Une iranophobie dangereuse : Trump se dirige vers son propre « axe du mal »
Les commentaires internationaux sur la diabolisation répétitive de l’Iran par Donald Trump lors de sa visite en Arabie saoudite ont largement fait état, à juste titre, du contraste entre le déni de la démocratie que le royaume saoudien inflige à ses citoyens et les élections présidentielles profondément imprévisibles qui ont eu lieu dans le pays même que Trump critiquait.
Les États-Unis devraient saluer la victoire de Rohani, mais cela obligerait Trump à accepter que la politique d’Obama consistant à impliquer l’Iran était justifiée
Ce que l’on a moins remarqué, c’est la similitude sinistre entre la charge de Trump contre l’Iran et la politique menée par le dernier républicain à la Maison Blanche, George W. Bush.
Nous devrions nous rappeler comment Bush fils a traité le président réformiste iranien de l’époque, Mohammad Khatami, qui tentait de renouer avec l’Occident et de trouver un compromis sur la question du nucléaire. La réélection de Khatami en 2001 a été saluée par la Grande-Bretagne et d’autres pays européens qui ont envoyé leur ministre des Affaires étrangères à Téhéran pour favoriser le dialogue.
Mais en janvier 2002, Bush – à la surprise des Européens et des Iraniens – a inscrit l’Iran dans un « axe du mal ». Les espoirs d’un accord sur le nucléaire se sont affaiblis et, même si Khatami et Rohani, lequel était alors l’un des principaux négociateurs de l’Iran dans le dossier nucléaire, ont continué de proposer des concessions majeures, la mentalité intransigeante de la Maison Blanche est restée inflexible au cours du second mandat de Khatami.
La main tendue européenne compromise
Le pays étranger qui a salué avec le plus d’enthousiasme les efforts de Bush visant à isoler l’Iran était bien évidemment Israël. Ce n’était un secret pour personne que les Israéliens souhaitaient bombarder les installations nucléaires iraniennes ou, mieux encore, faire en sorte que les Américains le fassent pour eux. Ils ont été déçus lorsque Bush et ses conseillers néoconservateurs ont dirigé leur colère contre l’Irak à la place et lancé ce que les Israéliens ont considéré comme la mauvaise guerre.
Aujourd’hui, un parallèle troublant est établi par un autre président républicain ignorant, qui s’avance sur le sentier de la guerre contre l’Iran. Donald Trump s’est exprimé à Riyad en employant les mêmes termes simplistes que Bush : « C’est une bataille entre le bien et le mal. » Pour compléter la similitude avec Bush, Trump appelle à isoler l’Iran et soutient que le financement des terroristes par l’Iran « doit cesser immédiatement ».
Puis il s’envole pour Israël, l’autre pilier de l’axe anti-iranien, sans tenir compte du fait que l’électorat iranien vient de rejeter un membre conservateur du pouvoir judiciaire et choisi comme président le candidat qui représente une modération pragmatique, l’expérience en matière de politique étrangère et l’ouverture en faveur du monde extérieur.
Comme en 2001, les dirigeants politiques et commerciaux européens se sont rendus à Téhéran au cours des derniers mois pour raviver les liens d’affaires et aider le pays à se remettre de l’impact des sanctions. Ils soutiennent que l’Iran doit être membre à part entière du groupe de nations impliqué dans la recherche d’une solution politique à la guerre civile syrienne. Aujourd’hui, Trump met tout cela en danger.
« Les leçons de l’expérience »
Dans son discours de Riyad, Trump affirmait hautainement être guidé par le « réalisme de principe ». (La retranscription en anglais a employé des majuscules pour « Principled Realism ». Pour ceux qui n’ont pas lu mais écouté le texte, comment la voix du président a-t-elle reflété la solennité de cette doctrine Trump ?)
Les conseillers de Trump ont-ils oublié la guerre en Irak, la plus grande catastrophe de la présidence de Bush ?
Dans un effort manifeste visant à expliquer cette doctrine, il a poursuivi : « Nous éliminerons les stratégies qui n’ont pas fonctionné. Nous serons guidés par les leçons de l’expérience. » Ses conseillers ont-ils oublié la guerre en Irak, la plus grande catastrophe de la présidence de Bush ? N’ont-ils pas remarqué qu’en essayant d’isoler l’Iran de Khatami, ils ont encouragé l’ascension d’un successeur beaucoup plus hostile, Mahmoud Ahmadinejad ?
On pourrait soutenir que Trump, le vendeur, amplifie la peur en tant que meilleur moyen de persuader ses clients de se séparer de leur argent. L’énorme accord d’armement annoncé à Riyad ce week-end garantira certainement des dizaines de milliers d’emplois américains pendant une décennie voire plus. Rien ne prouve toutefois que la stratégie de Trump n’est qu’une proposition commerciale planifiée artificiellement.
Tout indique que Trump croit à ce qu’il dit. Cette idée s’inscrit dans la vision du monde néoconservatrice américaine, partagée par la famille royale saoudienne qui a redoublé d’efforts dans son incompréhension de la politique étrangère iranienne au cours des dernières années.
Les Saoudiens justifient leur intervention militaire coûteuse au Yémen par des affirmations exagérées portant sur une implication iranienne, tout en ignorant la preuve que les Houthis ont défié l’Iran, qui leur avait conseillé de ne pas prendre Sanaa en 2015.
En travaillant conjointement avec l’armée de l’air saoudienne, Trump se rend complice des crimes de guerre commis dans le pays et de la famine artificielle que le blocus saoudien a imposée aux Yéménites. Pourtant, dans son discours de Riyad, il a applaudi l’« action forte au Yémen » de l’Arabie saoudite.
Sujet au même aveuglement moral, Trump dépeint l’Iran comme le commanditaire principal de l’extrémisme et du terrorisme dans la région. Il ignore le fait que l’Iran a toutes les raisons de craindre l’hostilité ouvertement avouée du groupe État islamique envers le chiisme et d’aider ainsi les gouvernements irakien et syrien à résister à l’État islamique avant qu’il n’atteigne ses frontières.
Au lieu de féliciter publiquement Rohani pour sa réélection, le président américain dîne avec le dirigeant étranger qui désire le plus ardemment voir un changement de régime à Téhéran
Pendant ce temps, dans sa prétendue analyse des origines du terrorisme, Trump ne fait aucunement mention des campagnes parrainées par l’Arabie saoudite visant à répandre le wahhabisme dans tout le Moyen-Orient, ni du financement par les pays du Golfe des djihadistes islamistes en Syrie.
Puis il se rend en Israël, l’autre grande force de diabolisation de l’Iran. Alors que l’Arabie saoudite combat l’Iran sur un champ de bataille par procuration, Israël a le potentiel pour livrer lui-même une guerre contre l’Iran. Au lieu de féliciter publiquement Rohani pour sa réélection, le président américain dîne avec le dirigeant étranger qui désire le plus ardemment voir un changement de régime à Téhéran.
Il convient de se demander si les deux hommes manigancent de nouveaux plans pour resserrer l’étau sur l’Iran – jusqu’à l’usage de la force armée.
Des élections imprévisibles
Cela ne veut pas dire que tout va bien en Iran. Le système électoral est étroitement contrôlé et le pouvoir judiciaire a le droit d’opposer son veto à des candidats. Sur les plus de 1 600 Iraniens inscrits comme candidats, moins de dix ont été approuvés. Pourtant, une fois la liste annoncée, une véritable compétition se joue.
Le fait que l’adversaire de Rohani jouissait du soutien du puissant corps des Gardiens de la révolution islamique, du pouvoir judiciaire et du guide suprême iranien sans gagner pour autant montre à quel point la compétition a été imprévisible
Les débats télévisés de cette année ont été étonnamment agressifs, truffés d’accusations de corruption et d’incompétence assénées librement ainsi que de divergences claires en matière de politique économique. Le fait que l’adversaire de Rohani jouissait du soutien du puissant corps des Gardiens de la révolution islamique, du pouvoir judiciaire et du guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, sans gagner pour autant montre à quel point la compétition a été imprévisible.
Rohani a de nombreux défauts. Il s’est montré ultra-prudent en matière de droits de l’homme pendant ses premiers mandats, n’osant pas condamner l’assignation à résidence de deux candidats aux élections présidentielles de 2009, Mir Hossein Moussavi, ancien Premier ministre, et Mehdi Karroubi, ancien président du parlement, et encore moins prendre des mesures pour y mettre un terme.
Rohani devrait agir pour les faire libérer maintenant ainsi que pour mettre fin à l’emprisonnement d’autres Iraniens ou binationaux dont les procès et les condamnations ont été faussés.
Les États-Unis devraient saluer Rohani
En dépit de leurs différences de développement démocratique, l’Arabie saoudite et l’Iran ont beaucoup de choses en commun en matière de problèmes socio-économiques : un taux de chômage élevé chez les jeunes, un écart de revenus croissant entre riches et pauvres et une corruption massive.
Rohani est parvenu à faire passer l’économie de la récession à la croissance, en grande partie grâce à une montée en flèche des exportations de pétrole après la levée des sanctions. Il a toutefois peu agi pour mettre fin au chômage et à la corruption, tandis que la majeure partie de l’augmentation du commerce extérieur et des investissements a bénéficié aux sociétés appartenant au corps des Gardiens de la révolution islamique ou aux associés économiques du guide suprême.
Comme l’a souligné récemment Ali Fathollah-Nejad, spécialiste à Harvard, Rohani poursuit une stratégie d’austérité néolibérale plutôt qu’une stratégie keynésienne consistant à utiliser des fonds gouvernementaux pour stimuler l’investissement. La politique du président repose sur une réduction des subventions gouvernementales accordées aux moins favorisés et sur une limitation des droits des syndicats, dans l’espoir jusqu’à présent inassouvi de voir le secteur privé se développer et créer de nouveaux emplois.
La frustration populaire face à l’absence de résultats de cette politique a ouvert la voie aux attaques de ses adversaires électoraux de gauche ainsi que de la droite populiste. C’est principalement en raison de la plus grande volonté de Rohani d’inciter à la réforme sociale et de s’ouvrir plus pleinement au monde extérieur que, malgré les mauvaises performances économiques, il est parvenu à remporter la majorité des suffrages.
Sa victoire aurait dû être saluée par les États-Unis. Mais cela obligerait Trump à accepter que la politique d’Obama consistant à impliquer l’Iran et à rechercher un équilibre entre l’Arabie saoudite et l’Iran était justifiée.
Au lieu de cela, nous revenons à un penchant énorme des États-Unis pour l’iranophobie. Les dangers sont clairs. Souvenez-vous de Bush en 2002 et de la démarche qui a entraîné la guerre contre l’Irak. Aujourd’hui, après les visites de Trump dans les États les plus iranophobes de la région, nous devrions nous méfier d’un élan vers une nouvelle guerre.
- Jonathan Steele est un correspondant à l’étranger et auteur d’études largement acclamées sur les relations internationales. Il était le chef du bureau du Guardian à Washington à la fin des années 1970 et à Moscou lors de l’effondrement du communisme. Il a écrit des livres sur l’Irak, l’Afghanistan, la Russie, l’Afrique du Sud et l’Allemagne, dont Defeat: Why America and Britain Lost Iraq (I.B. Tauris, 2008) et Ghosts of Afghanistan: The Haunted Battleground (Portobello Books, 2011).
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : les dirigeants finissent de poser pour une photo de groupe lors du Sommet arabo-islamique et américain au Centre de congrès du roi Abdelaziz à Riyad (Arabie saoudite), le 21 mai 2017 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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