EXCLUSIF : L’Iran demande au Hezbollah de s’attaquer à l’Arabie saoudite
Middle East Eye est en mesure de révéler que la branche militaire du mouvement libanais Hezbollah a reçu de l’Iran des instructions l’enjoignant de suspendre ses opérations contre Israël pour s’en prendre à la place à l’Arabie saoudite.
Ces instructions interviennent dans un contexte de colère dans tout le Hezbollah suite à l’assassinat de Mustafa Badreddine, commandant militaire du mouvement en Syrie et responsable de sa branche armée. Le Hezbollah a accusé des forces « takfiries » soutenues par Riyad d’être responsables de cet assassinat.
Selon des sources bien informées présentes au Liban, l’ordre a été transmis en personne par Qasem Soleimani, commandant de la Force al-Qods des Gardiens de la révolution islamique (GRI), qui était venu à Beyrouth présenter ses condoléances.
Qasem Soleimani a également nommé le successeur de Mustafa Badreddine ainsi que ses deux adjoints, ce qui semble être une démarche sans précédent dans l’histoire des relations entre l’Iran et le mouvement libanais. D’après les conclusions de MEE, les précédentes nominations s’étaient faites de manière interne au Hezbollah, en concertation avec l’Iran.
Le remplaçant de Mustafa Badreddine est Fouad Choukr, dont le nom de guerre est al-Hajj Mohsen, nous ont confié nos sources.
Âgé de 55 ans et originaire du village d’al-Nabi Sheeth, situé dans la plaine de la Bekaa, Fouad Choukr provient du groupe restreint des fondateurs du Hezbollah, qui comprend également Imad Moughniyah, Mustafa Badreddine et Mustafa Sahadah.
Tandis que ses prédécesseurs étaient issus de la branche du renseignement et de la sécurité de cette organisation, Fouad Choukr est devenu célèbre par ses activités militaires en tant que responsable des opérations contre Israël, qui comprennent notamment la capture de soldats israéliens.
Diplômé de l’Université Imam Hossein de Téhéran, Fouad Choukr a la réputation d’avoir reçu une bonne formation. Qasem Soleimani a non seulement nommé le nouveau responsable de la branche militaire du Hezbollah, mais également ses deux adjoints, ont confié des sources à MEE. Ces deux adjoints sont Ibrahim Aqil, également connu sous le nom d’al-Hajj Tahsin mais dont le pseudonyme actuel est al-Hajj Abdul Khader, et Talal Hamieh.
La nomination de Fouad Choukr intervient alors que de précédents articles parus dans le journal saoudien Asharq al-Awsat avaient laissé entendre que c’est le neveu de Mustafa Badreddine, Mustafa Moughniyeh, qui allait être nommé pour prendre sa suite.
MEE en déduit que ces informations étaient inexactes.
L’ordre donné par l’Iran au Hezbollah et le fait qu’il soit allé jusqu’à nommer directement le successeur de Mustafa Badreddine confirment l’importance de sa mort pour l’Iran, mort dont les circonstances font toujours l’objet de discussions. Survenu près de l’aéroport de Damas, ce décès avait d’abord été imputé à une opération secrète israélienne, ce qui a finalement été contredit par une déclaration officielle du Hezbollah.
Cette déclaration était la suivante : « L’enquête a prouvé que l’explosion, qui avait pour cible l’une de nos bases située à proximité de l’aéroport international de Damas et qui a conduit à la mort en martyr de Mustafa Badreddine, était le résultat d’un bombardement d’artillerie effectué par les groupes [militants sunnites] takfiris présents dans la région. »
Cependant, les sites les plus proches abritant l’artillerie de groupes adverses se situent à 20 kilomètres de là, et certains émettent des doutes quant au fait que leurs obus aient pu frapper si précisément depuis un point si éloigné.
Les paroles scandées par les membres du Hezbollah lors de l’enterrement de Mustafa Badreddine sont peu équivoques sur le fait qu’ils tiennent l’Arabie saoudite pour responsable de la mort de leur chef militaire.
Depuis que l’Arabie saoudite a rompu toute relation diplomatique suite à l’assaut qui a visé son ambassade à Téhéran en réaction à l’exécution du cheikh Nimr al-Nimr, un dirigeant chiite, les relations entre ces puissances rivales de la région se sont effondrées.
Le signe le plus récent de cette dégradation des relations fut l’échec d’un accord sur des dispositions devant permettre aux pèlerins iraniens d’effectuer le hadj cette année.
L’échec de ces quatre jours de négociations entre les deux camps le mois dernier a conduit à des déclarations d’accusations mutuelles, ce qui implique que les pèlerins iraniens vont très probablement manquer les cérémonies de cette année.
L’Iran a affirmé que ses ressortissants ne participeraient pas au hadj et a reproché cette situation à l’Arabie saoudite. Le hadj de l’an dernier a été terni par la mort d’au moins 769 pèlerins, dont une grande partie d’Iraniens, lors d’une bousculade à Mina, à proximité de La Mecque.
Selon les sources de MEE, l’instruction donnée par l’Iran au Hezbollah est celle de lancer des actions contre l’Arabie saoudite avant le début du hadj en septembre. Fouad Choukr a pour tâche de coordonner des actions militaires en partenariat avec un groupe paramilitaire chiite irakien, Asaïb Ahl al-Haq, et un groupe chiite du Bahreïn, Saraya al-Moukhtar.
Des agents du Hezbollah ont déjà été employés dans le Golfe par le passé. Alors membre du parti islamique Dawa, Mustafa Badreddine avait été arrêté en compagnie de dix-sept de ses camarades après les attentats à la voiture piégée de 1983 contre les ambassades de France et des États-Unis à Koweït. En 1985, on avait également rapporté l’implication de Mustafa Badreddine dans une tentative d’assassinat de l’émir du Koweït, qui s’était soldée par un échec.
Ahmed Ibrahim al-Moughassil, membre saoudien chiite de la branche saoudienne du Hezbollah à qui l’on a imputé l’organisation de l’attentat contre la base militaire américaine de Khobar en 1996, a été capturé l’an dernier après une traque ayant duré vingt ans. Le Hezbollah saoudien, aussi connu sous le nom de Hezbollah al-Hejaz, est une organisation proche du Hezbollah libanais et des Gardiens de la révolution islamique.
Traduit de l’anglais (original) par Mathieu Vigouroux.
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