Pourparlers de paix en Syrie : risque de violent désaccord entre l'Iran et Russie
Russie et Iran se sont mis d’accord sur la Syrie : sécuriser le régime d’Assad et prévenir son effondrement. La répartition des tâches entre ces deux alliés du régime et leur indépendance l’un de l'autre leur a permis de présenter un front uni, militairement et politiquement.
Il semble en revanche inévitable qu’après le conflit commencera une lutte d’influence dans ce pays et que naîtra entre eux un désaccord, du fait de leur agenda respectif – concurrents à long terme
En effet leurs intérêts communs semblent progressivement diverger puisqu’ils ont atteint leur but à court terme : sauvegarder le régime syrien.
Il semble en revanche inévitable qu’après le conflit commencera une lutte d’influence dans ce pays et que naîtra entre eux un désaccord, du fait de leur agenda respectif – concurrents à long terme
L’internationalisation du conflit syrien en a fait une guerre par procuration entre différents camps. Parvenir à une solution s’avèrera plus difficile puisque cela créera de nouvelles divisions au sein des mêmes alliances aussi bien qu’entre elles. À ce stade initial, admettre ces différences entre alliés principaux du régime permet de comprendre les potentialités offertes et les défis à régler avant de mettre un terme à ce conflit de six ans.
Retour de l’ordre contre maintien d’influence
L’Iran est intervenu en Syrie pour des raisons stratégiques : le maintien de son influence et la sécurisation d’une voie d’accès à travers le pays pour acheminer au Liban les approvisionnements destinés au Hezbollah, sa force par procuration.
Parallèlement à la lutte, plus généralement, entre sunnites et chiites, son intervention présente aussi des aspects idéologiques. Comme le régime syrien manquait de troupes, Assad a été forcé de compter sur les milices soutenues par l’Iran et d’accorder à Téhéran un rôle prépondérant en Syrie.
L’Iran a joué un rôle essentiel pour fournir les troupes et les ressources qui ont aidé le gouvernement d’Assad à faire face.
Des milliers de miliciens chiites, issus entre autres d’Iran, d’Irak et du Liban – et formés par l’Iran – ont été envoyés en Syrie, en plus de milliers d’autres combattants locaux formés et financés par Téhéran.
Moscou, quant à elle, est intervenue pour préserver le régime en place et ses institutions publiques, afin de conserver son influence en Syrie. Mais elle a surtout agi pour voir le pays accéder de nouveau au rang de superpuissance et s’en servir pour promouvoir ses intérêts ailleurs, à savoir en Ukraine.
L’intérêt de Moscou est de mettre un terme au conflit syrien aussi rapidement que possible afin de toucher ses dividendes et gagner du même coup la guerre et la paix
La Russie a vigoureusement soutenu le régime syrien politiquement, en opposant au Conseil de sécurité de l’ONU son véto à toute résolution anti-Assad. Ce rôle a évolué dès septembre 2015 pour se muer en une opération militaire directe visant à protéger le régime, au bord de l’effondrement.
L’intérêt de Moscou est de mettre un terme of conflit syrien aussi rapidement que possible afin de toucher ses dividendes et gagner du même coup la guerre et la paix.
Le Kremlin semble impatient de profiter de sa victoire à Alep pour passer en Syrie du rôle d’acteur militaire à celui de pacificateur, et ainsi conserver un avantage à long terme.
À la différence de la Russie, l’Iran croit que son opération militaire victorieuse en Syrie devrait lui permettre de continuer à dicter les conditions d’une solution qui protège son influence et ses intérêts après la guerre.
À long terme, l’objectif de Moscou consiste à restaurer un État fort avec des institutions opérationnelles et un monopole sur les armes.
Celui poursuivi par l’Iran vise à maintenir de puissantes milices agissant par procuration, semblables à celles au Liban et en Irak, sans exclure qu’elles puissent prendre une forme différente, pour protéger ses intérêts à long terme en Syrie et sa région.
Changement de stratégie
À de nombreuses occasions et récemment, l’Iran a donné l’ordre à ses milices alliées d’agir à l’encontre les instructions de la Russie, signe que les intérêts des deux pays divergent lentement. Pendant la plus récente offensive du régime pour reprendre la partie Est d’Alep, tenue par les rebelles, la Russie, en coopération avec la Turquie, a négocié un accord permettant aux civils et aux groupes rebelles d’être déplacés vers d’autres régions tenues par les rebelles au nord de la Syrie.
L’Iran, qui n’aurait pas été consulté, n’a pas été favorable à cet arrangement qui ne lui rapporte rien, et a incité ses milices alliées à le saboter.
L’accord a alors été révisé pour y inclure les exigences de Téhéran : évacuation des populations de deux villes chiites, Fua et Kafraya (région d’Idleb), assiégées par les rebelles.
Moscou a aussi tiré parti de sa victoire à Alep et de son rapprochement avec la Turquie pour négocier un cessez-le-feu avec les groupes rebelles, ouvrant ainsi la voie aux pourparlers de paix. Ce cessez-le-feu fut une tentative de la Russie de se présenter comme médiateur et ainsi remplacer l’administration Obama et l’ONU.
L’Iran est l’un des trois commanditaires des pourparlers de paix menés par la Russie : il n’a pas pour autant ratifié l’accord de cessez-le-feu.
Les milices soutenues par les Iraniens – en clair, le Hezbollah – ont poursuivi leur assaut sur la ville de Wadi Barada dans la campagne autour de Damas, ce qui a aussi encouragé le régime à poursuivre ses frappes aériennes dans tout le pays. En dépit de ces violations, qui comportaient le risque d’entraver les pourparlers de paix menés par les Russes, la Turquie a été en mesure d’exercer des pressions sur les groupes rebelles, non seulement pour qu’ils respectent le cessez-le-feu, mais acceptent également de participer aux pourparlers de paix.
Le grand vainqueur : Moscou
Des différences ont émergé entre alliés du régime syrien – qui ne se limitent pas à des problèmes relatifs à la situation sur le terrain, mais se sont également étendues à la sphère politique.
L’Iran ne semble pas vouloir s’aligner sur les efforts déployés par le Kremlin, pour négocier avec les factions d’opposition en Syrie du Nord, en vue de trouver une solution consensuelle.
Assad devra partager le pouvoir avec certains de ses adversaires, ce qui fait peser une menace sur les intérêts à long terme de l’Iran, dont l’avenir s’en trouve incertain
En cas de succès, ce processus pourrait signifier qu’Assad devra partager le pouvoir avec certains de ses adversaires, ce qui fait peser une menace sur les intérêts à long terme de l’Iran, dont l’avenir s’en trouve incertain. Cela pourrait aussi impliquer que l’Iran doive rappeler de Syrie ses milices étrangères alliées – puisque c’est là l’une des exigences essentielles des rebelles et de leurs alliés – ce qui ne manquera pas de réduire l’influence iranienne.
Téhéran s’oppose aussi aux décisions stratégiques de Moscou visant à tisser de meilleures relations avec la Turquie et l’administration Trump. De tels rapprochements suscitent des inquiétudes accrues en Iran quant à un éventuel bouleversement de l’équilibre des pouvoirs en Syrie.
L’autonomisation des responsables syriens, qui représentent à la fois l’Iran et les intérêts russes, ne fait qu’accroître la rivalité entre les deux alliés puisqu’ils se retrouvent de facto en position décisionnelle. Ce qui inclut probablement de choisir les membres de l’équipe de négociateurs représentant le régime syrien.
Moscou a réussi à régler par la négociation les différends émergeant avec l’Iran, ce qui a protégé avec succès les intérêts des deux pays. Pourtant, la Russie aura bien du mal à continuer de faire semblant de ne pas voir l’éléphant au milieu de la pièce – à savoir qu’en Syrie, les objectifs de l’Iran divergent des siens – si elle veut avoir des chances d’obtenir des résultats tangibles lors des pourparlers de paix à Astana.
La Russie a réussi, par le truchement de la Turquie, à exercer des pressions pour que les groupes rebelles transigent, mais ils vont, à un certain moment, résister, à moins de recevoir quelque chose en échange.
Moscou prend donc des décisions stratégiques, dont certaines dépendent des politiques de Trump à l’égard de toutes les parties prenantes. Le reste relève du sérieux de la Russie dans son rôle de pacificateur, non seulement en Syrie, mais aussi dans toute cette région.
L’Iran doit aussi prendre une décision quant à la poursuite de sa guerre en Syrie : est-ce la meilleure option – ou pourrait-il obtenir les mêmes résultats par des moyens différents ?
- Haid Haid est un chroniqueur et chercheur syrien associé à la Chatham House. Il se concentre sur la politique de sécurité, la résolution des conflits et les mouvements kurdes et islamistes. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @HaidHaid22.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : le président iranien Hassan Rohani et son homologue russe Vladimir Poutine, lors de leur rencontre à une conférence de presse, suite au sommet du Forum des pays exportateurs de gaz à Téhéran, le 23 novembre 2015 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par [email protected].
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