Hezbollah, réforme électorale et boîte de Pandore
La dernière fois que les électeurs libanais se sont rendus aux urnes, c’était en 2009, lors des élections législatives. Ces élections faisaient suite à un accord signé par les factions minoritaires libanaises au Qatar, mettant fin au quasi-coup d’État du Hezbollah et de leurs alliés contre le gouvernement du Premier ministre, Fouad Siniora.
L’accord de Doha, comme on l’appelle, a récompensé le Hezbollah et leurs alliés pour avoir pris les armes contre les forces gouvernementales qui avaient concédé la défaite. Finalement, Doha a offert au Hezbollah et à son principal allié chrétien, Michael Aoun, président actuel du Liban, un système électoral à leur convenance.
La désastreuse incapacité de la classe dirigeante à élire un président pendant plus de deux ans a contraint le parlement actuel à prolonger son propre mandat ; il l’a fait, bien qu’une telle initiative soit interdite par la Constitution. Ce mandat expirera en juin cette année.
Il ne reste donc plus que quelques mois avant cette échéance, et c’est l’occasion d’une nouvelle foire d’empoigne entre les différentes factions politiques minoritaires, qui tentent d’influencer (truquer serait plus exact) d’un nouveau mode de scrutin, mieux à même de leur garantir la victoire.
Ce pugilat avait pour enjeu le mode de scrutin plutôt que le découpage électoral, qui ne sera pratiquement pas modifié.
En l’état, la majorité des hommes politiques chrétiens, conduits par le bloc du président Aoun, appuient une loi ostensiblement moderne introduisant le vote à la proportionnelle, qui confère naturellement à leur parti un avantage évident, puisqu’elle empêche certaines factions minoritaires non-chrétiennes de prendre des sièges aux chrétiens, comme cela se produisait régulièrement jusqu’ici.
À l’inverse, d’autres factions minoritaires, dont principalement Walid Joumblatt, chef des Druzes, se sont farouchement opposées à la proportionnelle car, au final, elle les marginalise et les empêche de défendre les intérêts de leurs électeurs au sein du système libanais dans son ensemble – si clientéliste.
Le plus intéressant à observer dans cette manche, c’est encore le rôle joué par le Hezbollah. Un examen plus attentif permet d’y discerner l’émergence d’une tactique plus sophistiquée.
Le Hezbollah soutient le vote à la proportionnelle
On peut s’attendre à ce que le Hezbollah soutienne résolument la réforme électorale d’Aoun, vu la pérennité de leur alliance – onze ans à ce jour.
Bizarrement cependant, le rejet du scrutin majoritaire par le Hezbollah et son soutien zélé à la proportionnelle proposée par Aoun semblent aller à l’encontre de leurs intérêts, vu que toute forme de proportionnelle affaiblirait le bloc parlementaire du Hezbollah ainsi que celui de son allié chiite principal, le mouvement Amal.
Le Hezbollah serait-il soudain devenu altruiste ? On comprend mieux ses calculs si l’on y voit l’une des pièces d’un plus grand puzzle stratégique, visant à long terme à faire de l’Iran une filiale du Liban.
Jusqu’en 2005, lorsque les Syriens ont fui du Liban, la participation directe du Hezbollah au cœur du gouvernement libanais est restée minimale et se résumait à un tout petit bloc parlementaire, sans importance.
N’ayant jamais reconnu l’accord de Taëf – qui mit fin à la guerre civile – l’accord du Hezbollah avec l’État libanais s’explique principalement par un arrangement régional plaçant le Liban et, dans la foulée, le Hezbollah, sous tutelle de feu Hafez al-Assad.
Il en fut autrement suite à l’assassinat du Premier ministre de l’époque, Rafik Hariri, puisque le Hezbollah dut prendre le relais, participer à l’exécutif gouvernemental et s’immerger totalement dans les détails de la vie politique libanaise, au quotidien.
En dépit de cet énorme bouleversement, le Hezbollah n’a jamais soutenu l’État libanais, ni aspiré à lui rendre son autonomie, mais il s’est plutôt concentré à préserver sa propre structure étatique parallèle, essentiellement destinée à protéger les intérêts de la révolution iranienne.
Conclusion de Taëf
Par conséquent, son approbation de la proportionnelle – qui affaiblit l’emprise des partis politiques traditionnels et de leurs chefs – est en réalité une tentative de faire imploser l’État libanais et, pour finir, renoncer au mode de scrutin adopté à Taëf, objectif partagé par Aoun.
En boycottant les séances du parlement, le Hezbollah a empêché pendant deux ans la tenue d’élections présidentielles et il a, une fois encore, sous prétexte d’autonomiser les chrétiens, camouflé son intention de saper plus encore la structure confessionnelle du gouvernement installé par l’accord de Taëf.
Plus largement, la participation du Hezbollah à la guerre civile syrienne l’a mis en difficulté au niveau national, en l’impliquant toujours plus dans la tentative russo-iranienne de sauver ce qu’il reste de Bachar al-Assad et de son régime. On constate un désaccord croissant, et désormais visible, entre la Russie et l’Iran sur la question syrienne et l’avenir du pays – qui a valu au Hezbollah de se retrouver en fâcheuse posture, car la montée en puissance de l’influence russe dans la région pourrait éroder sa réputation au fil des années, tant sur le plan local que régional.
Si la Russie n’a jamais répugné à faire démonstration de sa force pour régler ses conflits, sa participation militaire en Syrie prendra bien fin un jour où l’autre. Le moment venu, la Russie cherchera à résoudre la crise syrienne en établissant des partenariats avec les acteurs politiques sunnites dans la région.
Ce scénario poussera certainement l’Iran et le Hezbollah dans les cordes et nécessitera de leur part un plan préventif impliquant d’instrumentaliser le Liban et son peuple et en faire un levier pour demeurer un interlocuteur valable sur la scène internationale.
L’implication du Hezbollah en faveur d’un inoffensif mode électoral – qui semble à première vue accorder plus de pouvoir à des forces progressistes – pourrait en tenter certains mais, on devrait prendre garde : telle initiative risque d’ouvrir la boîte de la Pandore.
La prochaine fois que vous entendrez un représentant du Hezbollah faire les louanges ou approuver une législation ou une initiative visant à réformer le système libanais, n’oubliez jamais ce qui suit : au final, en cas d’échec de toutes ces manœuvres électorales cachant son vrai visage sous une façade de démocratie, le Hezbollah pourra toujours recommencer ce qu’il sait faire le mieux – prendre les armes pour atteindre ses objectifs. Aucun mode de scrutin ne saurait masquer cette réalité.
- Makram Rabah est doctorant en histoire à l’Université de Georgetown. Il est l’auteur de A Campus at War: Student Politics at the American University of Beirut, 1967–1975.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des partisans du Hezbollah défilent à Beyrouth (AFP)
Traduit de l’anglais (original) par [email protected].
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