L’effet « coup d’État » : ce que l’avenir réserve à la détente israélo-turque
Le coup d’État manqué en Turquie et les événements qui ont suivi ont un effet important sur les relations israélo-turques, notamment en gelant complètement le processus de réconciliation entre les deux pays.
Le gouvernement turc cherche désormais à renforcer son emprise sur la société en persécutant et en purgeant l’armée, les services de renseignement et pratiquement toutes les autres structures sécuritaires et civiles de l’État de ses ennemis réels ou imaginaires.
À l’extérieur, le président Recep Tayyip Erdoğan est préoccupé par l’intensification de sa guerre contre les Kurdes et le rafistolage de ses relations avec Poutine. Son attention limitée exclut Israël.
« Rien ne se passe sur notre front, que ce soit en bien ou en mal », m’a expliqué une source haut placée au ministère israélien des Affaires étrangères.
« Au moins, nous ne sommes plus descendus par Erdoğan comme il avait l’habitude de le faire. Et contrairement à l’accusation portée par les médias sous contrôle turc contre les États-Unis et l’UE, Israël n’est pas accusé d’avoir pris part au complot et participé à la révolte. »
Selon la source, « les relations sont suspendues et l’accord n’est pas mis en œuvre, mais d’autre part, nous continuons de recevoir des messages d’Ankara indiquant que rien n’a changé et qu’ils sont déterminés à parvenir à un accord ».
Le Parlement turc doit procéder à un vote sur l’accord avant le congé d’été plus tard ce mois-ci, a déclaré le ministre des Affaires étrangères ce jeudi, mais il reste à deviner ce que l’avenir réserve.
L’après-Mavi Marmara
Plus de six ans après la détérioration des relations entre les deux pays causée par les incidents tragiques du Mavi Marmara, les représentants des deux gouvernements ont signé un accord de réconciliation fin juin 2016 dans un hôtel de Rome.
Le Mavi Marmara était un bateau turc qui transportait des activistes pour la « paix » turcs et internationaux qui souhaitaient briser le siège israélien et atteindre Gaza. Le navire a été acheté en 2010 par l’IHH, une ONG turque agissant en tant qu’organisation caritative dans plus de 115 pays.
Toutefois, selon des sources des services de renseignement israéliens, l’IHH passait en contrebande des armes au nom de groupes terroristes et entretenait des liens avec al-Qaïda. En 2010, le Département d’État américain a fait part de sa grande préoccupation face aux liens du groupe avec de hauts responsables du Hamas.
En mai 2010, alors qu’il naviguait dans les eaux internationales en direction de Gaza, le bateau a été arrêté par la marine israélienne.
Pour Israël, la plupart des passagers étaient des terroristes ou tout au moins des éléments perturbateurs équipés de clubs de golf, de chaînes et de battes de baseball qui venaient semer le trouble, et non des travailleurs humanitaires. Les affrontements ont entraîné la mort de neuf citoyens turcs et l’humiliation d’un des meilleurs commandos d’Israël, la 13e flottille.
Les besoins turcs
L’accord de réconciliation contient des volets diplomatiques, économiques et sécuritaires. La clause la plus ennuyeuse du côté israélien concerne le versement de 20 millions de dollars aux familles des victimes turques.
Uniquement à titre de comparaison, Israël a versé à contrecœur une somme relativement plus faible aux familles des victimes de l’USS Liberty, un navire espion de la NSA américaine qui a navigué à proximité des côtes de la péninsule du Sinaï lors de la guerre de 1967. L’Armée de l’Air israélienne a pris le Liberty pour un navire ennemi et l’a attaqué, tuant 34 membres d’équipage.
Cependant, la Turquie avait beaucoup plus besoin de l’accord qu’Israël.
Les politiques étrangères et sécuritaires d’Erdoğan ont complètement échoué depuis que la guerre civile sanglante en Syrie a commencé, il y a plus de cinq ans. Erdoğan a annoncé que sa politique s’articulerait autour d’une intention de causer « zéro » trouble avec ses voisins. C’est exactement le contraire qui a caractérisé sa politique : la Turquie s’est retrouvée empêtrée dans des différends avec le régime de Bachar al-Assad en Syrie, mais aussi avec la Russie, l’Iran, l’État islamique et les Kurdes à l’intérieur du pays et en Syrie.
Les exigences israéliennes
Le nouvel accord comporte ainsi des éléments positifs et des avantages pour Israël.
La Turquie a plié face à la pression israélienne et accepté de fermer un bureau établi par les brigades Izz al-Din al-Qassam, la branche militaire du Hamas. Depuis ce bureau situé à Istanbul, ainsi que des responsables des services de renseignement israéliens l’ont révélé ultérieurement dans un document d’information, des membres du Hamas avaient émis des ordres, envoyé de l’argent et déployé des agents terroristes en Cisjordanie occupée contre Israël et l’Autorité palestinienne.
En 2015, le Service de sécurité intérieure israélien (également connu sous le nom de Shin Bet) a déjoué quelques tentatives de ce genre, dont la plus importante il y a presque un an, lorsque des dizaines de membres du Hamas ont été arrêtés et des caches d’armes ont été trouvées.
Les ordres ont été donnés par Saleh al-Aruri en personne, le commandant du Hamas basé en Turquie qui a bénéficié de la protection personnelle d’Hakan Fidan, le chef de l’Organisation nationale turque du renseignement (MIT).
Causant le tourment de Fidan, Erdoğan a donné l’ordre d’expulser Aruri il y a déjà quelques mois. Fidan n’aime pas Israël. Au cours des six dernières années, il a essayé d’éviter de rencontrer ses homologues du Mossad. Il a rarement rencontré Tamir Pardo, l’ancien directeur du Mossad, et son successeur, Yossi Cohen, et a réduit au minimum les liens entre les deux organismes.
Le Mossad a soupçonné Fidan d’être pro-iranien, tandis que des sources des services de renseignement américains l’ont accusé d’informer l’Iran au sujet d’un réseau d’espionnage israélien opérant sur le sol iranien. Des citoyens iraniens ont par conséquent été arrêtés.
Parmi les succès importants du gouvernement israélien figure également la non-levée du siège de Gaza. Contrairement aux revendications et forfanteries d’Erdoğan, l’aide humanitaire turque pour Gaza sera envoyée via le port israélien d’Ashdod.
L’aide y sera inspectée pour veiller à ce que cette dernière soit uniquement de nature humanitaire – nourriture, médicaments, jouets – et transportée par des camions israéliens, comme toutes les fournitures acheminées vers Gaza. Une cargaison de ce type a été envoyée par la Turquie après l’accord de Rome et quelques jours avant la rébellion militaire.
D’autres avantages sécuritaires pour Israël ont été ignorés ou à peine signalés. Le Parlement turc va par exemple adopter des lois interdisant toute poursuite contre des officiers et des responsables israéliens impliqués dans l’incident du Marmara dans les tribunaux turcs. Au cours des dernières années, quelques tribunaux turcs ont émis des mandats contre des officiers de haut rang israéliens.
La Turquie a également promis de ne pas s’opposer à l’intégration d’Israël dans les événements de l’OTAN et dans d’autres forums internationaux.
Les liens historiques en matière de renseignement
Les liens spéciaux entre les deux pays en matière de sécurité et de renseignement sont nés dans la seconde moitié des années 1950. Encouragés par les États-Unis et le Royaume-Uni, les services de renseignement israéliens (Mossad), iraniens (Savak) et turcs (MIT) créèrent un organe consultatif tripartite connu sous le nom d’alliance Trident.
Les chefs des trois services de renseignement se réunissaient chaque année et échangeaient des informations sur des ennemis communs : l’Égypte, la Syrie et l’Irak. Les relations attinrent leur apogée dans les années 1950, et l’implication de l’Iran prit fin après la révolution connue par le pays en 1979. Le partage de renseignements israélo-turc continua à travers la première décennie du XXIe siècle, avec un pic au milieu des années 2000, et se termina lorsqu’Erdoğan s’en éloigna.
La Turquie devint un marché important d’une valeur de plusieurs millions de dollars pour les produits militaires et de sécurité israéliens. Les sociétés de sécurité israéliennes vendaient des drones, des équipements de renseignement et actualisaient des avions de combat et des chars pour l’armée turque.
La Turquie fournit également à Israël des informations qu’elle avait obtenues sur la Syrie, l’Irak et, dans une certaine mesure, l’Iran, à l’aide de ses espions et de ses postes d’écoute construits par les États-Unis. En échange, la Turquie demanda et obtint des informations récoltées par les services de renseignement israéliens sur les organisations kurdes, en particulier le PKK.
Les responsables du Mossad rencontraient régulièrement leurs collègues du MIT, à Ankara, Istanbul ou Tel Aviv. Au cours de certaines de ces séances, les hauts responsables du MIT en charge de la surveillance du PKK se sentaient même à l’aise et assez proches pour demander à leurs homologues israéliens s’ils seraient prêts à les aider à assassiner des terroristes kurdes. Les Israéliens écoutaient poliment, ne formulaient généralement aucun commentaire et ignoraient les requêtes.
Tout cela a pris fin lorsque le premier ministre turc Erdoğan, aujourd’hui président, a changé le cours et l’orientation de la politique étrangère turque.
Il est clair pour les responsables de la sécurité israélienne que lorsque le nouvel accord sera mis en œuvre, l’âge d’or d’une coopération rapprochée et même intime entre Israël et la Turquie en matière d’armée et de renseignement ne reviendra pas.
- Yossi Melman est un commentateur spécialiste de la sécurité et du renseignement israéliens. Il est co-auteur de Spies Against Armageddon.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des journalistes et des reporters se rassemblent dans le port d’Ashdod, dans le sud d’Israël, à l’occasion de l’arrivée du Lady Leyla, un navire d’aide humanitaire envoyé depuis la Turquie vers la bande de Gaza, le 3 juillet 2016 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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