Le soutien israélien à une solution à deux États est basée sur le racisme
La semaine dernière, The Guardian a publié la critique par Nick Cohen d’un nouveau livre intitulé « The Left’s Problem with Jews » (Le problème de la gauche avec les juifs). La critique de Cohen était plutôt prévisible, et le livre lui-même, écrit par Dave Rich, membre de The Community Security Trust (association caritative britannique d’assistance à la communauté juive au Royaume-Uni) n’est pas l'objet de cette chronique.
Je souhaite plutôt attirer l’attention sur un court extrait de la critique de Cohen – très instructif, car très éclairant quant au débat actuel sur l’antisémitisme et la gauche, ainsi qu’à d’autres questions plus générales au sujet du sionisme, de l’antisionisme, et de la lutte permanente des Palestiniens pour accéder à l'autodétermination.
Dans un court article, Cohen consacre un paragraphe entier à une fausse définition de l’antisionisme. Voici ce qu’il écrit :
« Depuis les années 1970 et jusqu’à maintenant, les adversaires d’Israël devaient décider entre deux définitions de l’antisionisme : soit la concrétisation des droits nationaux palestiniens par une solution à deux États, reconnaissant ainsi que la Palestine écartelée entre deux nationalismes, juif et arabe, concurrents ; soit la nécessité pour eux de s’engager dans une guerre à mort, jusqu’à obtenir l’existence d’un État ethniquement et (avec la montée du fondamentalisme sunnite) religieusement pur. »
Ici, Cohen développe son faux raisonnement binaire auquel il tient tant : soit une solution à deux États qui préserve Israël comme « État juif », soit celle d’un État unique « purement sunnite ».
Et pourquoi pas un seul État, démocratique et décolonisé ? De toute évidence, Nick Cohen pense que les Palestiniens ne sont pas assez « civilisés » pour cela.
Pas de droit au retour
Naturellement, Cohen continue son article en s’affirmant catégoriquement opposé au retour chez eux des réfugiés palestiniens. Pourquoi ? Parce qu’ils « détruiraient l’existence d’[Israël] en tant qu’État juif ». Ce qui pose la question : qui, ici, est vraiment en train de défendre l’idée d'un « État… ethniquement pur? »
Ce type de projection devient particulièrement flagrant sous la plume des apologistes d’Israël dès qu’est évoquée l’idée d’une solution passant par un État unique démocratique.
« Les Palestiniens jetteraient les juifs dehors ! » mettent en garde les partisans d’un État créé par un nettoyage ethnique qui perdure encore à ce jour.
« Les juifs deviendraient des citoyens de seconde zone ! » craignent les apologistes d’un État où les citoyens palestiniens sont systématiquement traités de façon inégalitaire, et dont les forces armées imposent à des millions de Palestiniens apatrides un régime militaire encore plus explicitement discriminatoire.
L’argument de Cohen me rappelle les remarques de Yiftah Curiel, porte-parole de l’ambassade d’Israël, lors d’un débat à l’Université d'Oxford en début d’année. « Parvenir à un État unique, a-t-il déclaré, a déjà été tenté. On voit le résultat : la Syrie. »
On serait bien en peine de trouver une raison de ne pas taxer une telle comparaison de facile et simpliste, au mieux. Au pire, c’est tout simplement du racisme ; en effet, elle se fonde sur l’hypothèse tacite – et pas si tacite que ça chez Cohen – que les Arabes ne sont pas compatibles avec la démocratie.
En compagnie de gens peu recommandables
La défense par Cohen d’un nettoyage ethnique réel sur la base d’un hypothétique nettoyage ethnique futur, n’est pas le seul exemple trahissant une telle projection. Il me semble que ce qui le chagrine le plus c’est ce qu’il appelle la cause commune entre la gauche, ou les « progressistes », et les « partisans des Frères musulmans ».
Pourtant, c’est surtout Cohen, lui le libéral autoproclamé, qui se trouve en compagnie de gens peu recommandables dès qu’il s’agit de défendre l’ethnocratie israélienne.
La semaine dernière, par exemple, le ministre israélien de la Défense, Avigdor Lieberman, chef du parti ultranationaliste Yisrael Beiteinut et résident d’une colonie, s’est adressé aux étudiants de l’Université Ariel (au cœur de la Cisjordanie) pour leur réitérer son soutien bien connu à un échange de terres et de populations entre colons et citoyens palestiniens d’Israël.
Pour quelle raison ? Eh bien, comme l’a dit Lieberman, tout accord de paix exigeant le retrait des colons juifs de la Cisjordanie est inacceptable, car alors Israël se retrouverait en compagnie de tous ces citoyens palestiniens qui viendraient bouleverser la démographie propre à un « État juif ».
« Abbas refuse d’accueillir un seul juif dans son territoire, et nous serions censés devenir un État binational ? », s’est-il indigné.
Cette opposition au « bi-nationalisme », ou encore à toute solution où la « majorité juive » d'Israël, artifice obtenu par la violence, ne serait pas cantonnée derrière un mur (jeu de mots tout à fait volontaire) et son existence garantie à perpétuité, est partagée par tous ces gens, de Lieberman aux politiciens de l’opposition du genre de Tzipi Livni.
Livni est convaincu que « la paix avec deux États pour deux peuples » est « un impératif », afin « d'éviter une embarrassante statistique démographique – les Palestiniens sont plus nombreux que les Israéliens », et ainsi « préserver la judaïté du modèle de l'État juif et démocratique d'Israël. »
Ou, comme Livni l’a un jour annoncé devant les élèves d’une école de Tel-Aviv, « une fois créé un État palestinien », on pourra se tourner vers les citoyens palestiniens d’Israël et leur dire : « Pour vous, la solution nationale est ailleurs. »
Je vois déjà Nick Cohen opiner de la tête en signe d’approbation. En effet, ce qui unit les défenseurs inconditionnels du colonialisme sioniste, les « libéraux » autant que les « faucons » (et quelle que soit leur opinion sur tout autre sujet) est simple : leur racisme anti-palestinien.
- Ben White est l’auteur des ouvrages Israeli Apartheid: A Beginner’s Guide, et Palestinians in Israel: Segregation, Discrimination and Democracy. Il est rédacteur pour le Middle East Monitor et ses articles ont été publiés par divers médias, dont Al Jazeera, al-Araby, le Huffington Post, The Electronic Intifada et dans la section « Comment is free » de The Guardian.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle-East Eye.
Photo : l’hypothèse tacite de départ, semble-t-il, c’est que les Arabes ne sont pas compatibles avec la démocratie (AFP)
Traduction de l'anglais (original) par [email protected].
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