Maroc : alors que la saison touristique commence, la police se retire d’Al Hoceima
Les forces de l'ordre ont entamé un retrait « progressif » de lieux publics symboliques à Al Hoceima, un geste apparent d'apaisement après huit mois de contestation populaire contre le pouvoir dans cette région du nord du Maroc.
Les policiers déployés depuis des semaines dans le centre des villes d'Al Hoceima et d'Imzouren, épicentres du mouvement revendiquant le développement de la région du Rif, ont entamé un retrait progressif lundi, a annoncé le nouveau gouverneur de la province, Fouad Chourak.
Selon un habitant, la place centrale d'Al Hoceima a retrouvé son visage des jours ordinaires, sans les escouades de policiers déployés en masse ces dernières semaines dans cette ville d'environ 60 000 habitants.
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Le gouverneur a précisé que ce retrait a été décidé sur les « directives » du roi Mohammed VI pour « garantir les libertés ».
« Ce sont des signaux profonds, j'espère qu'ils seront reçus par chacun », a plaidé Fouad Chourak, promettant « d'autres signaux dans le même sillage ».
Le nombre de policiers et de gendarmes déployés dans la province pour contenir les manifestations du hirak (la mouvance, nom donné à la contestation) n'a jamais été divulgué.
Mais leur omniprésence dans les lieux publics était dénoncée par les militants comme une nouvelle preuve d'une « militarisation » de la région par le Makhzen (pouvoir), avec une ville d'Al Hoceima « en état de siège ».
Les clichés d'une intervention dimanche de dizaines de gendarmes en tenue anti-émeutes jusque sur les plages d'Al Hoceima pour dissuader des baigneurs de scander des slogans en faveur du hirak ont ainsi fait le tour des sites pro-hirak sur les réseaux sociaux.
Les principaux meneurs de la contestation dans le Rif, dont son leader Nasser Zefzafi, ont été arrêtés fin mai, accusés pour certains de lourdes charges.
Mais les manifestations quasi-quotidiennes ont continué depuis, avec des heurts fréquents avec les forces de l'ordre, et de violents affrontements le 26 juin.
Une centaine de personnes a été placée en détention préventive
Outre un développement de leur région enclavée, les manifestants réclament désormais en priorité la « libération des détenus ».
Des organisations de défense des droits de l'homme, mais également des voix au sein de la société civile et de la classe politique ont critiqué l'approche « sécuritaire » adoptée par les autorités.
Une centaine de personnes a été placée en détention préventive. Des condamnations allant jusqu'à dix-huit mois de prison ont été prononcées contre 40 détenus et dix-huit autres sont poursuivis en liberté provisoire, selon les derniers chiffres officiels.
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L'État marocain a relancé un vaste programme de développement de cette province, mais le roi a tancé la semaine dernière ses ministres pour le retard de ces projets.
Le retrait policier d'Al Hoceima intervient au début de la saison touristique, qui voit chaque année des Rifains de la diaspora en Europe revenir en vacances.
L'impact de ces retours suscite des craintes, alors que des associations de la diaspora affichent un fort soutien au hirak, et que Nasser Zefzafi avait appelé, avant son arrestation, à une grande marche le 20 juillet.
En visite sur place, le ministre du Tourisme Mohamed Sajid a annoncé une série de « mesures urgentes pour sauver l'actuelle saison estivale » : subventions de lignes aériennes, allègement de taxes aéroportuaires, campagne de promotion...
La presse marocaine a par ailleurs diffusé de premiers extraits d'un rapport, très attendu, du Conseil national des droits de l'homme (CNDH), un organisme officiel, sur les évènements d'Al Hoceima.
Ces notes, établies par deux médecins experts et que l'AFP a pu consulter, rapportent des « mauvais traitements » décrits par les prisonniers et concluent à des « suspicions légitimes sur la violation » de leurs droits et un possible recours à « des faits de torture ».
Le CNDH a exprimé son « étonnement » sur ces fuites, assurant que ses enquêtes sur Al Hoceima n'ont « pas encore abouti ». La police a de son côté rejeté de façon « catégorique des accusations graves, publiées sur la base d'un document partiel et non officiel ».
La presse marocaine évoquait mardi un « clash » entre les deux institutions.
Des témoignages similaires avaient déjà été rapportés par la défense des accusés ainsi que par des ONG, mais avaient été démenties par les autorités qui renvoyaient aux résultats des expertises médicales.
À ce sujet, les avocats de la défense avaient confié à Middle East Eye qu’il y aurait peu de chances de voir aboutir « une enquête impartiale ».
Les expertises du CNDH ont été transmises au ministère de la Justice, qui les a lui-même envoyées aux parquets de Casablanca et Al Hoceima « afin de prendre les mesures légales qui s'imposent », a indiqué mardi soir le ministère.
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