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Pourquoi l'Iran veut éviter tout conflit avec l'Arabie saoudite

La question au cœur des tensions irano-saoudiennes ? La présence américaine dans la région. L’Iran fera tout pour éviter un affrontement majeur, et empêcher ainsi toute intervention américaine

En dépit de l’escalade des tensions publiques et diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie saoudite – et plus récemment l’aggravation des tensions militaires, lorsque les forces navales iraniennes ont enjoint l’Arabie saoudite de mettre un terme à ses grandes manœuvres dans le détroit d'Ormuz – l’Iran s’attache toujours à ne pas entrer en conflit frontal avec l’Arabie saoudite.

Pour l’Iran, le problème va bien au-delà des simples relations bilatérales avec l’Arabie saoudite. Son plus grand souci, c’est l’éventualité d’un retour des États-Unis dans la région.

On réduit souvent les racines du conflit entre l’Iran et l’Arabie saoudite à la rivalité idéologique chiite-sunnite ou à leur rôle géopolitique concurrent dans la région. Indubitablement, ces tensions se sont intensifiées suite à l’incident survenu lors du Hadj de l’an dernier, causant la mort de centaines de pèlerins iraniens.

Cependant, on ne saurait ignorer un autre facteur, d’égale importance dans l’équation : les divergences de vues entre ces deux États sur la présence des États-Unis au Moyen-Orient et les problèmes de sécurité qui en découlent.

Depuis toujours, les Saoudiens estiment que la présence américaine dans la région favorise leurs intérêts et la sécurité régionale. De leur point de vue, cette présence est essentielle pour contenir la montée en puissance régionale de l’Iran. Ils déplorent qu’en renversant les talibans et Saddam Hussein, les États-Unis ont modifié en faveur de l’Iran l’équilibre des forces régionales. Ils redoutent, suite à l’accord nucléaire, que la politique d’engagement de Barak Obama indique que Washington s’est résigné à accepter le rôle dominant de l’Iran dans la région.

Pour parer à cette éventualité, les Saoudiens ont adopté une politique à deux volets. D’abord, ils se sont lancés dans une politique indépendante et offensive dans la région (nom de code : Doctrine Salman), qui vise principalement à contenir l’Iran partout dans la région et le monde, et par tous moyens disponibles, tant politiques que militaires et économiques. Deuxièmement, ils s’appuient sur un lobbying intensif auprès du Congrès et des think-tanks américains, pour contester l’idée que l’accord nucléaire entre l’Iran et les États-Unis aurait produit des résultats positifs.

Les États-Unis : une pomme de discorde

La nouvelle politique de l’Arabie saoudite cache un objectif plus important : forcer les États-Unis, si un conflit venait à éclater, à choisir entre l’Iran et l’Arabie saoudite, et les faire revenir par conséquent dans la région.

Par exemple, elle espère voir les États-Unis intervenir militairement en Syrie afin de faire tourner l’avantage militaire en faveur du camp soutenu par l’Arabie saoudite : l’opposition au régime d’Assad. Elle espère aussi engager les États-Unis à soutenir un traité militaire institutionnalisé dans la région du golfe persique, officialisant que les Saoudiens sont à la tête des États arabes plus petits. C’est pourquoi l’Arabie attend avec impatience la fin de la présidence Obama.

En revanche, la présence américaine dans la région est perçue par l’Iran comme contraire à ses intérêts et à la sécurité régionale. Du point de vue de l’Iran – au-delà de ses préoccupations sécuritaires traditionnelles devant les efforts des États-Unis à apporter, entre autres, un « changement de régime » et réduire au minimum le rôle régional de l’Iran – c’est la présence américaine qui a provoqué l’augmentation de l’extrémisme et du sectarisme.

Les guerres menées par les États-Unis en Irak et en Afghanistan ont fourni aux groupes terroristes violents la justification qu’ils attendaient pour recruter de nouvelles recrues et poursuivre leur « combat sacré » contre les forces étrangères installées dans la région. Avec pour résultat la fragilisation de la sécurité iranienne au-delà des frontières, risquant de plonger le pays dans des conflits indésirables.

Pour faire changer cette situation, l’Iran a également adopté une politique à deux volets. Premièrement, il contribue à renforcer les gouvernements nationaux des pays amis comme l’Irak – en aidant le gouvernement au nom de son unité nationale et de la réduction des conflits confessionnels – et en Syrie où, en exigeant une solution politique passant par des pourparlers de paix, l’Iran veut surtout démontrer son soutien à la participation d’éléments non-terroristes au futur gouvernement de ce pays. L’Iran a également mobilisé des forces locales dans la lutte contre les groupes terroristes du type État islamique (EI) et al-Qaïda.

Deuxièmement, il tente d’élargir la coopération régionale, notamment avec des acteurs clés tels que l’Arabie saoudite et la Turquie, afin de résoudre les problèmes régionaux. Cette politique est destinée à supprimer la justification de toute velléité d’intervention militaire américaine dans la région.

Ne vous méprenez pas, cependant. L’Iran ne cherche pas à nier ou compromettre les intérêts américains dans la région. Au contraire, ce pays cherche à préserver ses intérêts politiques et sécuritaires en institutionnalisant tant son rôle que celui de ses alliés régionaux, composante essentielle de toute solution globale dans un contexte multilatéral. C’est pourquoi l’Iran n’a jamais cherché à exclure les États-Unis, pas plus que l’Arabie saoudite ou tout autre acteur des pourparlers de paix syriens : il est convaincu qu’une coalition politico-sécuritaire ne pourra jamais l’emporter à elle seule dans une crise aux ramifications si complexes.

J’en veux pour preuve la suggestion du ministre iranien des Affaires étrangères : pour résoudre les problèmes de la région, Mohamad Javad Zarif s’est prononcé en faveur de la création d’un forum de dialogue régional. Dans ses récentes déclarations sur les tensions entre l’Iran et les forces navales américaines dans le golfe Persique, il a fait valoir que ce sont les Américains qui ont obtenu la fermeture des frontières de l’Iran et compromis la sécurité du pays, alors qu’on ne peut reprocher à l’Iran d’avoir menacé les frontières des États-Unis. Cela démontre l’ampleur, côté iranien, du sentiment d’insécurité créé par la présence américaine.

Politique de la patience

À l’heure actuelle en Iran, deux points de vue s’opposent sur la façon de réagir aux politiques offensives de l’Arabie saoudite. Le premier tient pour une position plus ferme envers l’Arabie saoudite, car ce serait, sinon, envoyer aux États-Unis un message préjudiciable quant au rôle et à la puissance de l’Iran dans la région, semant la consternation parmi les alliés régionaux de l’Iran, et affaiblissant par suite ses positions régionales.

Mais l’autre point de vue, majoritaire, soutient une politique de patience envers les Saoudiens. Dans cette perspective, l’actuelle démonstration de force de l’Arabie saoudite outrepasse ses capacités stratégiques et nationales ; et puisque les États-Unis n’ont aucune intention de s’impliquer militairement en Syrie et au Yémen, l’actuelle politique offensive et belliciste des Saoudiens dans ces pays fera long feu.

En fait, l’Iran tient depuis toujours à éviter tensions et conflits avec l’Arabie saoudite, pour désamorcer la tentative des Saoudiens d’impliquer ou de compromettre militairement les États-Unis dans la région. La réalité c’est que la politique non-interventionniste d’Obama en Syrie, et son insistance à souligner la nécessité de voir tous les acteurs, en particulier l’Iran, prendre part à des pourparlers de paix régionaux, démontre sa volonté stratégique de renforcer une diplomatie multilatérale dans la région.

C’est le seul moyen de réduire les tensions entre l’Iran et l’Arabie saoudite. Le prochain président des États-Unis, que ce soit Clinton ou Trump, devrait poursuivre cette politique et ouvrir ainsi la voie à une paix et une sécurité durables dans la région.

- Kayhan Barzegar, spécialiste en sciences politiques et expert en affaires internationales, est actuellement directeur de l’Institut d’études stratégiques du Moyen-Orient à Téhéran. Cet ancien chercheur de l’Université de Harvard préside également le département des relations internationales à l'Université islamique Azad, Département des sciences et de la recherche. Son dernier livre, Iran's Foreign Policy in the Middle East after the Arab Spring (La politique étrangère iranienne au Moyen-Orient après le printemps arabe) a été publié en 2015.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif lors d'une conférence de presse à Téhéran, le 26 octobre 2013 (AFP)

Traduction de l’anglais (original) par [email protected]

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