Les « trois politiques » de la France en Libye
Le président français Emmanuel Macron réunit ce mardi en région parisienne deux des principaux protagonistes de la crise en Libye, le chef du gouvernement d'union nationale (GNA) Fayez el-Sarraj et le maréchal Khalifa Haftar. Quelle lecture faire de cette rencontre ? Qu’en attendre et qu’implique-t-elle pour les acteurs libyens ? Décryptage en trois questions.
Le dossier libyen est-il en train d’échapper aux pays de la région qui tentent de résoudre la crise ?
Paris n’est qu’un acteur parmi tous ceux qui interviennent dans le dossier libyen et que l’on pourrait ranger dans trois catégories.
D’abord, les pays voisins (surtout l’Algérie et la Tunisie) qui tentent des initiatives pour faire dialoguer les Libyens. Depuis février, Alger, Tunis tentent de convaincre Le Caire de mettre au point une nouvelle plateforme de propositions pour un nouveau gouvernement. Dans les faits, les réunions n’ont pas encore abouti, en partie parce que Le Caire refuse que les islamistes soient intégrés au jeu politique.
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Ensuite, les pays de la région (Égypte, Turquie, Émirats arabes unis) dont la stratégie obéit plutôt à des logiques hégémoniques. Un rapport de l’ONU a révélé au mois de juin que les Émirats arabes unis avaient violé un embargo de l’ONU sur les armes en fournissant des hélicoptères et des avions de combat ainsi que des véhicules blindés à la milice de l’Armée nationale libyenne (ANL) fidèle au général Khalifa Haftar.
Enfin, les pays de la communauté internationale (France, Italie, Union européenne, États-Unis, Russie) – avec parfois chacun des politiques différentes – poursuivent aussi des objectifs de déploiement de puissance.
Comment les acteurs libyens perçoivent-ils la politique de Paris ?
Des sources libyennes et régionales contactées par Middle East Eye évoquent trois politiques françaises différentes. Celle exprimée et mise en œuvre par le ministère des Affaires étrangères et qui adopte des positions en cohérence avec les décisions de l’ONU (soutien au Gouvernement d’union nationale, aux accords de Skhirat).
« On en distingue aussi une seconde, en contradiction avec la première et dont le centre de gravité se trouve au ministère de la Défense », explique un interlocuteur tunisien en contact avec des principales forces sur place. « Cette politique est déterminée par la stratégie sahélo-saharienne de la France, qui veut garder un rôle de leader dans la région, où le sud de la Libye occupe une place importante. »
Enfin, toujours selon des acteurs locaux, des signes indiquent qu’une troisième politique en provenance de l’Élysée, se focalise davantage sur les partenariats économiques et financiers. Elle serait guidée par la nécessité de préserver de bons rapports avec les clients de la France dans le secteur des hautes technologies ou de l’armement, et se serait exprimée au travers d’accords de coopération militaire, notamment, avec l’Est.
Les choses vont-elle changer avec Emmanuel Macron ? Les acteurs libyens disent attendre « une stratégie claire » de la part de la France.
Cette rencontre peut-elle changer les rapports de force sur le terrain ?
L’effet immédiat probable pourrait entraîner un surcroît de légitimité pour l’Armée nationale libyenne (ANL) de Khalifa Haftar.
Mais il est difficile d’imaginer qu’elle puisse réellement convaincre la partie qui ne veut pas d’arrangement politique (en l’occurrence le gouvernement de l’Est) de s’entendre avec la partie prête à en accepter un (le GNA).
Sur le terrain, les rapports de force resteront ceux qu’ils sont, pour l’instant en faveur du maréchal Haftar, le GNA n’ayant, depuis le départ, jamais eu d’autre influence que celle que lui confère la communauté internationale.
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« Haftar a certes gagné de l’importance, mais il a atteint son maximum », nuance un acteur de la société civile impliqué en Libye. « Par ailleurs, sa force militaire, composée de tribus de l’Est qui ne sont pas prêtes à aller combattre en dehors de leur zone, peut aussi se désintégrer à tout moment. »
Selon lui, il ne faudrait pas qu’Haftar tente de partir à la conquête de l’Ouest – et de Syrte en particulier – comme le laissent entendre certains experts à l’image de Mattia Toaldo, spécialiste de la Libye à l'ECFR (European Council on foreign relations).
« La première force militaire du pays, à la fois par le nombre d’hommes, l’armement et la cohésion, reste celle de Misrata », poursuit notre interlocuteur. « L’Ouest est une mosaïque inextricable de milices, de tribus, etc. qui représentent les deux tiers de la Libye. Misrata n’entrera pas en conflit avec Haftar, sauf si elle se sent menacée ou s’il essaie de s’emparer de Syrte. Si les différentes forces de l’Ouest s’unifiaient, Haftar ne ferait pas le poids, même avec ses avions. »
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