Le gouvernement iranien est en train de détruire l’environnement à Ahvaz
De nombreux Ahwazis – les habitants arabes qui vivent principalement dans la province iranienne du Khouzistan, dans le sud du pays – estiment qu’en l’espace de près d’un siècle, l’État iranien a délibérément négligé leurs terres, les transformant en un désert et provoquant des tempêtes de sable géantes qui ont tué 2 000 habitants suite à des maladies associées au cours des dernières années.
L’eau potable dans la ville d’Ahvaz est si sale et brune que les habitants plaisantent en disant qu’ils ne boivent pas de l’eau, mais du milk-shake au chocolat
C’est en 1908 que du pétrole a été découvert dans la région. En 1925, Reza Khan, le chah d’Iran, a envahi ce qu’on appelait alors l’émirat d’Ahvaz, avant de renverser le souverain arabe de la région et d’annexer ses 330 000 kilomètres carrés en 1934. Les terres ont été confisquées par l’État à leurs propriétaires arabes puis transférées au gouvernement.
Depuis lors, l’État a systématiquement abandonné le territoire et les habitants de la région, transformant les terres fertiles en un petit désert et une source de pollution dans la région.
Aujourd’hui, l’eau potable livrée dans les habitations de la ville d’Ahvaz est si sale et brune que les habitants plaisantent en disant qu’ils ne boivent pas de l’eau, mais du milk-shake au chocolat. Le coût de la réparation de l’infrastructure hydraulique surannée dépasse les capacités financières de la province.
Pour les Ahwazis, ce n’est là qu’un aspect de ce qu’ils décrivent comme du racisme répandu. Bien qu’ils soient majoritaires dans la province, ils sont souvent dans l’incapacité d’obtenir un emploi car victimes de discrimination.
Bien que l’État construise des installations de première classe dans la province pour les nouveaux arrivants perses, le niveau de pauvreté dans le Khouzistan reste parmi les plus élevés de toutes les provinces du pays et ce, malgré l’existence de pétrole, de gaz et d’autres ressources nationales lucratives.
Ainsi, aux yeux des Ahwazis, la découverte du pétrole et de ces autres ressources n’a été pas moins qu’un fléau et qu’un malheur qui a entraîné l’occupation et la dégradation environnementale des terres dont ils ont hérité de leurs ancêtres.
Des cieux poussiéreux et enfumés
Aujourd’hui, Ahvaz est classée parmi les villes les plus polluées au monde.
Selon des rapports gouvernementaux, environ 40 % du gaz qui est extrait avec le pétrole dans la province et qui pourrait être utilisé comme ressource énergétique est en réalité brûlé. Cela provoque l’émission de millions de tonnes de dioxyde de carbone dans l’air chaque année, contribuant ainsi à aggraver la pollution atmosphérique et environnementale qui touche déjà Ahvaz en raison du sable et de la poussière présents dans l’air suite à la désertification.
Le régime iranien semble se concentrer uniquement sur le processus d’extraction du pétrole pour générer des revenus. Malgré les appels répétés des délégués parlementaires de la région, le régime iranien n’a même pas envisagé de consacrer un petit pourcentage des revenus pétroliers réalisés dans la région à la réhabilitation de l’environnement ou à la construction d’hôpitaux et d’autres établissements de santé pour la région.
Dans un discours remarquable prononcé l’an dernier, le responsable par intérim des prières du vendredi à Ahvaz, l’ayatollah Ali Heydari, avait mis en garde les compagnies pétrolières internationales contre l’exploration pétrolière excessive dans la province, soulignant que cela pouvait mettre en péril les marécages d’Hor al-Howeyzeh.
Il avait également déclaré qu’une activité excessive pouvait engendrer des défis sécuritaires sans précédent dans la région en déclenchant la colère des Ahwazis et des confrontations avec l’État. Cela pourrait même attirer des pays voisins souhaitant intervenir pour défendre les Ahwazis.
Des toxines déversées, des champs incendiés
L’extraction de pétrole n’est pas la seule source de dégâts environnementaux à Ahvaz. La production de canne à sucre dans la région – qui nécessite des quantités massives d’eau et produit des toxines dangereuses lors de son raffinage – a également nui à l’environnement d’Ahvaz.
Non seulement des quantités massives d’eau provenant du Karoun, principale source d’eau potable et d’irrigation dans la région, sont utilisées dans ce processus, mais les substances créées lors du raffinage sont également déversées dans le fleuve. Et les entreprises de canne à sucre incendient les champs pendant la saison des récoltes, menaçant encore davantage la qualité de l’air et l’écosystème.
Cette industrie, selon les experts, n’est pas économiquement viable pour le gouvernement ou les habitants de la région et est purement conçue pour modifier l’équilibre démographique de la région et permettre ainsi à l’État de voler plus de terres arabes.
En vertu de la loi, l’État est autorisé à prendre possession des terres si des ressources sont découvertes. Les propriétaires reçoivent un préavis de deux semaines pour se rendre au bureau d’état civil et remettre leur acte de propriété. L’État affirme qu’il achète les terres selon leur valeur marchande, mais cela arrive rarement. Quiconque s’oppose à ce processus est considéré comme opposé au gouvernement et lourdement pénalisé.
L’idée sous-jacente à cette politique remonte à la période de Mohammad Reza Chah, mais elle n’a pu être complètement mise en œuvre à l’époque en raison de l’instabilité interne et de l’émergence de la révolution. Elle a finalement été appliquée en 1988 par de hauts responsables politiques du régime comme Ali Akbar Hachemi Rafsandjani, l’ancien président.
« Le projet de canne à sucre a eu des effets dévastateurs sur la pollution atmosphérique dans les villes d’Ahvaz et al-Falahiya [Shadegan en farsi] et les villages environnants », a déclaré Jawad Kazem Nasab, délégué de la ville d’Ahvaz au parlement iranien.
Il a ajouté que « le gouvernement iranien précédent avait promis aux habitants de la région qu’il allait employer toutes les mesures et les normes internationales pour faire face à ces risques environnementaux et aux dommages collatéraux causés aux moyens de subsistance des habitants de ces régions ».
Cependant, comme le délégué l’a confirmé plus tard, « l’industrie de la canne à sucre a brûlé ses plantations à des fins économiques, ce qui a finalement causé encore plus de pollution atmosphérique dans la région et confronté les habitants des villages adjacents à ces plantations à une grave menace ».
Même le chef du département de protection de l’environnement de la province, Sayed Amid Hajti, aurait déclaré récemment : « Le pétrole et les produits pétrochimiques, la canne à sucre et les autres industries majeures de la région n’ont pas contribué positivement à la vie des habitants de la région, mais ont augmenté la proportion de pollution dans l’air et l’environnement. »
Des marais asséchés
En raison de la production de pétrole et de canne à sucre dans la région, les marais de Hor al-Howeyzeh et Hor al-Falahiya – qui étaient utilisés pour la pêche et la conservation de la faune et qui contribuaient à réduire la pollution par les poussières – ont été asséchés au cours de la dernière décennie.
Une fois les marais asséchés, de grandes tempêtes de sable se sont produites régulièrement, ce qui a perturbé la vie des habitants chez eux et au travail et, selon certains experts, provoqué une augmentation majeure des cas d’infections pulmonaires et de cancers.
Même Ahmed Reza Lahijganzadeh, chef du département chargé de l’environnement de la région, a révélé que la proportion de polluants atmosphériques était 66 fois supérieure au seuil de danger.
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« Jusqu’à il y a douze ans, le phénomène des tempêtes de sable n’existait pas ; celui-ci est apparu après l’assèchement des marais effectué dans le but de produire du pétrole », a indiqué le professeur Kordawani, directeur de l’organisation de lutte contre la désertification au sein de l’ONU.
Dans une interview accordée à Tasnim New Agency, Qasim Saadi, un autre député arabe ahwazi qui représente al-Khafajiyeh (Susangerd en persan) au parlement iranien, a critiqué les politiques gouvernementales à l’égard de la région d’Ahvaz, qu’il a jugées délibérées et dirigées contre les Arabes ahwazis. Il a accusé les ministres de l’Énergie et de l’Agriculture de garder le silence face à l’impact de ces politiques.
Montrer au monde ce qui se passe
En l’absence de lois puissantes pour protéger les civils en Iran et sous un système autocratique, la plupart des groupes ethniques du pays sont exposés à une discrimination et une persécution systématiques. Le régime iranien doit respecter son propre peuple, prendre ses obligations internationales au sérieux et éviter de violer les droits de son propre peuple.
Bien que le régime ait réprimé les médias et confiné les correspondants uniquement à la capitale ou à une ou deux villes perses, les réseaux sociaux et les technologies de la communication nous ont permis de partager ce qui se passe et de le montrer au monde.
Les Arabes ahwazis aimeraient savoir que la communauté internationale prendra position et empêchera le régime iranien de commettre des atteintes aux droits de l’homme à leur encontre. Ignorer ou négliger les revendications des habitants de cette région ne fera qu’intensifier leur confrontation avec l’État et entraîner une escalade dangereuse.
- Yasser Assadi est un activiste des droits de l’homme ahwazi.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des législateurs au parlement iranien portent des masques au cours d’une session parlementaire pour montrer leur solidarité avec les habitants de la ville d’Ahvaz qui venait d’être touchée par des tempêtes de sable, le 15 février 2015 à Téhéran (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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