Mohamed Ziane : « Même sous Hassan II, les peines étaient moins lourdes »
RABAT – Vingt-cinq manifestants et militants présumés du Hirak, mouvement de contestation populaire qui secoue le nord du Maroc depuis sept mois, ont été condamnés mercredi à dix-huit mois de prison ferme, à l'issue de leur procès mercredi à Al Hoceima. Ils étaient 32 jeunes, âgés de 18 à 25 ans, à comparaître.
Sept autres, qui comparaissaient libres, ont été condamnés à du sursis et à des amendes.
Tous avaient été arrêtés il y a plus de deux semaines lors de heurts dans la ville après une tentative de la police d'interpeller le leader de la contestation, Nasser Zefzafi, finalement arrêté le 29 mai.
Ils étaient accusés « de troubles à l'ordre public, de rébellion, et de participation à un attroupement non-autorisé et armé », et encouraient jusqu'à deux ans de prison, selon leur avocat, Mohamed Ziane.
« Ce verdict est un refus patent de tout dialogue avec les contestataire », a-t-il déploré.
La police a procédé depuis le 26 mai à plus d'une centaine d'arrestations, dont les principaux meneurs de la contestation. À ce jour, 86 personnes ont été présentées à la justice, dont une trentaine ont été emprisonnées, et sont accusées notamment « d'atteinte à la sécurité intérieure ».
La ville d'Al Hoceima et des localités voisines sont depuis lors le théâtre de manifestations nocturnes quotidiennes pour exiger la « libération des prisonniers ».
Elles se déroulent généralement sans incident, mais parfois dans un climat de vive tension alors que la police, omniprésente, tente de prévenir tout rassemblement. Des heurts ont cependant éclaté à plusieurs reprises, en particulier dans la ville d'Imzouren.
Mohamed Ziane, ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats, fondateur et secrétaire général du Parti marocain libéral, ex-ministre des droits de l’homme sous Hassan II, a commenté le verdict à Middle East Eye.
Middle East Eye : Hier, 25 personnes ont été condamnées à un an et demi de prison ferme, et sept autres ont écopé de deux à six mois d'emprisonnement avec sursis... Un commentaire à ce verdict ?
Mohamed Ziane : Cela représente au total 37 années de prison distribuées à des jeunes et des moins jeunes – les personnes condamnées ont entre 18 et 25 ans – pour troubles à l'ordre public, ou encore attroupement sur la voie publique. Pour ce type de délit, même sous le régime absolu de Hassan II, on condamnait, au pire, les gens à deux ou à trois mois de prison ferme quand il se fâchait, au mieux à quinze jours avec sursis. On ne comprend pas ce qui se passe : 37 ans de prison ! Ces attroupements sont en fait des manifestations de contestation populaire, et la contestation populaire est un droit sacré de l'individu, qui est assuré dans toutes les Constitutions modernes et civilisées.
Même sous le régime absolu de Hassan II, on condamnait, au pire, les gens à deux ou à trois mois de prison ferme, au mieux à quinze jours avec sursis
MEE : La défense avait demandé une expertise médicale, ainsi qu’une enquête au sujet des mauvais traitements dont les détenus auraient souffert lors de leur arrestation ou de leur détention. Où en est votre requête ?
MZ : Il n'y a pas d'avancement. Pourtant, des gens ont été rudement tabassés. L'un d'entre eux ne peut plus faire usage de sa main droite car son poignet a été cassé. Mourad Zefzafi, le cousin de Nasser Zefzafi, a écopé d'un an et demi de prison parce qu'il porte le nom de Zefzafi. Il avait le visage totalement tuméfié et déformé. Quand vous vous faites taper dessus, vous souhaitez – et c'est la moindre des choses – que votre tortionnaire aille en prison.
Autre chose : quelles conséquences tirer d'un procès-verbal et d'une procédure où la violence et la force ont été utilisées ? S'agit-il tout simplement de condamner à un an de prison la personne torturée, ou est-ce que le fait qu'il y ait eu de la violence durant une procédure annule celle-ci ? C'est un choix politique et de civilisation. Quand il y a de la violence, la procédure est nulle.
Si les responsables souhaitent un retour au calme, alors, il faut dire qu'ils s'y prennent très mal. Après, s'ils poursuivent un autre objectif, il faut qu'on le sache. Car le jugement d'hier nous donne l'impression qu'ils se veulent plutôt se diriger vers la confrontation, et vont vers l'escalade. Et se confronter à une population, politiquement, ce n'est vraiment pas très intelligent.
MEE : Allez-vous faire appel du jugement prononcé hier ? Quand se tiendra le procès des détenus de Casablanca, dont Nasser Zefzafi ?
MZ : On fera appel pour une raison très simple : si on ne le fait, cela veut dire qu'on ne croit pas en la miséricorde divine. Après, si vous me demandez si on fait appel parce qu'on y croit, je vous répondrai que je ne sais pas. Nous n'avons aucune information quant au jugement des prisonniers de Casablanca. On ne sait absolument rien. Il y a un malaise, que ce soit au sein de la défense ou des familles des détenus, et on n'avait sincèrement pas besoin de cela.
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