Syrie : une guerre sans fin
Les dizaines de médiations et d’accords, dont le dernier conclu entre la Russie et les États-Unis n’a pas même duré une semaine, n’ont fait qu’empirer les choses en Syrie.
À la fin du mois d’août, la guerre a pris une autre tournure complexe et sans doute plus importante, lorsque des troupes turques ont traversé la frontière pour entrer dans la ville syrienne de Jarablus afin d’appuyer une nouvelle offensive contre le groupe État islamique soutenue par les États-Unis.
Le déploiement de l’armée turque aux côtés de factions de l’opposition syrienne contribuera à fragmenter davantage la Syrie et à allonger la durée d’un conflit déjà trop long.
L’occupation du territoire syrien par des acteurs internationaux, les programmes régionaux divergents et la multiplicité des factions locales font qu’une solution à long terme semble pour le moment hors de portée.
La Syrie occupée
L’offensive turque en Syrie a rencontré peu de résistance de la part de l’État islamique. Applaudie par les rebelles syriens, cette avancée représente néanmoins une dangereuse escalade dans le conflit.
L’opération, lancée par le gouvernement turc sous la bannière « Bouclier de l’Euphrate », a permis à Ankara de prendre environ 850 kilomètres carrés de territoire syrien.
L’occupation du territoire syrien est devenue courante en Syrie depuis le début de la révolution de 2011 contre le président Bachar al-Assad. En 2015, un commandant du Hezbollah a indiqué à l’auteur de ces lignes sous couvert d’anonymat que son mouvement avait transformé la ville syrienne de Qousseir, dans l’ouest de la Syrie, en base stratégique et en camp d’entraînement.
Le Hezbollah contrôle également d’autres régions frontalières syriennes telles que le Qalamoun et dispose, selon les médias, de bases fortifiées dans les montagnes surplombant Zabadani.
Le parrain du Hezbollah, l’Iran – dont les services de sécurité et de renseignement conseillent Assad –, a le contrôle de facto de Damas et a déployé des officiers de haut rang sur des fronts à travers le pays. L’Iran a également apporté au régime une formation expéditionnaire par le biais des forces terrestres du Corps des Gardiens de la révolution islamique (GRI) et des services de renseignement, ainsi que des fournitures militaires essentielles.
L’allié de l’Iran dans la guerre, la Russie, a à son tour envoyé des chars, des systèmes de défense aérienne et plus de 2 000 soldats dans ses bases en Syrie, en particulier la base aérienne de Hmeimim, près de la ville de Lattaquié, l’installation navale de Tartous et une nouvelle base dans la ville de Palmyre, dans le désert syrien.
Les ennemis du régime d’Assad ont également pris des libertés dans le territoire syrien, les États-Unis ayant notamment déployé plus de 300 militaires dans les zones kurdes du nord de la Syrie. Les forces de la coalition américaine ont bombardé l’armée syrienne à Deir ez-Zor pendant la trêve, ce qui a été décrit comme une attaque accidentelle.
Un Rubik’s Cube d’intérêts
De multiples acteurs régionaux livrent chacun leur propre guerre en Syrie, ce qui complique toute solution à long terme.
Alors que la Turquie est entrée dans le conflit syrien sous la bannière de la coalition américaine contre l’État islamique, sa priorité est de mettre un terme à l’expansion des forces kurdes dans le nord de la Syrie, dont le but est de relier les différents cantons entre Hassaké et Afrin et de former un territoire kurde contigu le long la frontière turque.
Les États-Unis, alliés de la Turquie dans la guerre, poursuivent une politique de gestion de crise en Syrie, principalement axée sur la lutte contre l’État islamique. Le groupe avait perdu en juillet plus d’un quart de son territoire en Syrie et en Irak.
À l’inverse, les objectifs de la Russie en Syrie sont bien mieux définis : Moscou est opposé à un changement de régime qui établirait un dangereux précédent et craint également la montée des militants islamistes et une possible contagion de son « proche voisinage ».
Le partenaire de la Russie en Syrie, l’Iran, défend des intérêts plus personnels. Le régime d’Assad est l’un des principaux éléments de l’axe de la moumanaa, une alliance « rejectionniste » anti-occidentale entre l’Iran, la Syrie et le Hezbollah qui a permis à l’Iran d’étendre sa zone d’influence de Téhéran à Bagdad et jusqu’à Beyrouth.
La guerre en Syrie a également largement servi les intérêts d’un autre voisin des pays baasistes : Israël. Les combats qui se poursuivent ont épuisé les capacités de l’armée syrienne et exténuent le Hezbollah, le principal adversaire d’Israël, qui a perdu des centaines de combattants dans le conflit.
Israël a ciblé le Hezbollah, l’Iran et les forces d’Assad en Syrie chaque fois qu’ils constituaient une menace, ainsi que des convois d’armes sophistiquées devant être transférées de la Syrie vers le Hezbollah au Liban.
Des forces fragmentées
Des intérêts multiples et divergents sont également reproduits au niveau local. La Syrie compte actuellement des centaines de factions rebelles, dont 30 présentent un contingent de 3 000 à 7 000 combattants, selon le cheikh syrien Hassan Dgheim, qui suit les factions militaires et s’est exprimé pour Middle East Eye.
Ces groupes comprennent des djihadistes tels que l’État islamique, le Front Fatah al-Sham, des groupes de moudjahidin salafistes dont les programmes sont plus localisés et excluent le djihad mondial, comme Jaish al-Islam et Ahrar al-Sham, ainsi que d’autres factions islamiques comme Ajnad al-Sham et l’Armée syrienne libre, parmi beaucoup d’autres.
D’autre part, le régime a été étayé par des milices telles que les Forces de défense nationale, les brigades du Parti social-nationaliste syrien (PSNS) et des milices privées dont le Hezbollah syrien, les milices de l’association al-Bustan, les Faucons du désert et les forces du Tigre.
Ces multiples sous-courants sont symptomatiques de la triste réalité syrienne : comme chaque camp est soutenu par des puissances étrangères, des armes et des approvisionnements sont envoyés en abondance pour empêcher la défaite des factions parrainées, ce qui contribue à étendre davantage la guerre et à aggraver la fragmentation du pays.
La multiplicité de forces opposées est devenue typique de la pathologie du conflit syrien. Par conséquent, le régime peut survivre sur le papier tandis que les institutions nationales s’érodent lentement pour être remplacées par des entités locales autonomes.
Résultat ? Très probablement une division de facto du pays en différentes zones d’influence, a expliqué à MEE Marwan Muasher, de la Fondation Carnegie pour la paix internationale. Dans un scénario catastrophe, la Syrie pourrait être officieusement démembrée en faveur des pays voisins, un processus que l’entrée de la Turquie en Syrie peut laisser présager.
- Mona Alami est une chercheuse et journaliste qui couvre la politique au Levant. Chercheuse non résidente à l’Atlantic Council, elle se focalise principalement sur les organisations radicales. Elle est titulaire d’une licence et d’une maîtrise en management.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Illustration : MEE Graphics.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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