Pourquoi des soldats iraniens combattent en Syrie
TÉHÉRAN – Sayed Mohammad Hosseini est assis, pensif, sur un banc de métal à côté des tombes de dizaines d’Iraniens qui, comme lui, ont servi en Syrie.
Il explique qu’il est tireur d’élite, actuellement en permission d’un mois, en position dans la ville d’Alep, dans le nord de la Syrie.
Toutefois, il n’est pas du genre à essayer d’oublier la guerre pendant son absence du front.
« Je viens ici tous les vendredis pendant ma permission et je repars à Alep dans une semaine », a-t-il expliqué tandis que nous bavardions dans la fraîcheur d’un bosquet dans le vaste cimetière Behesht-e Zahra, à environ 24 kilomètres au sud de la capitale iranienne.
Ce cimetière contient des milliers de tombes d’hommes tués dans la guerre contre l’Iran déclenchée par le dirigeant irakien de l’époque, Saddam Hussein, en 1980.
Ils sont désormais rejoints par un nombre croissant de volontaires qui sont allés en Irak ou en Syrie au cours des quatre dernières années et y sont tombés en « martyrs », terme utilisé par les Iraniens de toutes tendances politiques pour décrire leur mort.
Il n’existe pas de bilan officiel des victimes iraniennes – mais des analystes étrangers estiment qu’elles s’élèvent à environ 400, y compris plusieurs officiers de haut rang.
Le fait que les troupes iraniennes se battent en Irak et en Syrie a d’abord été censuré dans les médias iraniens, mais cette discrétion a été abandonnée lorsque le groupe État islamique a avancé à travers une grande partie de l’Irak en 2014.
Kayhan Barzegar, directeur de l’Institute for Middle East Strategic Studies, a déclaré à Middle East Eye : « Les autorités sont convaincues que le public iranien soutient la présence de l’Iran en Irak et en Syrie pour défendre la sécurité nationale et prévenir les tentatives de l’État islamique de traverser les frontières iraniennes ».
Des drapeaux jaune vif se mêlent aux pierres tombales de « martyrs » adolescents
Désormais sur les réseaux sociaux, des photos et selfies montrent régulièrement des volontaires dans des poses de combat en Irak et en Syrie. Dans le cimetière Behesht-e Zahra, une rangée de drapeaux jaune vif se dresse ostensiblement devant une ligne de tombes bordant l’une des allées principales.
Un des drapeaux porte une broderie au nom d’al-Fatemiyoun, une brigade qui sert depuis plusieurs années en Syrie.
Une rangée de fourmis noires court le long d’une petite tombe en pierre noire couverte de pétales de rose séchés et d’un glaïeul fané. Une photo d’un jeune homme se tenant devant la coupole d’une grande mosquée est gravée sur une plinthe à l’avant de la tombe.
L’inscription sur la dalle qui recouvre sa dépouille porte son nom : Mohammad Hossein Akbari, 17 ans. Une autre ligne indique : « Défenseur du sanctuaire de Zeinab », un lieu de pèlerinage international dans le sud de Damas où, selon les chiites, Zeinab, la petite-fille du prophète Mohammed, est enterrée. (Les musulmans sunnites croient qu’elle est enterrée au Caire).
D’autres pierres tombales comportent une inscription indiquant : « Lieu de martyre » et proclamant sans vergogne « Syrie ».
Les visages sur plusieurs tombes, des adolescents pour la plupart, ont les traits d’Asie centrale caractéristiques des Hazaras, une minorité chiite qui forme environ 10 % de la population afghane. Des dizaines de milliers de personnes ont demandé l’asile en Iran ces vingt dernières années depuis que les talibans ont pris le pouvoir et que leur pays d’origine a disparu dans la guerre civile et l’intervention étrangère qui s’est ensuivie.
Beaucoup gagnent leur vie en Iran en tant que travailleurs faiblement rémunérés dans la construction : certains ont été tentés par la citoyenneté offerte aux volontaires pour combattre en Irak et en Syrie.
« Je pense que la guerre va durer encore longtemps »
Hosseini explique qu’il a servi dix-huit mois en Syrie, d’abord dans la bataille contre les positions rebelles à Daraya, une banlieue de Damas qui est assiégée par le gouvernement depuis plus de deux ans, et maintenant à Alep. Cette ville divisée a été réduite en ruines par quatre années de combats acharnés, qui se sont intensifiés au cours des quinze derniers jours.
La plupart de la zone orientale de la ville est sous le contrôle des rebelles. La semaine dernière, une initiative de l’armée syrienne et des forces iraniennes qui visait à les encercler et les presser à se rendre, menée avec l’appui des frappes aériennes russes, a échoué lorsque les rebelles ont envoyé des centaines de renforts.
Hosseini ne prévoyait aucune percée imminente. Je lui ai demandé si le gouvernement syrien avait une chance de reconquérir toute la ville. « Cinquante-cinquante », a-t-il répondu laconiquement. « Je pense que la guerre va durer encore longtemps. »
Il a accusé l’Arabie saoudite d’avoir accru l’approvisionnement en armes des forces rebelles, mais a également accusé les États-Unis de faciliter les livraisons d’armes.
Hosseini a affirmé que le récent changement d’image du Front al-Nosra, filiale d’al-Qaïda en Syrie, en tant qu’organisation indépendante appelée Jaish al-Fateh al-Sham (armée pour la conquête du Levant) ne signifiait pas un changement d’idéologie.
Il a déclaré que le groupe soutenu par les Américains, Ahrar al-Sham (Hommes libres du Levant), était lié à Jaish al-Fateh al-Sham et ne pouvait pas être décrit comme modéré. « Ils décapitent aussi des gens. »
Le seul signe d’optimisme qu’il a détecté était un changement dans la politique de la Turquie. La récente réconciliation du président Recep Tayyip Erdoğan avec le président russe Vladimir Poutine et leur engagement à lutter contre le terrorisme ensemble pourrait se traduire par de plus grands efforts pour stopper les livraisons d’armes aux combattants rebelles d’Alep via la frontière turque, a-t-il estimé.
« La guerre en Irak et en Syrie est une guerre sainte »
Alireza Moradi, 29 ans, employé dans une entreprise privée, accompagne Hosseini au cimetière. Il est tout aussi pessimiste quant aux progrès de la guerre syrienne.
Comme son ami, il ne montre rien de l’optimisme pompeux que les troupes et les ex-soldats se sentent souvent tenus d’exprimer dans leurs rencontres avec les médias. Il a passé trois mois dans la ville irakienne de Samarra, le site d’un autre sanctuaire chiite, et un mois à Alep. Moradi a également servi à Damas pendant sept mois en tant que volontaire pour le Basij, une force paramilitaire subordonnée à la Garde révolutionnaire iranienne, explique-t-il. Il a été démobilisé début 2014.
« Je pense que la guerre en Syrie durera encore au moins vingt ans », a-t-il estimé. « Avez-vous entendu parler du Front al-Nosra ? Certains de leurs militants et commandants sont originaires de Tchétchénie. Ils sont bien équipés et expérimentés après avoir handicapé les Russes en Tchétchénie pendant vingt ans. Il est très difficile de les combattre. »
Cependant, Moradi ne doute pas que, sans l’aide de volontaires iraniens, l’armée syrienne soufrerait grandement. « Les volontaires sont plus efficaces que l’armée syrienne. L’armée syrienne a connu un grand nombre de catastrophes au sein de leurs familles. Ils sont confus », a-t-il affirmé, laissant clairement entendre que de nombreuses familles syriennes sont divisés concernant leur loyauté envers Assad.
Désignant les tombes des martyrs afghans, il poursuit : « Ils y vont avec rien, hormis une Kalachnikov et 45 jours de formation militaire. C’est l’assistance divine et l’aide invisible qui les guident. »
Lorsque j’ai demandé si on devrait dire à ces jeunes volontaires inexpérimentés de ne pas y aller, il a répondu : « Je dois clarifier quelque chose. Certaines personnes pensent que les Afghans se portent volontaires pour partir en échange d’argent ou de la citoyenneté. C’est un mensonge éhonté. Ils croient en leur religion. Vouloir la défendre n’est pas une question d’âge. Ils ne demandent qu’à être envoyés en Syrie et ils y vont avec enthousiasme. La guerre en Irak et en Syrie est une guerre sainte. Daech [l’État islamique] tue les chrétiens comme les musulmans, les sunnites comme les chiites. »
Moradi pense que la guerre est stimulée « en coulisses » par les fabricants d’armes et les compagnies pétrolières, ainsi que par plusieurs gouvernements étrangers.
« Je ne dirais pas qu’Israël, que nous ne considérons pas comme un pays parce qu’il occupe la Palestine, dirige la guerre. Mais il est dans son intérêt que les combats continuent et que sunnites et chiites soient en conflit et par conséquent restent faibles. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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