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Les erreurs d’appréciation dans le nouveau « cheval de Troie » du Hezbollah

La nouvelle force paramilitaire annoncée par un homme politique controversé risque d’agacer les hommes politiques libanais qui ont maintenu la paix jusqu’ici

Le monopole de la violence légitime est un des piliers principaux sur lequel repose tout État.

Dans le cas du Liban, où l’État est en permanence concurrencé par des acteurs non gouvernementaux qui aspirent à utiliser la force pour atteindre leurs objectifs respectifs, ce concept est pour le moins vague.

Les remises en question de l’hégémonie de l’État libanais sont nombreuses, allant des agissements de l’Organisation de libération de la Palestine au début des années 70, qui ont débouché sur la guerre civile, à la demande de création d’une république islamique au Liban par le parti pro-iranien du Hezbollah, plus récemment.

Le Hezbollah qui détient depuis longtemps le monopole, encouragé par l’Iran et la Syrie, de la lutte contre l’occupation du sud Liban par l’armée israélienne s’est peu à peu emparé d’un grand nombre de prérogatives de l’État libanais, au premier rang desquelles on trouve la sécurité.

Une annonce étrange

Très récemment, l’un des affidés de l’organisation, l’homme politique libanais Wiam Wahhab, a annoncé la formation d’une organisation paramilitaire, les brigades du Tawhid, dont l’objectif affiché est d’« affronter tous les dangers qui pèsent sur le Liban. »

Cette annonce étrange de Wiam Wahhab, l’une des figures pro-syriennes et pro-iraniennes les plus controversées, pose plusieurs questions, et tout d’abord celle de la position du Hezbollah, ce dernier jouant un grand rôle dans le conflit actuel de l’autre côté de la frontière, en Syrie.

Le choix de Wiam Wahhab de faire une telle déclaration est significatif en lui-même. Ce personnage controversé s’est forgé une réputation sulfureuse en utilisant une rhétorique diffamatoire et en faisant des écarts réguliers avec le politiquement correct.

Il était le ministre de l’Environnement du Liban en 2005, au moment de l’assassinat du premier ministre Rafiq Hariri. Wiam Wahhab a tout fait pour discréditer le Tribunal spécial pour le Liban (TSL), le tribunal international créé pour traduire en justice les assassins d’Hariri. Il a accusé le tribunal d’être aux ordres de l’Occident qui voudrait, in fine, affaiblir le Hezbollah et détruire la « résistance au Liban, en Palestine et en Irak ».

Wiam Wahhab qui ne rate jamais une occasion d’insulter la famille royale saoudienne, a fait un pas de plus dans la provocation, attisant la colère de la communauté sunnite du Liban, en comparant le TSL à « la semelle de sa chaussure » et en accusant Saad Hariri, le fils de Rafiq Hariri, qui a été premier ministre de 2009 à 2011, d’être le caniche de l’Arabie saoudite.

Encore une armée de voyous ?

Le parti de Wiam Wahhab, le parti Tawhid, a des soutiens limités au sein de sa propre communauté, les druzes. La majorité des druzes prête en effet allégeance à Walid Jumblatt. Ce vétéran de la politique est à la tête du Parti socialiste progressiste.

Malgré le soutien indéfectible de Walid Jumblatt à la révolution syrienne et son opposition au régime de Bachar el-Assad, ses rapports avec le Hezbollah sont restés parfaitement neutres. Il s’est en effet abstenu de critiquer publiquement l’implication active de ce dernier dans les massacres syriens.

Les brigades du Tawhid de Wiam Wahhab pourraient marquer une rupture dans les bonnes relations qui existent entre Walid Joumblatt et le Hezbollah. Ce dernier doit être conscient qu’un consentement de sa part à la création d’un groupe paramilitaire agissant au sein de la communauté druze ne ferait que dégrader ses rapports avec Walid Jumblatt.

Jusqu’ici, le Hezbollah est resté, sans surprise, totalement silencieux face à la déclaration de Wiam Wahhab.

Ce qui est encore plus déroutant, ce sont les motivations du Hezbollah de dupliquer une organisation paramilitaire qui existe déjà : les Brigades de la résistance que le Hezbollah utilise fréquemment pour malmener et supprimer toute opposition à son autorité.

Les Brigades de la résistance sont à ce jour composées d’un ramassis de frappes et de brutes que le Hezbollah pourrait facilement contrôler. Il continue cependant de s’en laver les mains, lorsque cela est nécessaire.

Le pari druze du Hezbollah

Cependant, dans le cas de l’entreprise fasciste hasardeuse proposée par Wiam Wahhab, la levée d’une milice sans véritable idéologie, les objectifs ne sont pas aussi évidents que dans le cas des Brigades de la résistance, ni aussi avantageux pour le Hezbollah et ses alliés.

Dans le passé, le Hezbollah a tenté d’armer les éléments anti-Jumblatt chez les druzes, dans l’espoir que ces cellules dormantes rejoignent l’organisation au moment opportun et attaquent leurs frères druzes.

Lors des célèbres affrontements du 7 mai 2008 cependant, qui ont vu le Hezbollah mener l’assaut contre les forces gouvernementales du Premier ministre de l’époque Fouad Siniora, le pari druze du Hezbollah s’est retourné contre lui.

Il espérait en effet utiliser les druzes anti-Jumblatt comme cheval de Troie, mais les membres du Hezbollah ont rapidement découvert que le caractère tribal de la communauté druze poussait les druzes à grossir les rangs de leurs frères, capables d’infliger une terrible défaite au Hezbollah.

Il semble donc évident que Wiam Wahhab n’a aucune chance d’affaiblir le pouvoir de Walid Jumblatt, au-delà des quelques échauffourées causées par ses partisans dans les villages druzes et qui gênent la paix civile, chérie par Walid Jumblatt.

Les limites de la stratégie d’intimidation

Dans un passé assez proche, le Hezbollah a utilisé ses Brigades de la résistance, surnommées par certains les « chemises noires », pour imposer Najib Mikati comme Premier ministre. Walid Jumblatt qui était alors en position de faire basculer l’élection a fini par céder à ces pressions, et a proposé Najib Mikati pour former le prochain gouvernement.

Cette fois-ci cependant, les choses sont différentes. La formation de « chemises noires » druzes ne va pas être pris à la légère par Walid Jumblatt, ni par ses partisans druzes. Essayer d’arracher une concession politique à Walid Jumblatt, comme dans l’affaire Najib Mikati est une chose ; menacer les druzes dans leur ensemble en est une autre. Cette initiative va déclencher une réaction extrêmement violente dans la communauté.

Une grande part de la stratégie iranienne dans la région repose sur une stratégie des « chemises noires », à travers son soutien à des milices telles que les Hachd al-Shaabi en Irak, les Houthis au Yémen ou les Brigades de la résistance au Liban.

Mais malgré ses succès, cette stratégie de l’intimidation a des limites. Si le Hezbollah s’obstine à utiliser des figures comme Wiam Wahhab pour attiser les flammes du sectarisme ou simplement pour peser en Syrie et dans la région, il risque de perdre le soutien de Walid Jumblatt, une des nombreuses figures libanaises modérées qui a, pour l’instant, évité ce que certains voient comme un affrontement inévitable entre le Hezbollah et les Libanais dans leur ensemble.

Makram Rabah est doctorant en histoire à l’Université de Georgetown. Il est l’auteur de A Campus at War: Student Politics at the American University of Beirut, 1967–1975, et coopère régulièrement comme éditorialiste pour le site d’information Now Lebanon.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Des musiciens de la fanfare du Hezbollah se tiennent devant une photo de combattants du groupe s’apprêtant à défiler lors d’une cérémonie à Beyrouth le 26 septembre 2008 pour la journée mondiale d'al-Quds (Jérusalem), en solidarité avec le peuple palestinien (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par Pierre de Boissieu.

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