C'est la fin du Hezbollah tel que nous le connaissons
Le récent spectacle militaire du Hezbollah dans la ville syrienne de Qousseir a provoqué une série de spéculations et d'explications sur la vraie nature et le moment de ce tour de force imaginaire.
Le plus gros de l'agitation médiatique provoquée par cet incident a porté sur la présentation par le Hezbollah de deux véhicules blindés de transport de troupes quelque peu archaïques fabriqués aux États-Unis (des APC M113).
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Cela a conduit certaines sources mal informées à accuser l'armée libanaise de détourner l'aide militaire américaine et de convoyer ces armes à la milice libanaise soutenue par les Iraniens.
Mais cette interprétation est en grande partie erronée car elle passe à côté des implications réelles de ce spectacle militaire pas si innocent : le Hezbollah, profondément plongé dans le conflit syrien, a désespérément besoin de telles démonstrations de force pour justifier les pertes qu'il encourt.
La récente agression contre Alep a sensiblement augmenté le nombre de cercueils de combattants du Hezbollah rapatriés dans leurs villages pour être mis en terre – faisant de ce défilé une question plus pressante.
Face à ce déroulement un peu sombre et absurde des événements, les dirigeants du Hezbollah, en organisant ce défilé à l’allure soviétique, ont donc voulu s'adresser à leurs partisans et les exhorter à s'engager davantage dans la lutte supposée aboutir à une victoire finale, similaire à celle remportée à Qousseir en 2013.
Piqûre de rappel pour Hariri
Plus important encore est peut-être le choix de l'emplacement, car la victoire du Hezbollah à Qousseir il y a trois ans a consisté à sécuriser son flanc oriental au Liban et à arrêter les attaques contre les nombreux villages chiites pro-Hezbollah de part et d’autre de la frontière. C’est particulièrement pertinent dans la mesure où cela sert de piqûre de rappel pour le prochain Premier ministre libanais Saad al-Hariri : la reconnaissance du rôle du Hezbollah en tant que protecteur du pays face à des éléments étrangers, qu'ils soient israéliens ou, dans le cas de Qousseir, syriens, est inévitable.
Les gouvernements libanais successifs ont toujours reconnu le Hezbollah comme un défenseur légitime du peuple libanais. Cependant, cette idée a été sérieusement mise à mal suite aux transgressions du Hezbollah à la fois localement mais aussi en Syrie et au Yémen, le parti y mettant clairement en œuvre son programme iranien.
Ce n'est pas un hasard si certains des porte-paroles du Hezbollah ont récemment inondé les médias pour exiger que le prochain programme ministériel réaffirme clairement la dénommée trinité libanaise « du peuple, de l'armée et de la résistance ».
Malgré son mépris évident envers la souveraineté de l'État, le Hezbollah a encore besoin des différentes institutions étatiques, principalement le parlement et le cabinet, afin de se cacher derrière une façade de légitimité qu'il exploite pour faire avancer son effort militaire.
Naim Qasim, secrétaire général adjoint du Hezbollah, a tout de même déclaré, selon le quotidien As-Safir : « Maintenant, nous avons une armée entraînée qui représente un message clair du Hezbollah à tout le monde ».
Bien qu’il se soit rétracté de cette déclaration, le Hezbollah a clairement exprimé son message : quels que soient les changements intérieurs avec l'élection de Michel Aoun en tant que président, voire même avec la prochaine administration Trump, pour le groupe, rien ne change.
Un soulagement pour Israël
Alors que certains ont supposé que la transformation du Hezbollah en une force de combat mécanisée et régulière représente une menace directe pour Israël, les faits et les précédents indiquent tout le contraire.
La capacité du Hezbollah à infliger des dommages aux Forces de défense israéliennes (FDI) pendant leur occupation du sud du Liban et pendant la guerre de 2006 a été possible parce que le groupe avait maîtrisé les tactiques de guerre asymétrique et de guérilla.
Malgré leur classement en tant que 16e armée la plus compétente et la mieux armée au monde, les FDI n'ont pas réussi à détruire le Hezbollah, principalement en raison de leur incapacité à confronter le groupe selon les manières militaires classiques, le Hezbollah ayant renoncé à l’usage de chars ou même de fortifications régulières.
Récemment, le commandement des FDI a déclaré que ses unités s'entraînaient à s'adapter à la « doctrine de combat du Hezbollah », ce qui, sur la base de confrontations passées, signifie combattre dans des terrains urbains contre un ennemi abrité dans des fortifications qui se cache et combat sous terre.
La parade du Hezbollah suscite donc en fait un certain soulagement pour les Israéliens, dont la plus grande puissance de feu et l'armée de l'air peuvent neutraliser ce genre de menaces rapidement en faisant encourir à leur infanterie des pertes minimes.
En 1982, au cours de l'invasion du Liban, les FDI ont détruit l'infrastructure militaire de l'OLP principalement parce que le commandement palestinien avait opté pour une guerre symétrique, un fait dont le Hezbollah est bien conscient.
Le corbeau et l'aigle
Sur le plan pratique, Qousseir est pour le Hezbollah une manière d'informer implicitement Israël qu’à l'heure actuelle, le groupe est pleinement engagé dans son bourbier syrien et qu'il n'y a donc aucun risque de conflit dans le sud du Liban.
Lorsque le corbeau a essayé de copier l'aigle, il s'est vite rendu compte qu'il ne possédait pas les qualités nécessaires – mais il était trop tard et il s'est écrasé au sol, se rompant le cou
Cependant, supposer que le Hezbollah puisse reprendre facilement ses précédentes tactiques de guérilla peut être fallacieux. Cela demanderait des années d’entraînement et des ressources qui ne seront pas disponibles quand ses combattants finiront par rentrer de leur escapade syrienne.
Le défilé de Qousseir est donc très semblable à l'anecdote du corbeau qui voulait imiter l'aigle capable de monter haut dans les cieux avant d’attaquer sa proie.
Lorsque le corbeau a essayé de copier l'aigle, il s'est vite rendu compte qu'il ne possédait pas les qualités nécessaires – mais il était trop tard et il s'est écrasé au sol, se rompant le cou.
Le Hezbollah pourrait penser que la guerre syrienne l'a rendu encore plus fort et mieux à même d'imposer sa volonté au Liban et peut-être dans la région. Toutefois, les événements ont prouvé maintes et maintes fois que les batailles ne sont pas gagnées sur le seul champ de bataille et qu’en effet, jamais le corbeau ne pourra devenir un aigle.
- Makram Rabah est doctorant en histoire à l’Université de Georgetown. Il est l’auteur de A Campus at War: Student Politics at the American University of Beirut, 1967–1975, et coopère régulièrement comme éditorialiste pour le site d’information Now Lebanon.
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Photo : un partisan du nouveau président libanais Michel Aoun tient une affiche de Hassan Nasrallah lors d'un rassemblement célébrant l'élection d'Aoun le 6 novembre 2016 au palais présidentiel de Baabda (AFP).
Traduit de l’anglais (original).
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