnes croient que tous les Marocains soutiennent les terroristes, et ce n’est pas vrai. Je leur suis opposée autant que n’importe qui. Et je suis ici pour montrer que nous sommes plus forts que les terroristes. »
L’État islamique a revendiqué les attentats du 22 mars qui ont touché d’abord le principal aéroport de la ville vers 8 heures heure locale, puis une station de métro très fréquentée à l’heure de pointe. Deux des suspects avaient la nationalité belge, tandis qu’un troisième était résident de longue date.
La Belgique abrite près de 700 000 musulmans qui représentent environ 6,5 % de la population. D’après les services de renseignement belges, au moins 500 citoyens belges se sont rendus en Syrie pour rejoindre le groupe extrémiste, ce qui représente plus proportionnellement que pour aucun autre pays d’Europe.
Le fils de Yasmine en fait partie. Depuis les attentats de mardi, elle déclare qu’elle a encore plus peur et qu’elle veut se cacher du monde entier.
Elle affirme qu’elle a peur que les gens la tiennent pour responsable de ce qui est arrivé et qu’ils la surveillent bien qu’elle n’ait eu aucune nouvelle de son fils depuis son départ.
« Chaque fois qu’il se produit un attentat dans le monde, j’ai peur qu’il ne soit impliqué », dit-elle en buvant un café dans un bistrot situé à quelques mètres à peine de la place centrale.
« Les gens me jugent parce que mon fils a pris la décision de partir pour la Syrie », constate-t-elle. « Mais je ne sais même pas ce qu’il fait là-bas. Je ne sais même pas s’il est encore vivant. Tout ce que je peux espérer, c’est qu’il ne fera jamais quelque chose d’aussi inhumain. »
Yasmine a perdu des amis depuis que son fils est parti et elle a aussi perdu sa confiance en elle. Comme la plupart des mères de ceux qui ont choisi de partir en Syrie et en Irak, Yasmine se sent incomprise et isolée.
« Ils ont honte de me fréquenter », dit-elle. « Les gens croient souvent que je suis une radicale et que je suis solidaire de ceux qui commettent ces crimes, ou bien ils pensent que mes autres enfants auront une mauvaise influence sur leurs enfants. »
La lutte pour Molenbeek
Le quartier ouvrier de Molenbeek, où vivent beaucoup d’immigrants et de Belges d’origine étrangère, se trouve à dix minutes à peine de la place.
Molenbeek est devenu célèbre en novembre dernier après que les autorités ont établi des liens précis entre certains de ses habitants et les attentats de Paris qui ont tué 130 personnes, et organisé une série de rafles dans le quartier.
Plus récemment ce mois-ci, Molenbeek a fait de nouveau l’actualité quand la police a blessé et capturé Salah Abdeslam, un autre suspect des attentats de Paris, après une fusillade prolongée. Quelques jours plus tard, les explosions meurtrières secouaient la capitale.
Le Premier ministre belge Malcolm Turnbull a répondu en mettant en cause « la véritable catastrophe générée par une intégration ratée ou négligée, les combattants étrangers revenant d’Irak ou de Syrie, les frontières poreuses et des dispositifs de renseignement et de sécurité qui peinent à ne pas se laisser dépasser par la portée et l’ampleur de la menace ».
Depuis, l’ambiance à Molenbeek est morose. La principale rue commerçante – où d’ordinaire les magasins exhibent fièrement leurs marchandises sur le trottoir – est presque vide. Les magasins ne sont pas fermés, mais c’est tout comme.
« Pour nous, c’est comme une claque en pleine figure », a déclaré Mohamed Shenawi, un commerçant de 32 ans.
« Il y a quatre mois, nous avons été envahis par les caméras du monde entier », a-t-il poursuivi. Pendant une période, une très courte période, elles semblaient être parties. Mais maintenant elles sont toutes de retour. Proclamant que Molenbeek est le bastion des terroristes européens. »
Pour le moment, il y a peu d’espoir d’un retour à la normale. Les rafles continuent ; les autorités sont en état d’alerte maximum et se sont juré de nettoyer le quartier.
« Quand je dis aux gens que j’habite à Molenbeek, ils me demandent si je n’ai pas peur, ou bien ils ne disent rien et je réalise qu’ils ont eux-mêmes peur, de moi, parce que je suis de Molenbeek », constate Nadia, 43 ans, une mère de deux enfants qui habite depuis longtemps dans le quartier.
« Ce qui s’est passé est horrible, nous le condamnons tous. Une poignée d’individus a empoisonné notre ville. Molenbeek n’est pas un ghetto. C’est un bon quartier. Et on ne devrait pas le considérer comme un lieu de perdition sous prétexte qu’un groupe de gens d’ici ont choisi une très mauvaise voie. »
Le maire de Molenbeek, Françoise Schepmans, a tenté de riposter, encourageant à la solidarité et invitant le Premier ministre à visiter le quartier pour ressentir sa vitalité et son esprit communautaire.
« Nous avons les mêmes valeurs qu’en Australie ou aux États-Unis, nous voulons la liberté, la modernité et l’égalité entre les hommes et les femmes, et nous devons nous battre ensemble pour ces valeurs », a-t-elle affirmé.
Mais pour beaucoup, la peur de la stigmatisation subsiste.
« Nous voulons simplement qu’on nous laisse tranquilles, parce que nous avons aussi un traumatisme à surmonter », a conclu Mohamed Shenawi, le commerçant.
Traduction de l’anglais (original) par Maït Foulkes.
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