Alors que l’Égypte retrouve la Coupe d’Afrique, ses supporters retrouveront-ils un jour les stades ?
LE CAIRE – Pour la première fois en sept ans, l’Égypte est parvenue à se qualifier pour la Coupe d’Afrique des nations ; néanmoins, les supporters passionnés du pays sont toujours interdits d’entrer dans les stades après plusieurs années de tensions postrévolutionnaires avec les autorités.
Le pays a remporté la coupe pour la dernière fois en 2010 et l’a gagné à sept reprises au total, ce qui en fait de loin plus grand pays de football d’Afrique.
« Je suis assez optimiste ; Les joueurs atteignent un stade de maturité, ils ont l’expérience, ils sont devenus plus mûrs », a déclaré Mohamed Seif, fondateur du site web égyptien de football King Fut. « Ils ont passé la période de transition post-Aboutrika. » Mohamed Aboutrika est un ancien joueur égyptien légendaire qui s’est vu saisir ses biens par les autorités en mai 2015 après avoir été accusé de soutenir les Frères musulmans.
« Je ne dis pas que nous allons gagner, mais je dis qu’il y a des progrès, a ajouté Seif. Nous avons un très long chemin à parcourir jusqu’au rétablissement. »
L’Égypte sera opposée au Ghana, au Mali et à l’Ouganda dans son groupe.
« Il y a eu des hauts et des bas, nous n’atteindrons jamais le même stade qu’en 2010. 2006-2010 a été la meilleure période de l'histoire du football égyptien », a affirmé Seif.
Il faisait allusion au triplé sans précédent réalisé par l’Égypte en 2006, 2008 et 2010.
Fady Ashraf, rédacteur en chef du magazine de football Fil Goal, a expliqué qu’après 2011, l’attention portée sur le football a diminué naturellement pour se concentrer sur des questions plus importantes liées à la révolution. La succession rapide d’événements, à partir du massacre de Port-Saïd en février 2012, en passant par l’éviction de l’ancien président Mohamed Morsi en juin 2013, jusqu’aux retards de la levée de l’interdiction prononcée contre la présence de supporters aux matchs, a entravé la progression.
Des gradins maculés de sang
Le 1er février 2012, 72 supporters d’al-Ahly ont été tués à Port-Saïd après un match entre les clubs de football d’al-Ahly et al-Masry. Une foule non identifiée d’individus en t-shirt noir s’est mise à massacrer les supporters occupant les tribunes d’al-Ahly.
Les supporters de football égyptiens les plus fervents, connus sous le nom d’« ultras », tout comme les activistes et groupes de défense des droits de l’homme, ont fermement condamné le ministère de l’Intérieur pour avoir ne pas avoir assuré la sécurité du match.
La tragédie a causé des frictions entre l’administration d’al-Ahly et le Conseil suprême des forces armées (CSFA), qui gouvernaient alors le pays.
Le massacre de Port-Saïd a donné lieu à une interdiction à long terme de la présence de supporters aux matchs de football nationaux.
Trois ans plus tard, le président du Zamalek SC, Mortada Mansour, a convaincu les tribunaux égyptiens de déclarer les groupes de supporteurs illégaux et d’interdire ainsi les ultras à la mi-mai 2015. Suite à cela, quiconque portant une preuve de son appartenance aux ultras risquait la prison.
Lorsque les Égyptiens parlent de l’esprit du football, ils ne peuvent pas passer outre les ultras ; et lorsqu’ils parlent des ultras, ils ne peuvent pas passer outre le 25 janvier.
À travers leurs chants distinctifs, leurs chansons et même leurs rituels matinaux lors des sit-in sur la place Tahrir – en effectuant par exemple des exercices d’aérobic matinaux –, les ultras ont adhéré à la révolution de presque toutes les façons possibles, suscitant la fureur des forces de sécurité.
« Nous étions le bouclier de la révolution », a expliqué un membre du club de supporters inconditionnels d’al-Ahly, UA07, à Dalia Abdel Hamid, anthropologue qui dirige le programme sur l’égalité des sexes de l’Initiative égyptienne pour les droits de la personne (EIPR).
Au cours des recherches qu’elle a menées dans le cadre de ses études de maîtrise en anthropologie à l’Université américaine au Caire, de nombreux membres de groupes d’ultras ont indiqué à Abdel Hamid qu’ils étaient plus présents lors des affrontements violents pendant la révolution qu’au cours des marches et des protestations ordinaires, parce qu’« un individu ultra est un individu mû par le combat ».
Abdel Hamid a expliqué à Middle East Eye que cette haine mutuelle entre chaque partie, avant même les fameux affrontements du 28 janvier – ou « vendredi de la colère » –, serait liée à deux raisons principales. « La première raison est la peur que l’État nourrit pour les organisations : il s’agit d’une organisation forte et même si celle-ci est orientée vers un loisir, même si celle-ci peut être conçue comme étant non politique, celle-ci reste tout de même une organisation très forte. C’est la seule organisation autre que les Frères musulmans qui rencontre du succès », a-t-elle argumenté.
La seconde raison est une question de contrôle : « c’est un combat dont le but est de prouver qui contrôle le stade », a affirmé Abdel Hamid. Elle a expliqué que tandis que les ultras voulaient encourager leur club, danser et profiter de leur espace comme ils le souhaitaient, les forces de sécurité voulaient un « spectateur discipliné », un public docile qui se contente simplement de venir au stade, de regarder le match et de partir.
Bien que l’histoire entre les ultras et l’État remonte à 2008, selon la thèse d’Abdel Hamid, leur rôle dans le soulèvement du 25 janvier a été un tournant.
Un nouveau massacre
Le 8 février 2015, juste avant un match qui devait ramener les supporters dans les tribunes, 22 supporters de Zamalek ont été tués par suffocation au stade al-Defaa al-Gawy du Caire. Les faits se sont produits alors que la police aurait tenté de disperser la foule qui se dirigeait vers le stade du Caire pour assister au match.
Le ministère de l’Intérieur a déclaré que les affrontements se sont produits après que les membres des Ultras White Knights (UWK) de Zamalek ont tenté d’assister au match sans acheter de billets.
L’interdiction des rassemblements a donc continué et se poursuit encore aujourd’hui ; les autorités la lèvent toutefois de temps en temps pour tâter le terrain. On ne sait toujours pas si cette interdiction sera totalement levée ou non. Tous les secteurs liés à la jeunesse et aux sports se sont prononcés sur la levée de l’interdiction, à l’exception du ministère de l’Intérieur.
« En fin de compte, ce sont les supporters qui font le football », a affirmé Seif à Middle East Eye. Il a expliqué qu’outre les acclamations et les chants qui contribuent à transcender les joueurs, une grande partie du budget du sport provenait à l’origine des ventes de billets. Maintenant qu’il n’y a pas de billets à acheter, les fonds sont épuisés.
« Tout le monde appelle au "retour des foules" – même les talk-shows qui sont considérés comme pro-gouvernementaux l’ont demandé. Même [le président égyptien Abdel Fattah] al-Sissi en a parlé lors du forum consacré à la jeunesse égyptienne. Tout le monde est nostalgique de l’époque où l’on pouvait encourager les joueurs dans les tribunes », a expliqué Ashraf à Middle East Eye.
Lors de la première édition du forum des jeunes à Charm el-Cheikh le 27 octobre, Sissi a appelé les familles de supporters à emmener leurs enfants dans les stades afin que l’expérience retrouve sa forme civilisée. « Le retour des supporters nécessite une participation sociétale en plus de celle de l’État pour que le problème soit résolu », a-t-il ajouté.
« Après Port-Saïd, l’enthousiasme a chuté, puis repris lentement [jusqu’au drame] d’al-Defaa al-Gawy en 2015, avant de chuter à nouveau. Aujourd’hui, il est au plus fort ; Nous n’avons pas atteint un niveau d’enthousiasme aussi élevé depuis 2011 », a déclaré Ashraf.
Ashraf a également souligné qu’avant la révolution, les médias sociaux n’étaient pas aussi solides qu’aujourd’hui. Se faire bannir de ses tribunes ne signifiait pas que l’esprit des supporters était également interdit ; ils transposaient leur enthousiasme du stade vers les plateformes de médias sociaux.
« Le rythme s’accélère »
Des supporters de football ont expliqué à Middle East Eye que le plaisir qu’ils prennent à regarder les matchs les soulageait des troubles que le pays traverse. « La politique est vraiment déprimante et ennuyeuse ces derniers temps, donc le football est devenu notre meilleur moyen d’échapper à la réalité », a affirmé à MEE Mohamed, un supporter d’al-Ahly d’à peine plus de trente ans.
« Il fut un temps où l’enthousiasme était faible chez les supporters de football, mais aujourd’hui, il est redevenu comme avant », a-t-il ajouté. Alaa, un supporter de Zamalek de 26 ans assis près de Mohamed, a acquiescé, ajoutant qu’après le massacre de Port-Saïd, tout le monde était trop déprimé pour regarder les matchs.
Avant 2010, a expliqué Ashraf, les gens disaient « Ne regardez pas le football alors qu’al-Aqsa est prise en otage ». Mais aujourd’hui, face à l’adversité de la société et aux difficultés économiques, le football est un moyen d’oublier. « Le football est toujours la bulle dans laquelle [les gens] se mettent lorsqu’ils veulent profiter de leur tranquillité d’esprit... Ces choses n’ont pas d’impact. Nous avons même un match le 13 novembre. Nous n’avons entendu personne se prononcer contre ce match en raison des manifestations du 11 novembre », a poursuivi Ashraf.
Alors que l’Égypte suscite des attentes élevées pour la Coupe d’Afrique des nations, il y a encore un long chemin à parcourir pour que le football égyptien revienne à son âge d’or d’avant 2011. Tant qu’il n’y aura plus de tragédies pour les prendre par surprise, Achraf estime que l’espoir existe.
« Les choses vont pour le mieux aujourd’hui, a-t-il soutenu. L’administration de l’union du football est très proche de celle que nous avions avant 2011. Le rythme s’accélère, mais nous sommes encore loin de là où nous étions en 2010. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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