Liban : le soutien de Saad Hariri à Michel Aoun pour la présidence, prémice d'un séisme politique
L’ancien Premier ministre libanais Saad Hariri a l’intention de soutenir Michel Aoun pour la présidence, vacante depuis deux ans et demi, ont déclaré ce mercredi des sources politiques confirmées, dans un paysage politique libanais toujours un peu plus insondable.
Michel Aoun, connu pour être un allié du Hezbollah, pourrait être élu à la tête de l’État dès ce mois-ci après un soutien proclamé par Hariri, pourtant opposant de longue date du groupe chiite soutenu par l’Iran.
Hariri deviendrait alors, une nouvelle fois, Premier ministre, à l’issue d’un plan qui pourrait redessiner la politique au Liban. Cette perspective a eu pour effet d’attirer l’opposition dans son parti. Une décision finale n’a toutefois pas encore été prise, ont confié ses alliés à l’agence de presse Reuters.
La présidence, dans ce pays où le partage du pouvoir fait l’objet d’arrangements entre les différentes confessions, est réservée à un chrétien maronite. Mais depuis deux ans et demi, en raison de conflits politiques, elle se retrouve vacante. Selon le pacte national de 1943, le Premier ministre doit être un musulman sunnite et le président du parlement, un musulman chiite.
Michel Aoun, un vétéran de la politique, aujourd’hui octogénaire, convoite depuis longtemps le poste de président, essentiellement un rôle figuratif étant donné que toutes les décisions doivent être approuvées par le Premier ministre et le président du parlement.
La candidature de Aoun n’a pas permis de savoir si elle susciterait assez de soutiens parmi les autres politiques pour assurer le vote nécessaire des deux-tiers des 128 sièges du parlement.
La prochaine session parlementaire programmée pour l’élection du président est fixée au 31 octobre.
Le Liban a essayé, en vain, à 32 reprises, de désigner un président depuis le départ de Michel Sleiman en mai 2014.
Parmi les opposants à la candidature de Aoun, cette fois-ci, se trouve notamment Nabih Berri, le président du parlement, chef du mouvement chiite Amal et proche du Hezbollah, qui lui-même ne s’est pas encore exprimé.
Crise de liquidités
Nabih Berri a prévenu que si Aoun était élu président, cela pourrait conduire à « une guerre civile », – une phrase éloquente pour un pays qui a souffert de quinze ans guerre civile – et pourrait avoir « de graves conséquences qui menacent la coexistence ».
Saad Hariri, 46 ans, a conduit l’Alliance du 14-Mars contre le Hezbollah et ses alliés depuis 2005, année de l’assassinat de son père, Rafiq Hariri, aussi Premier ministre.
Il reste un critique féroce du Hezbollah, qui se bat en Syrie en soutien au président Bachar al-Assad.
Il a conduit le Courant du futur, un mouvement politique fondé par son père, à la victoire lors des élections de 2009 et occupa le poste de Premier ministre. Mais en janvier 2011, son gouvernement a été renversé par une coalition menée par le Hezbollah qui le força, lui et sa coalition, à démissionner. Depuis, il passe la majeure partie de son temps à l’étranger.
Cette dernière proposition, impensable jusqu’à il y a peu, apporte un nouvel éclairage sur l’impasse dans laquelle se trouve Hariri, dont le statut d’homme politique sunnite le plus influent du Liban a été émoussé par la crise financière qui frappe son entreprise de construction basée en Arabie saoudite.
Le groupe Saudi Oger a été durement touché par la chute des prix du baril de pétrole et les coupes dans les dépenses de l’État saoudien. L’entreprise a licencié plus de 1 300 travailleurs le mois dernier après avoir perdu le contrat public pour faire tourner la plus grande entreprise d’impression du Coran.
Ces problèmes ont conduit à une crise de liquidités dans le Courant du futur, le parti de Hariri, et la crise financière a forcé Hariri à réviser sa relation avec le Hezbollah.
Les diplomates disent aussi que Hariri n’est plus dans les bonnes grâces de l’Arabie saoudite, qui, ces temps-ci, est davantage préoccupée par l’influence iranienne dans le golfe, qu’elle doit contrer, et par la Syrie que par le Liban.
Les observateurs laissent entendre que l’Arabie saoudite a coupé les vivres à Hariri l’an dernier alors que ce dernier n’a pas réussi à freiner le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, dans ses tirades publiques au vitriol contre l'État du golfe.
L’intention d’Hariri de soutenir Aoun, un allié du Hezbollah, pourrait être un nouveau symptôme d’un glissement dans la politique étrangère de l’Arabie saoudite. Après que Beyrouth a échoué à condamner les attaques contre ses représentations diplomatiques en Iran, Riyad a bloqué un ensemble de fonds de 3 milliards de dollars (2,7 milliards d’euros) destiné à l’armée libanaise.
Opposition de l’intérieur
Deux vétérans de la politique ont expliqué à Reuters que si Hariri a exprimé son intention de nommer Aoun à la présidence, ce n’est que pour remplir la part de l’accord sur le partage du pouvoir.
Une troisième source, un membre du Courant du futur, a confirmé que Hariri avait exprimé ses intentions, mais que les membres de son propre groupe parlementaire s’y étaient opposés.
Fouad Siniora, ancien Premier ministre et chef du groupe parlementaire du Courant du futur, a rapporté au journal The Daily Star que Hariri avait fait part mardi aux députés de sa décision de soutenir la candidature de Aoun, mais il ajoutait qu’ « aucun décision finale n’avait été encore prise à ce sujet ».
Une des sources les plus confirmées a affirmé que Hariri annoncerait son soutien à Michel Aoun « dans les prochains jours ».
L’actuel gouvernement du Premier ministre Tammam Salam s’est retrouvé paralysé par des rivalités exacerbées par le conflit régional.
L’an dernier, Hariri avait désigné un autre allié du Hezbollah, Soleiman Frangié, pour la présidence, mais le Hezbollah a finalement misé sur Aoun.
Michel Aoun, un ancien commandant de l’armée, est à la tête du plus important groupe parlementaire et est largement suivi dans la communauté chrétienne pourtant divisée. Il est l’allié du Hezbollah depuis 2006.
Personnalité importante du Liban pendant la guerre civile, entre 1975 et 1990, Aoun a mené un des deux gouvernements rivaux pendant les dernières années du conflit. En 1990, l’armée syrienne l’a forcé à l’exil.
Il est revenu en 2005 une fois que les forces syriennes se sont retirées du Liban sous la pression internationale après l’assassinat de Hariri.
Le principal concurrent chrétien de Aoun, Samir Geagea, son ennemi du temps de la guerre, a aussi soutenu la candidature de Aoun plus tôt dans l’année.
Ghida Itani a contribué à cet article.
Traduit de l'anglais (original).
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