EN IMAGES : Les pêcheurs d’Oman, maillons du commerce mondial qui décime les requins
À l’aube, à la pointe nord de Musandam, qui fait face au détroit d’Ormuz, de nombreux pêcheurs sautent sur leur bateau et quittent le village isolé de Kumzar pour prendre le large à la recherche des derniers requins.
« La pêche au requin est une tradition reconnue », explique Abdallah Kumzari, 52 ans, imam et marchand de requins. Au pied d’impressionnantes montagnes dorées, la surface huileuse de la mer reflète la lumière du soleil. « Aujourd’hui, de gros requins peuvent se vendre 500 rials (1 200 euros) », précise-t-il.
Même s’il n’est que le 17e exportateur d’ailerons de requins dans le monde, Oman est un maillon essentiel dans la chaîne mondiale du commerce qui a mis de nombreuses espèces de requins en danger d’extinction dans le monde entier, relèvent les experts.
« Ici à Musandam, nous n’avons rien. Regardez ce que nous gagnons chaque mois », se plaint Said Sheesa, ancien pêcheur de requins qui habite dans la ville côtière de Dibba. En raison de la réduction des stocks, Sheesa a abandonné la pêche pour travailler dans le tourisme.
Selon une étude menée par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), entre 2000 et 2011, Oman a exporté la valeur de 2, 438 millions de dollars (2, 2 millions d’euros) d’ailerons de requins chaque année.
Mais selon Hossein Ali, expert en environnement marin au ministère de l’Agriculture et de la Pêche, « aucune espèce dans les eaux d’Oman n’est menacée », affirme-t-il à Middle East Eye par téléphone.
« Si vous voulez pêcher des requins ici, à Oman, pour en faire du commerce, par exemple, il suffit d’avoir une licence, à condition que vous n’utilisiez pas des outils pour la pêche industrielle », précise-t-il.
Mais malgré ce que prétend Ali, plusieurs espèces dans les eaux d’Oman et des Émirats sont bien menacées, selon Rima Jabado, une biologiste libanaise spécialisée dans les requins de la région du Golfe.
Ali ne sait pas si Oman est signataire de la Convention sur le commerce international des espèces menacées de la faune et de la flore sauvages (CITES), qui protège la nature sauvage de la surexploitation et empêche le commerce international de menacer les espèces, il ne sait même pas que cette convention existe.
Le rapport de Jabado sur le commerce de requins et ses produits dérivés dans les Émirats arabes unis (EAU), publié en septembre 2014, a trouvé que selon les enquêtes citées dans le rapport sur les marchés de requins à Dubaï en 2014, où sont d’abord exportés la plupart des requins pêchés à Oman, « le risque d’extinction à l’échelle mondiale est élevé pour 45 % des espèces faisant l’objet de commerce, selon les estimations mondiales de la Liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature [IUCN] ».
À trois heures de camion du gouvernorat de Musandam, Dubaï représente une porte d’entrée au monde pour les pêcheurs omanais. Dubaï est devenue « ces quinze dernières années, un marché régional et un carrefour pour les exportations des pays du Conseil de coopération du Golfe (GCC), le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Europe », relève le rapport.
Mais les Émirats arabes unis sont uniquement une plateforme d’exportation vers la destination où tout se passe pour les ailerons de requins. « Oui, la plupart des ailerons produits au Moyen-Orient arrive à Hong Kong, en particulier ceux d’Oman et du Yémen », explique Gary Stokes, 45 ans, directeur du bureau Asie à la Sea Sheperd Conservation Society, une organisation pour la conservation marine à but non lucratif, basée à Washington.
Il y a quelques années de cela, « un marchant a reconnu devant moi que c’était par le biais de la compagnie aérienne Emirates que ses ailerons de requin étaient importés à Hong Kong. J’ai appelé Emirates pour les provoquer et voir ce qu’ils avaient à répondre sur leur responsabilité en la matière. Ils ont répondu qu’ils ne transportaient pas d’ailerons de requin… Mais la vérité, c’est qu’ils ne savent pas ce qu’il y a en réalité dans les containers enregistrés dans la catégorie ‘’fruits de mer’’ », ajoute Stokes.
En réponse à ces accusations, un porte-parole d’Emirates a répondu par mail à MEE que le transport de tous les ailerons de requin a été interdit sur les vols cargos d’Emirates depuis juin 2013.
« Emirates ne transporte pas de requins d’Oman et toutes les cargaisons de poisson doivent obtenir un certificat du ministère des Pêches d’Oman avant qu’ils soient autorisés pour chargement, il n’y a donc aucun risque de cargaison illicite », a répondu le porte-parole d’Emirates.
« Nous travaillons en étroite collaboration avec le groupe de travail de United for Wildlife Transport, et nous nous sommes engagés dans la prévention du transport d’espèces sauvages et de produits dérivés d’espèces sauvages. »
Alan Chan, assistant chargé de l’information au département Agriculture, Pêches et Sauvegarde à Hong Kong, a confirmé à MEE qu’« en 2015 et 2016, 20 et 26 tonnes d’ailerons de requins inscrits parmi les espèces listées et soumises à des permis par la CITES ont été importés essentiellement d’Australie et d’Amérique centrale. »
À Oman, la pêche au requin peut être un sujet sensible et les pêcheurs restent puissants.
« Toute interdiction ou changement dans la loi pour réguler les captures ou les orienter impacte les pêcheurs et leur famille, en particulier sur les côtes reculées où la pêche est un moyen de subsistance », relève Jabado. « Dans les régions, les pêcheurs sont particulièrement forts en raison du rôle culturel de la pêche et du fait que le gouvernement voudrait voir ce secteur se développer. »
Plusieurs sources sollicitées par MEE qui ont demandé à rester anonymes pour des raisons de sécurité, opposées à la pêche au requin à Oman, parlent franchement de la violence et de l’intimidation exercées par les autorités locales après des tentatives d’enquêtes sur ce commerce.
Christophe Chellapermal, propriétaire français d’un club de plongée à Dibba, à Oman, a cru pendant longtemps qu’il pourrait convaincre les autorités omanaises et les pêcheurs d’orienter leurs affaires vers une solution impliquant le tourisme plutôt que la pêche au requin.
« Nous sommes allés sur des spots avec Steven Sturina, un guide touristique spécialisé dans les expériences de plongée avec les requins, mais nous n’avons rien trouvé. »
« Il n’y a plus rien sous l’eau », confirme Abdellah Mohammed Ali al-Dahouri, 79 ans, descendant d’une des plus célèbres familles de pêcheurs de la région.
Cette pénurie de requins pose des problèmes à Musandam, car les revenus générés par la pêche au requin sont considérables pour l’économie locale et la société. Et Chellapermal de conclure en soupirant : « Un requin en vie vaut mille fois plus qu’un requin mort. »
Traduit de l'anglais (original).
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