Après sept ans de prison, Imed Trabelsi veut « se réconcilier » avec les Tunisiens
TUNIS – « Je m’appelle Imed Trabelsi. J’aurai bientôt 46 ans. J’étais proche de ma tante, Leila Trabelsi, du fait que j’ai été élevé par ma grand-mère ».
Le visage amaigri par sept années de prison, les cheveux soignés et tirés en arrière, Imed Trabelsi, neveu de la femme du dictateur tunisien Ben Ali, apparaît pour la première fois sur l’écran de la salle des auditions de l’Instance Vérité et Dignité (IVD), organe créé fin 2013 pour s’occuper du processus de justice transitionnelle et mettre en lumière les abus de la dictature tunisienne.
Le témoignage n’est pas anodin, il intervient dans le cadre d’une séance d’auditions publiques sur le thème de la corruption, sujet d’actualité récurrent en Tunisie alors que la Présidence tente de faire passer une loi dite de réconciliation qui permettrait aux hommes d’affaires et à tous les fonctionnaires ayant commis un fait de corruption, d’être amnistiés en échange d’une pénalité.
Condamné à 108 ans de prison pour des chèques sans provision, transfert illicite d’avoirs à l’étranger ainsi qu’octroi illégal de terrains, Imed Trabelsi a contacté en 2015 l’Instance Vérité et Dignité dans le cadre d’une procédure d’arbitrage qui permet d’opérer une redevabilité pour les crimes économiques en échange de contreparties.
Enregistré lors de deux auditions d’un total de treize heures d’entretiens, depuis la prison où il séjourne à Monarguia, l’un des membres les plus connus du clan des Trabelsi a expliqué les mécanismes du système de corruption dont il a fait partie. Son audition était retransmise en direct à la télévision tunisienne.
D’abord employé de son père dans une usine de fripes à Meknassy, le jeune Imed est très vite frustré par un train de vie qui ne lui convient pas. Il tente de monter ses propres affaires au fur et à mesure que sa tante, mariée au président de la République, commence ses propres magouilles et élargit son empire économique et financier via des membres de sa famille.
« À 22 ans, j’ai été victime d’un accident de voiture. L’ancien président est venu à mon chevet et m’a dit qu’il fallait que je fasse quelque chose de ma vie, que j’ai une carrière. J’ai répondu que je n’avais pas de quoi commencer à faire des affaires. Il m’a répondu ‘’On va t’aider’’ », raconte Imed Trabelsi. S’ensuit alors des appropriations de terrains et de propriété sur lesquels il monte des projets immobiliers, parfois en toute illégalité.
Des bananes aux climatiseurs, une corruption des douanes
Sûr de lui, parfois même fier, Imed Trabelsi raconte comment, grâce à quelques coups de fils à « [ma] tante », les choses s’enchaînent. Grâce à son premier business, l’importation de bananes, il commence à corrompre les agents de la douane pour que les containers qu’il reçoit au port de Radès ne soient pas contrôlés.
« La durée de vie d’une banane est de vingt jours, si vous suivez les règles, un contrôle de douane peut prendre jusqu’à dix jours. Nous, nous nous sommes arrangés pour que les douaniers traitent en priorité nos containers et laissent en rade les autres bateaux qui livraient aussi des bananes. Les douaniers savaient que j’étais le plus généreux, je les payais quatre à cinq fois plus que d’autres », rapporte encore Imed Trabelsi tandis que dans la salle de l’IVD, les spectateurs rient jaune face à son aplomb.
« Je n’imaginais pas que les Tunisiens buvaient autant ! En deux ans j’ai contrôlé près de 30 % du marché tunisien »
-Imed Trabelsi
L’homme d’affaires se rend compte qu’il peut aussi importer et exporter divers produits en s’arrangeant pour que les douaniers écrivent qu’ils contrôlent un container de fruits secs – alors qu’en fait il s’agit de climatiseurs.
« On créait des sociétés pour le montage de climatiseurs afin de payer moins d’impôts et après, nous faisions croire que nous montions les climatiseurs dans cette société » décrit-il. « Parfois, nous faisions passer du cuivre en disant que c’était des fruits secs. Tout le monde faisait ça. Tant que les douaniers peuvent écrire ce qu’ils veulent lorsqu’ils contrôlent la marchandise, c’est facile, et beaucoup le font encore aujourd’hui » témoigne Imed Trabelsi.
Plus qu’un mea culpa sur les nombreuses affaires judiciaires à sa charge, Imed Trabelsi a surtout montré comment un homme ordinaire pouvait devenir l’homme d’affaires le plus puissant de Tunisie grâce à des entourloupes et quelques billets distribués de-ci, de-là.
« Ensuite, je me suis intéressé au marché de l’alcool. Je n’imaginais pas que les Tunisiens buvaient autant ! En deux ans j’ai contrôlé près de 30 % du marché tunisien à la fois légal et illégal », se vante-t-il.
Le 14 janvier
De magouille en magouille, l’homme est même allé jusqu’à négocier sa fuite de Tunisie au moment de la révolution. « Le 14 janvier, on m’a remis, avec d’autres membres du clan, à l’armée. Puis nous avons été emmenés à la caserne de l’Aouina. Là-bas, le colonel Ilyes Mnakbi, aujourd’hui PDG de Tunisair, m’a accueilli. Il y avait des chaises dans la salle, et des agents ont commencé à les enlever comme s’ils préparaient la salle pour me battre. J’ai dit à Ilyes Mnakbi : ‘’Appelez untel, vous allez voir, c’est un ami’’. Il m’a répondu : ‘’Vous n’avez plus d’amis’’, mais il a passé le coup de fil. »
Après cet appel, Imed Trabelsi se voit offrir des rafraîchissements « et les chaises ont été remises à leur place », rigole-t-il. « On m’a dit : ‘’Si tu trouves des gens qui te fournissent un avion, on pourra te sortir d’ici’’. » Mais une fois l’avion trouvé grâce encore à de multiples coups de fils, le président par intérim Mohamed Ghannouchi interdit son départ, et Imed Trabelsi sera finalement transféré à la prison de Monarguia en attendant ses multiples procès.
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Aujourd’hui l’homme dit regretter et vouloir profiter de son audition pour s’excuser auprès des Tunisiens. « Avec la commission de l’IVD, j’ai signé un accord. Je m’excuse et je souhaite tourner la page afin que l’on revienne à une vie ordinaire », lance-t-il au parterre qui s’esclaffe. « J’ai fait des choses à cause de l’arrogance et de la tentation, je suis un être humain. Je suis un citoyen tunisien et je suis désolé. J’ai passé sept ans en prison et j’aimerais en finir avec ça. J'ai parfois violé la loi. D'autres fois, je l’ai respectée. Les êtres humains font des erreurs et les meilleurs sont ceux qui se repentent. »
Sur Facebook, les réactions à son témoignage ont montré qu’aujourd’hui encore, peu de Tunisiens sont prêts à pardonner un système qui perdure, comme l’a admis plusieurs fois Imed Trabelsi.
« Ce n’était pas l’apanage des Trabelsi », assure-t-il. « Beaucoup de gens font encore ce que j’ai fait. »
Selon la radio tunisienne Mosaïque FM, le ministre de la Justice Ghazi Jeribi a autorisé l'ouverture d'une enquête sur les déclarations faites par Imed Trabelsi.
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