En Libye, le siège de Derna laisse présager une catastrophe humanitaire
La population de la ville orientale de Derna est confrontée à de graves pénuries alors que l’Armée nationale libyenne (ANL) de Khalifa Haftar resserre son siège sur la ville.
Les habitants de Derna rapportent à Middle East Eye qu’ils craignent pour leur vie à mesure que les ressources commencent à manquer. Le seul hôpital fonctionnel de la ville, Harish, a mis en garde contre une crise imminente alors que les médecins luttent pour trouver les fournitures médicales nécessaires pour traiter les patients.
« Je suis allé à l’hôpital de Harish pour voir par moi-même et j’y ai trouvé des femmes en train de pleurer. Il n’y avait aucun médicament et aucun médecin. Elles n’avaient aucun espoir », confie un habitant, Ahmed, à MEE.
Il avait été annoncé que les routes resteraient fermées deux jours, mais cela fait désormais sept jours que ça dure
Les habitants ont signalé une grave pénurie de produits de base, notamment de fournitures médicales, de nourriture et de carburant.
Mardi, les forces de Haftar ont fermé tous les points d’entrée et de sortie de la ville, après qu’un avion de combat de l’ANL a été abattu par le Conseil de la choura de Derna, la coalition des milices qui contrôlent la ville.
Initialement, il avait été annoncé que les routes resteraient fermées deux jours, mais cela fait désormais sept jours que ça dure.
Le Conseil de la choura de Derna contrôle la ville depuis 2015, après avoir chassé les membres du groupe État islamique (EI) qui ont tenté de s’en emparer.
Les forces fidèles à Haftar – l’une des nombreuses factions qui se disputent le pouvoir en Libye depuis que la révolution de 2011 a mis fin aux quatre décennies de règne de Mouammar Kadhafi – luttent depuis des années pour prendre le contrôle de la ville, affirmant que le Conseil de la choura est une organisation « terroriste » au même titre que l’EI.
Vendredi dernier, les habitants ont organisé une manifestation en ville, protestant contre le siège et appelant les Nations unies et d’autres ONG à agir pour lever ce siège, qu’un résident a qualifié de « sanction collective ».
« La plupart des boulangeries sont fermées en raison de la pénurie de carburant, la société locale de nettoyage d’eau a fermé en raison de la pénurie de carburant », explique Hamza el-Dernawy, parlant à MEE depuis Derna.
« Une personne est déjà morte en raison des pénuries, d’une insuffisance rénale. L’hôpital n’avait pas ce qu’il fallait pour traiter le patient. »
L’ANL lance occasionnellement des frappes aériennes sur Derna. Elle prétend avoir frappé des cibles de combattants, identifiées à la périphérie de Derna, y compris des magasins de munitions.
L’ANL a déclaré qu’elle était prête à avoir recours à d’autres frappes si les efforts de paix avec les dirigeants locaux échouaient.
En mai, Derna fut également la cible de frappes aériennes égyptiennes. L’Égypte a déclaré qu’elle répondait à une attaque contre un bus visant les chrétiens coptes sur son territoire, bien que cette attaque ait été revendiquée par l’EI.
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La présidence du Gouvernement d’union nationale (GNA), soutenu par l’ONU, a publié un communiqué condamnant lundi la situation humanitaire à Derna, appelant « toutes les parties concernées » à mettre fin au siège et aux « grandes souffrances » des habitants.
Le conseil local de Derna a publié un communiqué sur la crise humanitaire imminente dans la ville, blâmant le GNA.
Traduction : « Le conseil local de Derna met en garde contre une crise humanitaire et tient le Gouvernement d’union nationale pleinement responsable. Pic.twitter.com/RdAxwGJE0a »
L’ONU s’est également inquiétée de l’accès humanitaire à la ville, affirmant qu’une « crise humanitaire » pourrait survenir si le siège se poursuivait.
Traduction : « De nombreux Libyens affirment que le siège très critiqué de Derna par l’ANL de Haftar est un test stratégique pour le nouvel envoyé de l’ONU en Libye @GhassanSalame twitter.com/UNSMILibya/sta... »
« La situation est exécrable. Tout est à l’arrêt, les approvisionnements sont épuisés et rien ne pénètre dans la ville », a déclaré un habitant à Reuters par téléphone.
« C’est un blocage total, sans entrée ni sortie. Ils ne vous autorisent à partir qu’en tant que personne déplacée. »
L’attention s’est portée sur cette ville côtière après que Haftar annonce sa victoire dans le cadre d’une campagne militaire de trois ans contre une coalition similaire à Benghazi, à 350 km à l’ouest, il y a un mois.
L’ANL est aligné avec un parlement et un gouvernement basés dans l’Est de la Libye, qui rejette l’autorité du GNA.
Khalifa Haftar et le Premier ministre Fayez el-Sarraj se sont rencontrés à Paris à la fin du mois de juillet dans le cadre d’efforts pour négocier une résolution de paix en Libye. Un cessez-le-feu a été annoncé, bien qu’il ait exclu les opérations « antiterroriste ». L’ANL désigne habituellement ses rivaux comme des terroristes.
Haftar, une personnalité qui rechercherait le pouvoir national en Libye selon beaucoup, a bénéficié d’un soutien affirmé du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, ainsi que des Émirats arabes unis.
Les envoyés occidentaux ont souvent rencontré Haftar ces derniers mois et estiment qu’il doit faire partie de toute solution au conflit libyen.
Reportage complémentaire par Reuters.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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