L’Égypte a bloqué les sanctions de l’ONU contre la branche saoudienne de l’État islamique
L’Égypte a déployé des efforts concertés pour empêcher que la branche saoudienne de l’État islamique (EI) ne soit ajoutée à une liste onusienne de sanctions du terrorisme, selon des documents obtenus par Middle East Eye.
Les États-Unis avaient proposé que quatre affiliés de l’EI en Arabie saoudite, au Yémen, en Libye et en Afghanistan-Pakistan soient ajoutés à la liste des groupes et individus sanctionnés par l’ONU.
Or, selon les documents consultés par MEE, l’Égypte, actuellement membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, a exprimé le 3 février dernier qu’elle souhaitait que l’ONU « suspende […] la proposition des États-Unis d’Amérique d’ajouter EI-Arabie saoudite » à la liste des sanctions.
Trois mois plus tard, la délégation égyptienne s’est formellement opposée à l’inclusion de la branche saoudienne – ce qui semble avoir abouti à l’abandon de la proposition américaine.
L’Égypte n’a pas eu à justifier son objection, a déclaré une source de l’ONU.
Un deuxième membre non permanent du Conseil de sécurité, le Sénégal, a soutenu l’objection égyptienne en mai.
Ces révélations surviennent au moment où l’Égypte, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et Bahreïn imposent un blocus au Qatar pour son présumé soutien au « terrorisme » – une accusation réfutée par Doha.
Madawi al-Rasheed, professeure invitée au Centre Moyen-Orient de la London School of Economics, a indiqué à Middle East Eye que l’Égypte exécutait là une manœuvre « classique » visant à empêcher son allié, Riyad, de faire l’objet d’une surveillance.
« L’Arabie saoudite ne veut pas attirer l’attention sur ses propres problèmes de terrorisme, c’est un cas classique », a-t-elle déclaré.
« [Les autorités saoudiennes] annoncent des listes de groupes terroristes à l’étranger ou associés à d’autres pays. Mais elles-mêmes sont en déni », a ajouté Madawi al-Rasheed.
Selon la spécialiste, si la branche saoudienne de l’EI était sanctionnée par l’ONU, Ryad « devrait faire face au problème ».
Il devrait « pourchasser les agents ou militants associés, et geler leurs comptes bancaires... il devrait les arrêter et faire quelque chose. »
« Cela expose au monde le fait que l’Arabie saoudite a des agents de l’EI. Bien sûr qu’elle en a, et tout le monde le sait. »
« Si l’Arabie saoudite a demandé à l’Égypte d’agir en son nom, cela va à l’encontre de ce que tous deux soutiennent », a observé Madawi al-Rasheed en référence au blocus imposé par ces pays contre le Qatar.
Les États-Unis ont déjà désigné les membres de la branche de l’EI en Arabie saoudite comme « terroristes internationaux spécialement désignés » au début de l’année 2016, parallèlement à ses branches en Libye et au Yémen.
Surveillance renforcée
Une inclusion sur la liste du terrorisme de l’ONU soumettrait la filiale saoudienne à une surveillance renforcée, a expliqué Madawi al-Rasheed. « L’inscription sur la liste de l’ONU a des implications juridiques. »
Comme le stipule le comité des Nations unies chargé de superviser la liste des sanctions : « Les États ont le devoir d’imposer des mesures à al-Qaïda ou à l’EIIL (Daech) et à d’autres individus, groupes, entreprises et entités qui leur sont associés ».
Le groupe État islamique a annoncé en 2014 la création d’une province saoudienne séparée dans une tentative visant à renverser la maison des Saoud, et a mené plusieurs attaques dans le royaume au cours des dernières années, y compris contre des mosquées en 2015, qui ont fait plusieurs dizaines de morts.
L’Arabie saoudite aime à faire valoir qu’elle a vaincu l’extrémisme dans le pays, alors qu’en réalité, selon Madawi al-Rasheed, elle a essentiellement repoussé le problème au Yémen, où AQPA, la branche locale d’al-Qaïda, profite de la guerre en cours menée principalement par l’Arabie saoudite contre les rebelles houthis.
« Ils prétendent qu’ils se sont débarrassés d’al-Qaïda, mais [ses membres] sont juste passés de l’autre côté de la frontière, au Yémen. »
AQPA et AQMI, la filiale d’al-Qaïda en Algérie, figurent parmi les entités déjà inscrites sur la liste des sanctions de l’ONU.
L’Égypte et le Sénégal quitteront leurs sièges au Conseil de sécurité plus tard cette année. Un porte-parole du département d’État des États-Unis a refusé d’indiquer si Washington allait renouveler sa tentative à l’expiration du délai.
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Le comité a été créé à la fin de 2015 en tant qu’expansion du comité des sanctions d’al-Qaïda, devenant le « Comité de sanctions contre l’EIIL (Daech) et al-Qaïda », mandaté par la Résolution 2253 de l’ONU.
Ceux qui figurent sur la liste doivent avoir participé, preuve à l’appui, au « financement, à la planification, à la facilitation, à la préparation ou à la perpétration d’actes ou d’activités de, en liaison avec, au nom de, pour le compte de ou en soutien à » l’EI ou al-Qaïda, fourni ou vendu des armes aux groupes, ou aidé à leur recrutement.
Tout État membre de l’ONU peut proposer qu’un individu ou un groupe soit ajouté à la liste, laquelle assujettirait l’individu ou le groupe en question à un gel des avoirs, une interdiction de voyager et un embargo sur les armes.
Le comité de l’ONU, qui comprend les quinze membres du Conseil de sécurité, prend ensuite sa décision par consensus.
En mai, un responsable saoudien avait déclaré au Washington Post : « Vous ne pouvez pas assimiler l’EI dans le royaume [saoudien] à l’EI en Syrie et en Irak ».
« Il n’y a pas d’État islamique en Arabie saoudite, de même qu’il n’y a pas d’État islamique en Grande-Bretagne ou d’État islamique en France. Dans ces pays, il existe des cellules terroristes, mais elles ne contrôlent pas d’infrastructures. »
L’Égypte est elle-même en proie à une filiale locale de l’EI dans le Sinaï, un groupe qui a revendiqué plusieurs attaques récentes contre la minorité chrétienne copte du pays.
Traduit de l’anglais (original).
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