EXCLUSIF : Les groupes islamistes armés en Libye dans le collimateur de Washington
ALGER - « Tous les pays impliqués dans le dossier libyen ont été saisis. Washington a décidé de couper les vivres aux groupes terroristes en Libye », avertit une source des renseignements algériens.
Selon les informations recueillies par Middle East Eye, les consignes auraient été passées par le biais du Département d’État.
« On sait par exemple qu’ils ont envoyé un avertissement au Qatar, soupçonné, au même titre que la Turquie, d’alimenter en financements et en armes les groupes terroristes, pour qu’il coupe tout lien avec eux, notamment avec des ex-leaders du Groupe islamique combattant en Libye [GICL] qu’a dirigé Abdelhakim Belhadj », poursuit notre interlocuteur.
Abdelhakim Belhadj, opposant à l’ex-dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, est aujourd’hui une figure clé du paysage politique en Libye, en particulier à Tripoli où il dirige le parti El Watan et dont l’influence sur les milices est très importante.
« Il figure sur une liste de 80 personnalités libyennes, des dirigeants anciens et actuels d’al-Qaïda que les Américains ont donné aux Tunisiens. Ces derniers sont censés mettre leurs comptes sous surveillance, enquêter sur leurs investissements et prévenir Washington au moindre mouvement d’argent suspect », poursuit notre source.
La plupart de ces personnalités sont devenues très riches depuis la chute de Kadhafi et contrôlent des milices – et pas seulement à Tripoli mais aussi à Sebrata, Derna, Benghazi, etc…
Point de discorde entre Alger et Le Caire
Sur cette liste figure aussi Abdelbasset Azzouz. Né en 1965 à Derna, il est l’un des chefs d’al-Qaïda en Libye. Il se trouvait au Pakistan en 2011 et c’est sur ordre de la maison mère – on le dit proche d’Ayman al-Zawahiri – qu’il aurait été envoyé en Libye. Des rumeurs ont dit qu’il avait été arrêté par les Américains mais il n’y a eu aucune confirmation officielle et la liste tendrait à prouver le contraire.
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Son nom est inscrit à côté de celui de Salah al-Barki, puissant chef de milice à Tripoli, qui aurait participé à la célèbre bataille de l’aéroport de Tripoli à Mitiga en 2014.
Ou encore à côté de celui de Nasser Tlemoune, qui fut l’un des chauffeurs d’Oussama Ben Laden en Afghanistan. Aujourd’hui chef d’une milice au centre de la Libye et important commandant d’al-Qaïda, il s’est par ailleurs illustré dans la bataille de Brega.
Selon des sources sécuritaires libyennes, la liste vise aussi Abdelhakim el-Mechiti, Ahmed el-Mechiti et Ayman el-Djijawi – ce dernier est un haut cadre d’al-Qaïda – trois cousins recherchés par les États-Unis, notamment pour leur implication dans la préparation d’une attaque contre le consulat suisse à Benghazi.
Fin avril, le ministre algérien des Affaires maghrébines, Abdelkader Messahel, a rappelé que si l’Algérie était favorable au dialogue politique, les discussions ne pouvaient pas intégrer les « groupes terroristes listés par l’ONU », à savoir l’EI, al-Qaïda et Ansar al-Charia.
Dans les faits, Alger demande à ce que les armes soient déposées mais souhaite inclure les islamistes dans le jeu politique, un point de discorde avec Le Caire qui, au contraire, pose comme préalable à toute négociation l’exclusion de ces groupes, qu’ils soient armés ou désarmés.
« Washington fait pression sur les Frères musulmans tunisiens pour qu’ils arrêtent de travailler avec les Libyens. L’objectif est de les isoler », confirme une source diplomatique tunisienne.
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Mi-avril, le conseiller en politique étrangère de Donald Trump, Walid Phares avait affirmé sur sa page Facebook avoir reçu des informations selon lesquelles « les islamistes en Libye et les islamistes en Tunisie collaboraient pour faire tomber le gouvernement tunisien. »
Traduction : « Développements en Tunisie. Nous avons été informés sur des tentatives en cours de la part des islamistes tunisiens de renverser le gouvernement démocratiquement élu et laïc à Tunis en coordination avec des factions islamistes libyennes à Tripoli. Si cela se confirme, cela serait un défi majeur pour les modérés dans le pays et en Afrique du Nord, et donc, pour les États-Unis »
Du côté d’Alger, on s’interroge sur le timing de cette décision, « juste après la visite de Trump à Sissi [le 3 avril] qui peut donc aujourd’hui se prévaloir d’un soutien américain dans les négociations pour écarter complètement les islamistes de la scène politique », souligne un cadre de l’État algérien proche du dossier. « Tout laisse penser que les Américains se dirigent tout doucement vers des opérations militaires contre ces groupes. »
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