Après Ersal : le nouveau triangle d’influence du Hezbollah
Après des années d’efforts déployés pour chasser les milices syriennes d’une région montagneuse située dans l’est du Liban, le Hezbollah a annoncé tard ce mercredi que le chapitre du Front Fatah al-Cham dans le pays était clos.
« Nous faisons face à une très grande victoire militaire », a déclaré Hassan Nasrallah dans un discours télévisé, quelques heures avant l’entrée en vigueur du cessez-le-feu entre son groupe et le Front Fatah al-Cham, tôt ce jeudi matin.
Les combattants du Front Fatah al-Cham – l’ancienne filiale d’al-Qaïda autrefois connue sous le nom de Front al-Nosra – et leurs familles seront envoyés à Idleb, selon les termes de l’accord de cessez-le-feu.
Il y a une semaine, le Hezbollah avait lancé une opération militaire dans les environs de la ville d’Ersal, qui est un foyer de combattants syriens depuis le début de la révolution.
La campagne est survenue à un moment où la désescalade de la guerre à l’intérieur de la Syrie a permis au Hezbollah de redéployer des troupes pour attaquer les combattants épuisés qui se trouvaient encore dans la région et parachever son monopole sur une zone en Syrie qui s’étend de Qousseir à Zabadani.
Au cours des derniers jours, le Hezbollah a affirmé qu’il avait capturé une proportion équivalente à 80 % de la zone et averti les combattants restants, dans un ultimatum publié lundi, que la fin des combats approchait.
Au moment où le cessez-le-feu a été annoncé ce mercredi, les miliciens syriens étaient entourés à l’ouest par des avant-postes et des tours de guet libanais ainsi que par des positions du Hezbollah au sud et au nord : ce n’était alors qu’une question de temps avant que ce dernier ne termine sa mission.Désormais, la bataille du Hezbollah – poursuivie sans l’armée libanaise, qui maintient une position neutre au sujet du conflit syrien – devrait viser les membres restants du groupe État islamique.
La sécurisation complète de la zone serait une victoire morale et stratégique majeure pour le Hezbollah et, alors que le Premier ministre Saad Hariri a jugé cette semaine l’opération du Hezbollah « illégitime », accentuera les tensions au Liban quant au contrôle de la souveraineté de l’État.
Une plate-forme de trafic
Depuis 2011, Ersal, située dans la vallée de la Bekaa, est une plate-forme de trafic pour les combattants syriens de tous les horizons.
Compte tenu de son rôle central dans la défense du régime d’Assad, le Hezbollah est devenu une cible pour divers groupes rebelles syriens puis, plus tard, pour le Front al-Nosra – devenu Front Fatah al-Cham – et l’État islamique.
Entre 2013 et 2014, Ersal, peuplée principalement de sunnites qui soutenaient la révolution syrienne, est devenue un point de transit pour un grand nombre des voitures piégées qui ont visé les bastions du Hezbollah au Liban.
Plus de 100 personnes ont été tuées et des centaines d’autres ont été blessées dans plus d’une douzaine d’attentats-suicides contre des zones à population chiite en 2013 et 2014, selon Jane’s Defence. Les enquêtes ont montré à l’époque que des voitures piégées étaient assemblées dans la région frontalière syrienne avant d’être conduites au Liban pour procéder aux attaques.
Plus de dix-huit autres attentats-suicides ont également eu lieu au Liban depuis 2013. Des attentats récents, tels que ceux qui ont touché Qaa en 2016, Bourj el-Barajneh en 2015 et, plus tôt, l’hôtel Duroy de Beyrouth, en 2014, ont été revendiqués par l’État islamique. Beaucoup de ces attaques auraient impliqué des individus ayant traversé Ersal.
Entre obstacles et personnes bloquées
Ersal abrite aujourd’hui au moins 50 000 réfugiés syriens. « Beaucoup d’entre eux sont liés aux combattants restants de l’État islamique et du Front al-Nosra qui se trouvent dans les zones montagneuses », déclare sous couvert d’anonymat un officier de l’armée libanaise.
Cependant, des habitants de la ville – dont des habitants des camps qui auraient brandi des drapeaux libanais en soutien à la souveraineté libanaise lors de la campagne – ont fait part à MEE de leur terreur face à ce que les milices syriennes allaient faire et ont refusé de se joindre aux combats lorsqu’un partisan du Front Fatah al-Cham a essayé de les recruter par mégaphone.
C’est également à la périphérie d’Ersal que, le 30 juin, cinq kamikazes ont déclenché des explosifs lors d’un raid de l’armée contre des camps de réfugiés. Depuis, l’armée a été accusée d’avoir tué sous la torture quatre réfugiés qui avaient été capturés pendant l’incident, bien qu’une enquête militaire ait conclu que les réfugiés étaient morts de causes naturelles.
Plus tôt au cours de l’année, le Hezbollah avait entamé des négociations pour assurer l’évacuation des réfugiés et des combattants vers la Syrie avant une dernière offensive pour reprendre la région.
Selon Abou Mohamad Ali Ouweid, activiste à Ersal, les négociations ont permis l’évacuation d’une centaine de combattants de l’Armée syrienne libre, de sorte qu’il reste environ 400 combattants épuisés par un long siège.
« Quelques centaines d’entre eux sont engagés actuellement dans les combats contre le Hezbollah dans une petite étendue de terre entre le Liban et la Syrie », a déclaré l’officier de l’armée libanaise.
Une impatience grandissante
L’impatience du Hezbollah face à la situation à Ersal a été clairement soulignée par un discours prononcé le 11 juillet par son secrétaire général, Hassan Nasrallah. « La menace existe encore à la périphérie [d’Ersal] et cette affaire a besoin d’être résolue », a-t-il déclaré.
Le timing de l’opération militaire du Hezbollah semble également être lié à l’évolution de la situation en Syrie et aux calculs stratégiques du Hezbollah.
Le 7 juillet, les États-Unis et la Russie ont convenu d’un accord qui comprenait l’établissement de zones de désescalade le long des frontières de la Syrie, un plan soutenu par la Jordanie. Des troupes russes chargées de surveiller le cessez-le-feu semblent avoir été déployées le 17 juillet dans la province de Deraa.
Suite à l’accord, le Hezbollah a été obligé de se retirer de la zone, ce qui lui a donné l’occasion d’utiliser sa force pour infliger un assaut final aux combattants de la région frontalière entre la Syrie et le Liban.
En plus de nettoyer le foyer insurrectionnel, le Hezbollah a d’autres calculs stratégiques importants dans cette région périphérique. Au cours des deux dernières années, il s’est taillé une zone militarisée s’étendant de Qousseir, dans le nord-est du Liban, à Zabadani, dans le sud de la Syrie.
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Une fois que le Hezbollah aura achevé sa prise de contrôle de la région montagneuse, l’organisation jouira d’un contrôle ininterrompu du côté syrien de la frontière, formant un triangle qui s’étendra jusque Homs et Damas, souligne Ali Amine, activiste anti-Hezbollah qui a suivi la situation.
Nasrallah a promis qu’une fois qu’Ersal sera complètement sous le contrôle du groupe, ce dernier remettra la ville à l’armée libanaise.
Après tout, le nouveau bastion frontalier incontesté du Hezbollah apportera au groupe une grande portée militaire et une influence incomparable chez le voisin syrien. Il reste à voir si le Hezbollah cédera réellement le territoire.
- Mona Alami est une chercheuse et journaliste qui couvre la politique au Levant. Chercheuse non résidente à l’Atlantic Council, elle se focalise principalement sur les organisations radicales. Elle est titulaire d’une licence et d’une maîtrise en management.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des combattants du Hezbollah prient dans le jurd d’Ersal, à la frontière syro-libanaise, le 25 juillet 2017 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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