Arrestations du Rif : la défense dénonce des « mauvais traitements »
RABAT - Au moment où 86 personnes en lien avec les manifestations d'Al Hoceïma seront poursuivies, selon les chiffres fournis jeudi par Mustapha el-Khalfi, porte-parole du gouvernement marocain, les avocats de la défense affirment à Middle East Eye que plusieurs activistes racontent avoir été victimes de « mauvais traitements », soit lors de leur arrestation, soit lors de leur détention.
Selon les avocats Mohamed Ziane et Mohamed Heddach, si ces témoignages « sont révélateurs des méthodes musclées auxquelles a recours la police marocaine, ils ont toutefois peu de chances de conduire à l'identification et au jugement des responsables des mauvais traitements. »
C’est aussi ce qu’a rapporté un autre avocat, Abdessadeq el-Bouchtaoui, membre du collectif de volontaires pour défendre Nasser Zefzafi, au Site Info, un média marocain, en précisant « avoir transmis un rapport détaillé concernant ces cas de torture à la mission des Nations unies à Rabat pour l’informer des violations des droits de l’homme ».
Jeudi 8 juin, Mustapha el-Khalfi a affirmé que le roi Mohammed VI avait donné des « instructions fermes » pour que les cas de mauvais traitements signalés fassent l'objet d'une enquête « impartiale » et que des expertises médicales seraient effectuées. Mais selon Mohamed Ziane, avocat de la défense, certains détenus ont été victimes de « violences graves bien au-delà de la simple contrainte ». Selon lui, ces violences incluraient coups, blessures, menaces, intimidation et insultes.
La défense affiche néanmoins un optimisme (très) mesuré quant à l'aboutissement de l'enquête et le jugement des responsables. Sur le passif d’expériences précédentes, ils se montrent très sceptiques quant aux résultats auxquels pourrait aboutir l'enquête. « D'expérience, on pense qu'elle ne mènera nulle part », confie Mohamed Ziane à Middle East Eye. Un avis partagé par Mohamed Heddach, un autre avocat de la défense.
Prouver qu'il y a eu mauvais traitements est un long parcours judiciaire. Les avocats s'attendent à rencontrer de grandes difficultés lors de l'identification du ou des agents soupçonnés violenté les détenus. Si l'un des détenus venait à reconnaître l'agent en question, celui-ci pourrait nier, aidé, « comme souvent dans ce genre de cas, par sa hiérarchie ou ses collègues qui pourraient lui trouver un alibi », affirme Mohamed Ziane.
« Dans le meilleur des cas, nous parviendrons à identifier un ou deux agents », pronostique notre interlocuteur, en reconnaissant qu’il ne s’agirait là que de « fusibles ». « Nous considérons que s'il y a eu mauvais traitement, c'est parce qu'il y a eu ordre ou, du moins, permission de leur hiérarchie », estime l'avocat.
Dans ce cas, conformément à l'article 225 du Code pénal, le ou les agents responsables d’actes de violence bénéficient d'une excuse absolutoire, et la peine est appliquée seulement aux supérieurs qui ont donné l'ordre. « Poursuivre individuellement quelques agents de l'autorité publique permettra de disculper leur hiérarchie », précise la défense.
Or, « la procédure est claire dans ce genre de cas : si un agent commet des violences à l'encontre d'un suspect, ses supérieurs hiérarchiques doivent immédiatement le suspendre, établir un procès-verbal et le faire passer devant une commission de discipline. »
L'autre difficulté à laquelle s’attendent les avocats consiste à prouver que les mauvais traitements ont été effectivement subis lors de la détention, s’ils sont survenus dans ce cadre. « Si cela est établi, les déclarations et les aveux arrachés dans ces conditions seront considérés nuls ».
Mais les autorités publiques peuvent avancer que les violences ont eu lieu lors de l'arrestation – « On nous dira que le suspect résistait à l'arrestation et que l'usage de la force était nécessaire ». Ou lors d'affrontements avec les forces de l'ordre – « On nous répondra que les traces de violence prouvent que le suspect fait partie de ceux qui ont participé à des affrontements avec les forces de l'ordre et constituent dans ce sens une ''preuve'' qui sera utilisée contre le détenu ».
Si l'article 226 du Code pénal marocain souligne que les mauvais traitements engagent « la responsabilité civile personnelle de leur auteur ainsi que celle de l'État, sauf recours de ce dernier contre ledit auteur », les avocats ne s'attendent pas à atteindre ce stade.
« Certains détenus portent des traces de coups qui dénotent d'un certain acharnement »
- Mohamed Heddach
Pour Mohamed Heddach, avocat de la défense, « ce n'est pas seulement de la responsabilité de l'État qu'il s'agit, mais de sa crédibilité, notamment sur le volet des droits humains ».
« Même si les violences avaient eu lieu lors de l'arrestation, rien ne les justifie. Il y a des méthodes qui permettent d'immobiliser un suspect sans le violenter. Certains détenus portent des traces de coups qui dénotent d'un certain acharnement », conclut-il en demandant : « Pourquoi violenter un suspect menotté ou à terre ? »
Un collectif de 22 associations dont Amnesty International, Transparency Maroc, l'Observatoire marocain des prisons, l'association Rif pour les droits de l'homme, réunis dans la Coalition marocaine des droits de l'homme, ont constitué la semaine dernière une commission d'enquête sur les événements d'Al Hoceima. Elle relève également que « la défense de plusieurs détenus a déclaré des cas de torture et de mauvais traitements et appelle la justice à ouvrir une enquête ».
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