Un Algérien chrétien condamné à trois ans de prison ferme pour « atteinte à l'islam »
« Il a été interpellé, présenté au juge, et incarcéré le jour même. Le tout en l’espace de six heures, sans aucun avocat. Il n’y a pas eu de procès équitable ». Contacté par Middle East Eye, Saïd Salhi, vice-président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH) en est persuadé : « La justice, qui est une justice aux ordres, a voulu faire de Slimane Bouhafs un exemple ».
Mardi, cet Algérien de 49 ans, converti au christianisme, ex-policier, a été condamné à trois ans de prison ferme par la cour de Sétif (la ville d’où il est originaire, dans l’est de l’Algérie) pour « atteinte à l’islam et au prophète Mohammed ».
À l’origine de l’affaire : une publication sur Facebook dans laquelle il explique que le Prophète Mohammed « a perdu d’avance » face au Christ « qui incarne la paix et la vérité ».
Interpellé par le service de cybercriminalité de la gendarmerie le 31 juillet dernier, il a été condamné une première fois le 7 août à une peine de cinq ans de prison ferme et à une amende de 100 000 dinars (800 euros) pour « outrage au Prophète et dénigrement des principes et préceptes de l’islam ».
À ce moment-là, ses avocats ont fait appel et demandé l’annulation de la peine « au nom de la liberté d’expression et de culte », précise encore Saïd Salhi. « Car Slimane Bouhafs n’a fait qu’exprimer une opinion personnelle. »
« C’est la raison pour laquelle nous demandons l’abrogation de l’article 144 bis 2 du code pénal qui traite les questions d’offense à la religion et aux symboles de l’État et ouvre la voie à toutes les interprétations et à tous les abus », explique-t-il à MEE.
En mars dernier, c’est une jeune femme de 34 ans, habitant à Tlemcen (à l’ouest du pays), qui l’a appris à ses dépens. Zoulikha Belarbi avait partagé sur les réseaux sociaux un montage photo montrant le président Bouteflika et son frère Saïd entouré par un harem d’hommes et de femmes politiques pro-pouvoir. Elle a été condamnée à 100 000 dinars d’amende.
« Des cas comme ceux de Bouhafs ou Belarbi, il y en a beaucoup d’autres ! », assure Saïd Salhi. « De nombreux Algériens de confession musulmane mais de rite ahmadi et même des chiites font l’objet de poursuites. »
De religion, il en a aussi été question en août, lors de la publication du dernier rapport du département d’État américain sur la liberté de culte en Algérie. Aux critiques formulées sur les pratiques du gouvernement à l’égard des non-musulmans, le ministère des Affaires religieuses Mohamed Aïssa a rétorqué que « l’Algérie n’avait pas besoin de tierce partie pour la juger » et celui des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, a conclu à « une incompréhension de [notre] culture nationale ».
Dans un communiqué, Amnesty International rappelle que « la Constitution algérienne garantit la liberté de religion mais fait de l’islam la religion d’État. Des dispositions vagues figurant dans le code pénal et l’ordonnance 06-03 fixant les conditions et règles d'exercice des cultes autres que musulmans, une loi adoptée en 2006, ont été utilisées pour persécuter des personnes pour l’exercice pacifique de leur droit à la liberté d'expression, de religion et de conviction ».
Human Rights Watch (HRW) a appelé les autorités à « relâcher immédiatement Bouhafs » et à arrêter les poursuites en cas d'expression pacifique de points de vue religieux, politiques ou autres.
Le prochain cas médiatisé sera probablement celui de Mohamed Tamalt. Ce journaliste, ressortissant algéro-britannique, est incarcéré depuis le 27 juin. Au lendemain de son arrestation, le 27 juin, devant son domicile, il a comparu devant le ministère public à Alger.
Pour ses publications sur Facebook, dont une vidéo diffusée le 2 avril, présentant un poème subversif et des images du président Bouteflika, il a été condamné à deux ans de prison ferme et à une amende de 200 000 dinars (1 600 euros). Selon sa famille, il est aujourd’hui hospitalisé suite à une grève de la faim.
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