Pourquoi les Casques blancs méritaient aussi le Nobel de la paix
Le Comité Nobel norvégien a annoncé le 7 octobre qu’il décernait le prix Nobel de la paix 2016 au président colombien Juan Manuel Santos, en reconnaissance de « ses efforts résolus pour mettre fin à plus de cinquante ans de guerre civile dans son pays ».
Les Casques blancs incarnent un esprit de résistance civique imparable et, contrairement à la communauté internationale, donnent un bel exemple de solidarité
Santos mérite indubitablement la reconnaissance du prix Nobel de la paix pour son infatigable détermination à parvenir à un accord de paix avec le groupe de guérilla colombien des Forces armées révolutionnaires (FARC).
La Défense civile syrienne (SCD) – organisation connue généralement sous le nom des Casques blancs, en raison de l’inlassable détermination de ses bénévoles à sauver autant de gens que possible – ne méritait pas moins de le recevoir.
Inspirés par le 32e verset de la cinquième sourate du Coran, selon lequel « sauver une vie c’est sauver toute l’humanité », les volontaires de la SCD ont secouru plus de 60 000 personnes dans les zones contrôlées par l’opposition en Syrie, cibles du régime syrien dirigé par le président Bachar al-Assad.
Qui sont les Casques blancs ?
Fin 2012 et début 2013, des groupes de volontaires civils ont créé des centres de premiers secours dans les zones contrôlées par l’opposition en Syrie – dont Alep, Douma et Al-Bab –, avec pour objectif d’offrir une réponse coordonnée de recherche et de sauvetage des habitants des quartiers syriens soumis aux assauts du régime en place.
Dans les rangs de ces groupes de volontaires civils : des boulangers, des tailleurs, des ingénieurs, des pharmaciens, des peintres, des menuisiers et des étudiants, entre autres personnes, unies pour remplir la même mission : sauver autant de gens que possible.
En 2014, les représentants de ces centres de premier secours ont convenu de former la Défense civile syrienne (SCD), une organisation de volontaires civils communément appelés les Casques blancs. Elle s’est donnée la mission d’aider tout Syrien dans le besoin, comme le stipule leur charte.
Les statuts provisoires de l’association indiquent que la SCD est une organisation à but non lucratif et non partisane : « La SCD fournit ses services à tous les citoyens, quels qu’ils soient, bénévolement et sans but lucratif ; aucun de ses membres, ni personne, n’est autorisé à en tirer profit ou avantage pour servir des intérêts particuliers, directement ou indirectement ; la SCD ne sert pas les objectifs d’un quelconque programme politique partisan ni d’aucun groupe armé ; et elle ne poursuit aucun objectif confessionnel ».
Comme on pouvait s’y attendre, les partisans du régime dirigé par le président syrien Bachar al-Assad – Assad lui-même en tête – ont tenté de délégitimer le caractère non-partisan de la SCD. Ils ont accusé cette organisation d’être politisée, au prétexte que la SCD reçoit des fonds de plusieurs gouvernements occidentaux.
Depuis 2013, la SCD compte sur le soutien de Mayday Rescue et de Chemonics, deux organisations occidentales qui dispensent des programmes d’aide internationale. Grâce à ces organismes, la SCD reçoit des fonds des gouvernements britannique, néerlandais, danois, allemand, japonais et américains. Ce financement – plus de 40 millions de dollars à ce jour – sert à couvrir les frais de formation, d’équipement et de promotion, ainsi qu’à renforcer ses capacités organisationnelles.
De plus, la SCD reçoit des dons de particuliers pour couvrir ces coûts ainsi que les besoins de leur « fonds pour les héros », qui soutient pendant leur convalescence les bénévoles blessés, ainsi que les familles de volontaires morts en accomplissant leur mission.
Jusqu’à présent, plus de 140 volontaires ont été tués alors qu’ils sauvaient des vies. Khaled Omar fut l’un de ces héros. En juillet 2014, cet ancien peintre et décorateur a sauvé « le bébé miracle » – également connu sous le nom de « petit Mahmoud » –, des gravats d’un bâtiment de trois étages dans la ville d’Alep.
« Je pense que c’est cela le vrai djihad. Si je meurs en sauvant des vies, je crois que Dieu fera certainement de moi un martyr », avait-t-il déclaré lors d’un entretien avec Vocativ, fin 2014. Un an et demi plus tard, le 11 août 2016, Omar a trouvé la mort dans un raid aérien, laissant derrière lui une veuve et deux filles.
Que font-ils exactement ?
Au début, les volontaires de la SCD se limitaient à des opérations de recherche et de sauvetage. Ils s’étaient lancés sans équipement de sécurité ni formation, armés de leurs seules pioches, pelles et autres outils rudimentaires.
Début 2013, cependant, dans le cadre de l’organisation Mayday Rescue, les bénévoles de la SCD ont été formés par l’Institut turc de recherche et sauvetage, et ont appris des méthodes simples de recherche et de sauvetage, comment étayer des toits fragiles, découper des barres d’armature, et se servir de marteaux-piqueurs et de petites pelleteuses pour détecter la présence de survivants ou de victimes.
Ils ont ensuite suivi un stage plus spécialisé, pendant lequel ils ont appris à utiliser de gros outils et des cordages, et à soulever les toits effondrés à l’aide de coussins gonflables. Les premiers intervenants ont également reçu une formation médicale spécialisée.
Traduction : « Aux yeux du monde, c'est vous qui avez gagné, @SyriaCivilDef »
Depuis lors, les volontaires de la SCD effectuent également des missions de lutte contre les incendies et d’évacuation à grande échelle de civils. Ils savent aussi réagir efficacement lors d’attaques aux gaz chimiques et toxiques.
Désormais, ils s’efforcent de préparer des abris et d’installer un système global d’alerte pour avertir les civils de l’imminence d’une attaque.
Par ailleurs, ces volontaires fournissent des services communautaires essentiels, surtout dans les zones privées de municipalité. Leurs nombreuses tâches vont de la réparation des câbles électriques et des canalisations d’approvisionnement en eau à l’entretien des infrastructures publiques.
Netflix présente leur travail au quotidien, dans un documentaire de 41 minutes intitulé « Les Casques blancs ». Filmé à Alep, en Syrie et le long de la frontière syro-turque au début de 2016. C’est un aperçu sur le vif du travail de l’organisation, au fil des missions de trois de ses membres.
« Nous avons le devoir de sauver tout être humain, quelqu’il soit et quel que soit le camp auquel il appartient, s’il a besoin de notre aide », explique Abou Omar, l’un des volontaires de la SCD filmé dans le documentaire.
« Je me suis dit qu’il valait mieux faire du travail humanitaire plutôt qu’être armé. Il vaut mieux sauver une âme que d’en prendre une », a confié plus tard Mohammad Farah, bénévole de la SCD.
« Toutes les vies sont précieuses et valent la peine d’être sauvées ; tout enfant est comme mon fils, même si je ne suis pas son père. »
Le documentaire suit les efforts héroïques déployés par les bénévoles sous le feu croisé des frappes aériennes, et montre la réalité quotidienne des milliers de Syriens qui endurent le siège, sous des bombardements incessants : on y voit des familles en être réduites à apprendre la mort d’un proche par les médias sociaux, un enfant qui reconnaît le corps sans vie de son père et des gens qui scrutent le ciel en attendant l’attaque suivante.
Pourquoi méritaient-ils le Nobel ?
En début de semaine, le Département d’État américain a annoncé que les États-Unis suspendaient leur participation aux négociations bilatérales avec la Russie, censées soutenir un cessez-le-feu en Syrie.
« La Russie n’a pas été à la hauteur de ses propres engagements – dont les obligations qu’elle avait promis de respecter en vertu du droit international humanitaire et de la résolution 2254 – et elle s’est aussi montrée soit réticente soit impuissante à garantir l’adhésion du régime syrien aux accords ratifiés par Moscou », a déploré le Département d’État.
Devant l’immobilisme de la communauté internationale, le régime syrien a intensifié ses attaques aériennes contre les zones d’Alep contrôlées par l’opposition.
Selon un rapport récent de l’Observatoire syrien pour les droits de l’homme (OSDH, basé en Grande-Bretagne), plus de 500 personnes ont été tuées lors d’un bombardement aérien perpétré juste après l’échec de l’accord de cessez-le-feu américano-russe du 19 septembre.
Au total, plus de 9 000 personnes, dont plus de 3 800 civils, ont perdu la vie depuis le début des frappes aériennes russes, en appui au régime de Assad.
En l’absence d’espoir de solution politique, et alors que les avions continuent leurs frappes incessantes, les volontaires de la SCD offrent à leur peuple une compassion pure de toute arrière-pensée. Ils incarnent un esprit de résistance civique imparable – à l’instar des idéaux du soulèvement en 2011 – et, contrairement à la communauté internationale, donnent un bel exemple de solidarité.
C’est donc en vertu de la grande humanité dont ont fait preuve les Casques blancs qu’ils méritaient eux aussi de recevoir le prix Nobel de la paix, ainsi que la reconnaissance internationale à laquelle cette récompense donne droit.
- Tania Ildefonso Ocampos est une analyste politique espagnole spécialisée dans les stratégies de l’UE au Moyen-Orient. Elle a effectué par le passé un stage Robert Schuman (à l’Unité euro-méditerranéenne et moyen-orientale de la direction générale des Politiques extérieures du parlement européen) et elle a obtenu un master en Histoire du Moyen-Orient à l’université de Tel Aviv, en Israël.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Les Casques blancs se préparent pour une nouvelle mission de sauvetage en Syrie (Fondation Karam)
Traduction de l’anglais (original) par [email protected].
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