Ce qui se cache derrière la réelle bévue stratégique des États-Unis en Syrie
Le président Barack Obama s’est longtemps retrouvé sous les critiques de l’élite de la sécurité intérieure américaine et des médias pour ne pas être intervenu de façon agressive contre le régime d’Assad.
La réelle bévue stratégique ne vient toutefois pas du fait que Barack Obama n’ait pas lancé une énième guerre en Syrie, mais qu’il ait décidé de rejoindre les ambitions des alliés sunnites des États-Unis pour créer et armer une armée d’opposition syrienne en vue de renverser le régime.
Une source officielle de l’ancienne administration d’Obama ayant accès aux discussions internes sur la politique syrienne a apporté à MEE sous couvert d’anonymat un nouvel éclairage sur la façon dont cette décision fatidique a été prise, et pourquoi elle a été prise.
Cette source a révélé que lorsqu’Obama a fait le premier pas pour soutenir l’armement des forces de l’opposition syrienne, le président a été incapable de prévoir les risques d’une intervention directe de la Russie ou de l’Iran au nom du régime syrien en réponse à une opposition armée par l’extérieur – car ses conseillers ont été eux-mêmes incapables de prendre en compte cette possibilité.
L’histoire de cette erreur de politique commence après le début de la résistance militaire au régime d’Assad au printemps et en été 2011.
En août 2011, les officiels de la sécurité intérieure ont exhorté Obama à appeler Assad à démissionner, selon la source de l’ancienne administration du président.
Obama a fait une déclaration suggérant qu’Assad devrait céder son poste, mais il a clairement mentionné en privé qu’il n’avait pas l’intention de faire quoi que ce soit à ce propos. « Il l’a vu comme une simple suggestion, et non comme une politique ferme. »
Mais peu après, la politique de l’administration a fait face à un plus grand problème : comment répondre à la pression de la Turquie, de l’Arabie saoudite, et du Qatar pour que les États-Unis s’engagent à aider à renverser Assad.
En septembre 2011, les Saoudiens et les Turcs ne voulaient pas seulement que les États-Unis fournissent des armes à l’opposition. « Ils voulaient que les États-Unis fournissent des missiles antiaériens et des missiles anti-tanks », se souvient l’ancien officiel.
La Turquie a même offert d’envoyer ses troupes en Syrie pour renverser Assad, mais à condition que les États-Unis et l’OTAN acceptent de créer une zone d’exclusion aérienne pour les protéger.
Obama a toutefois refusé de fournir des armes américaines aux rebelles syriens et s’est également opposé aux ennemis sunnites d’Assad qui fournissaient de telles armes. « Il ne voulait rien accepter sauf les armes légères », raconte l’ancien officiel.
Pour apparemment atténuer le mécontentement des alliés sunnites, David Petraeus, alors directeur de la CIA, a élaboré un plan, approuvé par Obama, pour aider à transporter en Turquie les stocks d’armes légères du gouvernement libyen à Benghazi.
Confirmant l’article publié par Seymour Hersh en 2014, l’ancien officiel confie : « C’était très secret mais les officiels impliqués au Moyen-Orient ont eu connaissance du programme grâce au bouche à oreille. »
La combinaison de ces deux décisions politiques a engagé Obama – bien qu’à contrecœur – dans le renversement armé du régime d’Assad.
Notre source confirme les souvenirs de l’ancienne secrétaire d’État Hillary Clinton et de l’ancien officiel du Pentagone Derek Chollet selon lesquels les conseillers d’Obama étaient convaincus que la chute d’Assad serait inévitable.
Certains de ces conseillers pensaient qu’Assad manquait d’ « astuce et de force morale » pour rester au pouvoir, selon les mots de Derek Chollet.
Sous-estimer l’Iran et la Russie
Plus important encore, lorsque Barack Obama prenait des décisions politiques cruciales au sujet de la Syrie en septembre 2011, personne au sein de son équipe de sécurité nationale ne l’a prévenu du fait que l’Iran possédait un intérêt majeur en termes de sécurité nationale à garder le régime d’Assad au pouvoir, intérêt qui pourrait faire participer les Iraniens à la guerre, selon l’ancien officiel.
Les conseillers d’Obama ont présupposé au contraire que ni l’Iran ni la Russie ne feraient plus qu’offrir une aide symbolique pour garder Assad au pouvoir, donc qu’il n’y avait aucun risque de guerre confessionnelle sanglante et sans fin.
« Le Hezbollah et l’Iran avaient tous les deux fait savoir qu’ils étaient mécontents de la manière dont Assad gérait la crise, et [le leader du Hezbollah Hassan] Nasrallah avait même déclaré publiquement qu’il devait employer une approche plus douce », rappelle l’ancien officiel, « on pensait donc qu’il n’interviendrait pas sur le plan militaire pour le sauver ».
En fait, l’Iran a considéré la Syrie comme cruciale dans sa capacité à réapprovisionner le Hezbollah, dont l’énorme arsenal de missiles constituait à son tour un élément dissuasif nécessaire contre une attaque israélienne. « La Syrie a servi de deuxième sécurité pour l’Iran et le Hezbollah », affirme l’ancien officiel, mais les conseillers d’Obama « ne savaient rien » au sujet de des intérêts sécuritaires nationaux de l’Iran à empêcher le renversement d’Assad par l’opposition majoritairement sunnite et soutenue par la coalition internationale sunnite avec le soutien des États-Unis.
Cette erreur majeure d’omission est devenue très claire durant la guerre. Après la prise de la ville de Qousseir près de la frontière libanaise par l’Armée syrienne libre en juillet 2012, les forces de l’opposition syrienne situées au sud de la Syrie ont pu obtenir des fournitures militaires de l’autre côté de la frontière au Liban. Il est apparu clairement dans les mois qui ont suivi que les forces d’al-Nosra étaient massivement impliquées dans ce front-là de la guerre.
Le Hezbollah contre-attaque
En mai 2013, les troupes du Hezbollah dans la vallée de la Bekaa sont intervenues en soutien à une contre-offensive du régime pour reprendre la ville – de toute évidence suite à un ordre iranien.
Cette intervention Iran-Hezbollah a entraîné la plus grande défaite des forces rebelles jusqu’à ce moment de la guerre.
Mais au lieu de questionner le bien-fondé de la décision originale de coopérer avec la stratégie de changement de régime de la coalition sunnite, l’équipe de sécurité nationale d’Obama a doublé sa mise.
Le secrétaire d’État John Kerry a exercé une forte pression sur Obama pour employer la force militaire contre le régime d’Assad.
Cela s’est fini par l’engagement public de l’administration d’Obama en juin 2013 de fournir un soutien militaire à l’opposition pour la première fois. Cet engagement plus avant a failli mener à une nouvelle guerre des États-Unis contre le régime d’Assad en septembre, après l’attaque chimique sur la banlieue de Damas en août 2013.
L’administration d’Obama a même accepté que les États sunnites approvisionnent en armes anti-tanks l’opposition armée désormais publiquement dominée par le front al-Nosra d’al-Qaïda.
Un engagement de plus en plus important
Cela a abouti à la conquête commandée par al-Nosra de la province d’Idleb et à l’intervention de la Russie qui a suivi, qui n’avait évidemment pas été anticipée par l’équipe de sécurité nationale de l’administration Obama.
Obama et ses conseillers se sont trompés sur la Syrie en pensant qu’ils ne s’engageaient pas dans une situation à haut risque de guerre.
Mais il y a un niveau d’explication plus profond sur la volonté d’Obama et de ses conseillers d’accepter le risque inhérent d’une autre politique de changement de régime – même si Obama en était au mieux à demi convaincu et a limité une implication directe des États-Unis.
L’administration ne voulait pas aller à l’encontre de ses alliés sunnites, précise l’ancien officiel, à cause des intérêts militaires directs des États-Unis en jeu dans ses alliances avec ces trois États : les Saoudiens contrôlent l’accès des États-Unis à la base navale au Bahreïn, la Turquie contrôle la base aérienne à Incirlik, et le Qatar contrôle les bases terriennes et aériennes devenues centrales pour les opérations militaires des États-Unis dans la région.
Ce qui s’est avéré être une bévue désastreuse en termes de conséquences pour la population syrienne était ainsi le seul choix acceptable aux yeux des institutions de sécurité nationale qui représentent le véritable État américain constamment en guerre.
Ce qui comptait avant tout était de s’assurer que les arrangements militaires et de renseignement déjà en place ainsi que les relations ne seraient pas menacés.
Et Obama n’était pas prêt à passer outre cette préoccupation, malgré son scepticisme connu au sujet de n’importe quel armement de rebelles anti-Assad à la lumière du contrecoup du soutien américain pour les moudjahidine afghans dans les années 80.
- Gareth Porter, journaliste d’investigation indépendant, fut le lauréat 2012 du prix Gellhorn du journalisme. Il est l’auteur d’un livre, récemment publié : Manufactured Crisis: The Untold Story of the Iran Nuclear Scare (Une crise fabriquée de toutes pièces : les origines secrètes de la hantise d’un Iran nucléaire).
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Le président des États-Unis Barack Obama lors d’une conférence de presse au sommet du G20 à Hangzhou en Chine, le 4 septembre 2016 (AFP)
Traduit de l’anglais (original).
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