La disparition du lac d’Ourmia à l’origine de troubles en Iran
Autrefois sixième plus grand lac d’eau salée au monde, le lac d’Ourmia, perdu dans les montagnes désolées du nord-ouest de l’Iran, commence à disparaître. Alors que le lac s’assèche et que ses rives commencent à se retirer, la terre environnante commence à mourir, provoquant une catastrophe écologique sans précédent.
Situé près de la frontière turque entre les provinces d’Azerbaïdjan occidental et oriental, le lac d’Ourmia disparaît depuis trente ans.
La région est le foyer de la communauté irano-azérie, laquelle dépend du lac pour subvenir à ses besoins et a été dévastée par son recul. Cette catastrophe écologique n’a fait qu’alimenter un vieux ressentiment politique au sein de cette minorité, qui exige davantage de droits culturels, économiques et politiques. Des tensions ont dégénéré et la population est descendue dans la rue pour exhorter le gouvernement à agir.
Dans une tentative visant à développer et moderniser l’Iran après la révolution islamique de 1979, le président Mohammad Khatami avait lancé un grand programme de construction qui avait été ensuite poursuivi par son successeur, Mahmoud Ahmadinejad. En tout, 70 barrages ont été construits sur les rivières qui alimentent le lac d’Ourmia pour fournir de l’eau à l’industrie agricole iranienne en pleine expansion. En outre, plus de 24 000 puits ont été creusés illégalement par les villageois dans la région du nord-ouest, exacerbant la disparition du lac d’Ourmia.
Lorsque le lac a commencé à disparaître, il en a été de même avec le brouhaha des voitures des touristes et le bruit des camions autrefois nombreux. Aujourd’hui, peu d’étrangers s’aventurent ici. Ceux qui le font sont choqués de voir des bateaux abandonnés, leurs carcasses échouées s’oxydant sur le fond salé.
Les températures estivales ici peuvent atteindre 50 °C, mais les mois d’hiver apportent le froid avec des températures qui tombent en dessous de zéro.
Sur la rive du lac – non loin du pont reliant Tabriz, dans la province de l’Azerbaïdjan oriental, et Ourmia, dans la province de l’Azerbaïdjan occidental –, un homme plisse les yeux dans la lumière éblouissante.
Tahir, 40 ans, a fait le voyage depuis Tabriz avec sa famille pour passer la journée au bord de l’eau. Enfant, il avait l’habitude de passer ses vacances au lac d’Ourmia. Un soupçon de nostalgie dans la voix, il se souvient des baignades dans le lac, des balades en bateau et des châteaux de sable.
Mais aujourd’hui, l’eau a disparu et le sel a remplacé le sable. La femme, la fille et le frère de Tahir ont fait le voyage avec lui et ont essayé d’en tirer le meilleur en se baignant dans ce qui ressemble à une grande flaque d’eau.
« Je viens ici depuis que je suis très jeune et je peux vous dire que le lac n’était pas comme ça avant », a affirmé Tahir à Middle East Eye. « Regardez les marques sur la pile du pont ! Aujourd’hui, nous devons aller loin pour trouver de l’eau et pouvoir patauger. Pouvez-vous imaginer que nous pouvions sauter du pont auparavant ? Aujourd’hui, si vous faites cela, vous vous tuez. »
Selon l’UNESCO, le lac a perdu de 70 à 80 % de sa surface depuis 1970. Alors qu’il faisait autrefois seize mètres de profondeur, il ne dépasse pas deux mètres aujourd’hui.
Baybek Tebrizli, avocat et militant écologiste qui vit en exil à Londres depuis plus de quinze ans, se dit très inquiet pour l’avenir du lac d’Ourmia, répertorié en tant que réserve de biosphère par l’UNESCO depuis 1976.
« On dit [en Iran] qu’il n’y a jamais eu de poissons dans le lac », a déclaré Tebrizli. « D’accord ! Cependant, il contenait certains planctons, essentiels à la survie de dizaines d’espèces d’oiseaux. Mais en raison de l’augmentation de la salinité de l’eau [340 grammes par litre], les planctons ont disparu et les oiseaux ne viennent plus ici. »
Un berger au visage buriné, Elshan (52 ans), explique qu’il utilise les plaines entourant le lac, près du petit village d’Aq Gonbad, pour nourrir son troupeau d’environ 50 chèvres.
« Je dois toujours aller plus loin avec mes chèvres pour trouver des buissons. Le sel tue les plantes », a-t-il précisé.
Anar, un adolescent qui vit près du lac, affirme avoir vu ses rives reculer.
« L’évaporation de l’eau a créé cet immense désert de sel qui détruit toute forme de vie », rapporte-t-il. « Même mon chien ne voudrait pas vivre ici ! »
Environnement hostile
Même si la planification du gouvernement a constitué l’une des principales causes de la désertification dans le nord-ouest de l’Iran, les facteurs environnementaux – tels que l’intensité des tempêtes qui détruisent les cultures dans les zones environnantes – ont également joué un rôle clé.
Un cycle dévastateur est en train d’émerger. Si le lac s’asséchait totalement, 8 milliards de tonnes de sel seraient exposées à l’air libre. Ce sel s’infiltrerait à son tour dans les nappes phréatiques de la région à un rythme alarmant, augmentant le risque de cancers, d’hypertension artérielle et de problèmes respiratoires au sein de la population locale.
Les dangers de la désertification ont bien été reconnus. Déjà en 2013, l’ancien ministre de l’Agriculture Isa Kalantari avait déclaré aux médias iraniens : « L’Iran est en train de devenir un désert inhabitable. Cependant, n’imaginez pas que cela se produira demain. C’est déjà le cas ! »
Jamal, un octogénaire, a signalé à MEE que le phénomène s’accélère. « Avant, l’eau arrivait près de notre village. Aujourd’hui, elle est à 2 kilomètres. C’est dû aux mesures prises par le gouvernement. Ils ne pensent qu’à leurs propres intérêts ; nous, nous pouvons mourir. »
Dans une région fournissant une partie importante de la production agricole de l’Iran, la dévastation causée par la sécheresse et le sel a également mis d’innombrables paysans au chômage.
« La mauvaise santé de l’économie et de l’industrie en Iran pourrait à nouveau embraser la situation », a déclaré Bernard Hourcade, spécialiste de l’Iran au CNRS.
En 2011, des manifestations ont éclaté dans le nord-est ainsi qu’en Azerbaïdjan pour protester contre la disparition du lac et l’absence de réaction de Téhéran. Les gens ont envahi les rues et ont affronté la police, accroissant les tensions entre la communauté azérie et le gouvernement.
« Le lac reste une véritable épine dans le pied du gouvernement iranien. Il existe un long passif de paranoïa de la part de l’élite religieuse du pays concernant le spectre de l’indépendance azérie », explique Bernard Hourcade, se référant à un mouvement nationaliste qui essaye depuis le début du XXe siècle d’unir le peuple azerbaïdjanais d’Iran et de Turquie pour créer un Azerbaïdjan contemporain.
Arsalan Chehrgani – un représentant du Mouvement du réveil national d’Azerbaïdjan du Sud qui milite pour l’indépendance de la région azerbaïdjanaise – cite également le lac comme l’une des principales sources de doléances.
« Le lac d’Ourmia est un sujet très politisé depuis quelques années », déclare Chehrgani, qui vit en exil aux États-Unis. « Nous ne voulons pas la violence. Nous utilisons toujours les méthodes de protestation non-violentes, comme l’a fait Gandhi. C’est une façon pour nous de contester le règne des mollahs et nous les tenons responsables de ce qu’ils font en Iran. Nous voulons la démocratie, les droits de l’homme et le droit à l’autodétermination. »
Les autorités iraniennes ont lentement commencé à se pencher sur la question, bien que beaucoup se plaignent qu’elles interviennent trop tardivement et trop partiellement.
Ahmadinejad avait déclaré en mai 2011, après avoir été soumis à une pression croissante pour régler le problème : « Les pays occidentaux ont conçu un plan pour provoquer notre sécheresse. Selon des rapports climatiques précis, les pays européens ont utilisé un équipement spécial pour créer des nuages de pluie en Europe et les empêcher d’atteindre l’Iran et le Moyen-Orient. »
Ahmadinejad avait ensuite promis de relâcher 600 millions de mètres cubes d’eau du barrage d’Aras, situé sur les rives du lac, mais son successeur Hassan Rohani était allé encore plus loin, en mettant Ourmia au cœur de sa campagne électorale de 2013 et en promettant d’allouer 4,6 milliards d’euros au financement de cet effort.
Toutefois, à ce jour, aucune de ces promesses ne s’est matérialisée.
« Cela [les plans d’Ahmadinejad] reste encore au stade de projet », explique le chercheur du CNRS. « Ahmadinejad avait des projets pour sauver le lac et il en va de même pour son successeur Hassan Rohani aujourd’hui. Mais ce ne sont que des projets. Leur concrétisation est une autre histoire. »
Il faudra attendre au moins vingt ans pour les projets de Rohani, a fait valoir Hourcade, et il sera trop tard, « le lac aura disparu avant ».
Dans certains cas, seuls les prénoms ont été mentionnés à la demande des personnes interviewées.
– Reportage additionnel par Kevin Miller
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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