EXCLUSIF : Les EAU se sont enquis des performances du Dôme de fer à Gaza auprès de son « père »
Le plus haut diplomate émirati aux États-Unis, Yousef Otaiba, s’est enquis des performances du Dôme de fer, le système israélien de défense antimissile, auprès d’Uzi Rubin, ancien responsable de l'organisation de défense antimissile d'Israël, selon des courriels obtenus par Middle East Eye.
Yousef Otaiba a été présenté à Uzi Rubin par un important lobbyiste pro-israélien à Washington DC. On ignore si les deux hommes se sont rencontrés en personne, mais les courriels, divulgués par le groupe de hackers GlobalLeaks, font état de liens militaires et diplomatiques croissants entre le royaume du Golfe et Israël.
Robert Satloff, directeur exécutif d'un think tank pro-israélien basé à Washington, a écrit à Yousef Otaiba le 19 décembre 2012 pour lui proposer une rencontre avec Uzi Rubin. Trois jours plus tard, Rubin et Yousef correspondaient directement par courrier électronique.
L'échange a eu lieu un mois après l'opération « Pilier de défense » menée par Israël contre des cibles gazaouies en novembre 2012. Selon l’ONU, l’offensive de huit jours a causé la mort de 174 Palestiniens, dont 107 civils, parmi lesquels 33 enfants. Six Israéliens ont également perdu la vie, dont deux soldats.
« Je serais intéressé d'entendre comment il [le Dôme de fer] s’en est sorti à Gaza récemment »
- Yousef Otaiba, ambassadeur des Émirats arabes unis
Rubin s’est rendu à Washington pour y faire l'éloge des performances du Dôme de fer face aux missiles tirés de Gaza lors de cette guerre. Il a déclaré devant une pléthore d'invités : « En termes stratégiques, le conflit récent était en grande partie une guerre ‘’à commande automatique’’ ».
Robert Satloff, qui recevait Rubin, a par la suite écrit à Otaiba : « J’ai pensé à vous hier quand j'ai entendu une présentation captivante du système anti-missile Dôme de fer par son père, Uzi Rubin.
« Il a clôt sa présentation par des commentaires portant sur l’applicabilité du système aux États du Golfe confrontés à des missiles iraniens. Je suppose que votre partie a entendu tout cela de lui et ses collègues directement, mais si ce n'est pas le cas, je peux certainement organiser quelque chose. »
Otaiba a répondu : « Je n'ai pas rencontré Uzi. Je serais intéressé d'entendre comment il [le Dôme de fer] s’en est sorti à Gaza récemment. J'ai lu les commentaires dans la presse sur sa performance, mais cela m’intéresserait d’en apprendre plus ».
« Tenez-moi au courant la prochaine fois que vous venez à DC »
Satloff a ensuite demandé s’il pouvait lui présenter Uzi Rubin en vue d’une rencontre future, ce que Yousef Otaiba a accepté. Les communications ont semblé porter leurs fruits rapidement : dans un courriel envoyé directement à Rubin le 22 décembre 2012, Otaiba écrit : « Tenez-moi au courant la prochaine fois que vous venez à [Washington] DC ».
Uzi Rubin répond qu'il est déjà rentré chez lui et termine son email en disant : « Peut-être la prochaine fois. Cordialement, Uzi ».
Contacté par Middle East Eye, Robert Satloff n'a pas nié avoir échangé des courriels avec Otaiba. Dans un courrier électronique envoyé à MEE, il a déclaré : « Je ne sais pas si les personnes en question se sont rencontrées, mais je ne crois pas que la réunion à laquelle vous vous référez spécifiquement ait jamais eu lieu ».
« Et, au fait, je ne fais pas de ‘’courtage’’ en réunions. Le Washington Institute, comme d'autres organismes de recherche/think tanks, organise régulièrement des réunions […] qui rassemblent toutes sortes de personnes, de toutes sortes de gouvernements et milieux, dans une grande variété de formats. »
Les contacts manifestes entre Yousef Otaiba et Uzi Rubin font partie d’un ensemble de conversations capturées entre le diplomate émirati et Robert Satloff, dirigeant de longue date du Washington Institute for Near East Affairs (WINEP), lequel émane du puissant groupe de pression AIPAC, dont les analystes et universitaires sont presque exclusivement pro-Israël.
Satloff commence son message en remerciant l'ambassadeur des Émirats arabes unis pour « le généreux présent de la nouvelle année », sans en préciser la nature.
Dans sa réponse à MEE, Robert Satloff déclare qu'il ne se rappelle pas ce qu'était ce cadeau. Il ajoute que le règlement interne de son institut stipule que le personnel est autorisé à accepter des cadeaux personnels de la part de gouvernements étrangers pour une valeur inférieure à 20 dollars.
Dîner chez l'ambassadeur
Satloff sollicite Otaiba en février 2012 pour un dîner exclusif au domicile de l’ambassadeur émirati : « C'est un peu présomptueux, mais envisageriez-vous de recevoir nos responsables les plus importants – notre conseil d'administration – à dîner chez vous ? Ils (une quinzaine de personnes) seront en ville pour une réunion […] le soir du mardi 6 mars. »
Percevant une opportunité, Otaiba répond : « C'est une excellente idée. Je serais heureux de recevoir un groupe aussi puissant sur un sujet aussi critique. Ma seule requête est que cela reste officieux et discret. »
Le conseil d'administration de WINEP comprend des personnalités telles que Peter Lowy, le directeur de Westfield's & son, qui appartient au milliardaire australien et soutien de droite d’Israël Frank Lowy.
Il comprend également son fondateur, Barbi Weinberg, ancien vice-président de l’AIPAC. Weinberg a aidé à créer WINEP avec le vice-directeur de recherche de l'AIPAC, Martin Indyk, en tant qu’entité séparée dans les années 1980 pour offrir une certaine distance à leurs idées politiques pro-israéliennes – une façon de reconnaître le « problème d'image » lié au fait de produire des idées politiques états-uniennes sur du papier à en-tête de l’AIPAC.
Au lendemain du dîner, qui a lieu en mars 2012, Satloff écrit à Otaiba : « Vous avez gagné une maison pleine d'amis la nuit dernière », puis fait l'éloge de l'ambassadeur émirati pour sa « franchise frappante » face au conseil d'administration de WINEP, leur « ouvrant » les yeux au sujet de la réelle anxiété des Émirats arabes unis concernant l’Iran ».
Otaiba lui rend la pareille : « J'ai vraiment apprécié la conversation. Mon message principal était l'alignement d'Israël et de nombreux pays arabes en ce qui concerne l’Iran ».
Satloff a refusé de révéler l’identité des convives, mais a déclaré à MEE que de tels événements en présence d’un « large éventail d’officiels américains et étrangers » « se produis[aient] régulièrement » et que « suggérer ou insinuer autre chose souligne la teneur conspirationnelle, plutôt que journalistique, de votre enquête ».
Des interactions de haut niveau
Robert Satloff a cherché à coopérer davantage avec son ami émirati. Depuis 1996, le WINEP accueille divers responsables de l’armée et des services de renseignement israéliens en tant que membres invités dans ses bureaux de Washington, en partie pour influencer le débat à Washington sur des questions liées à la Palestine et à l’Iran.
Satloff a demandé à Otaiba d’envisager d’autoriser des responsables émiratis à travailler au sein du WINEP en tant que membres invités, signe de l’attention étroite désormais portée au pays du Golfe par la communauté américaine pro-israélienne et belliciste.
Otaiba avait promis à Satloff d’« étudier cela et [de] voir comment [ses] responsables militaires [allaient] répondre ».
Dans sa réponse à MEE, Robert Satloff a expliqué qu’il avait effectué des approches similaires auprès de divers gouvernements, en accueillant des officiers israéliens, jordaniens et turcs, et que le WINEP avait accueilli un diplomate du ministère français des Affaires étrangères, ainsi que des diplomates américains et d’autres responsables gouvernementaux.« Malheureusement, nous n’avons pas encore eu l’opportunité de recevoir un officier émirati », a-t-il ajouté.
Otaiba a ensuite proposé d’aider le WINEP à « trouver des conférenciers émiratis et peut-être non émiratis pour discuter des Frères musulmans et de la radicalisation dans la région » ; les Frères musulmans, dont les filiales ont remporté des élections populaires en Égypte, en Tunisie, en Turquie et au Koweït, sont diabolisés par les Émirats arabes unis comme par Israël, qui les considèrent comme une menace.
« Nous n’avons jamais sollicité ou accepté de dons provenant de sources émiraties »
– Robert Satloff, directeur exécutif du Washington Institute for Near East Policy
Otaiba a également écrit à Satloff pour féliciter le WINEP pour un article écrit en janvier 2016 par David Pollock, dans lequel il « défend la relation américano-saoudienne ».
« Je voulais vous le faire savoir, a écrit Otaiba. Je pense que l’article [de] David Pollock sur l’Arabie saoudite est sans doute la meilleure analyse que j’ai vue jusqu’à présent [...] Essayez de le faire paraître dans une publication grand public, car cet article doit bénéficier d’une aussi grande exposition que possible. »
En réponse, Satloff s’est plaint qu’ils avaient tenté de se rapprocher de « tous les médias grand public habituels, mais [qu’ils avaient] été rejetés », ce qu’il considérait comme « un triste signe de notre époque ».
Otaiba, dont les connexions avec Washington dépassent largement les think tanks, a ensuite proposé son aide personnelle, que Satloff a déclinée. « Pas même Politico ? », a demandé Otaiba. « Je peux tirer quelques ficelles là-bas si nécessaire. »
Dans sa réponse à MEE, Satloff écrit : « En vertu d’une politique de longue date, le Washington Institute ne sollicite ni n’accepte de dons provenant de sources étrangères, que ce soient des individus, des sociétés, des gouvernements ou des fondations. Nous dépendons uniquement d’un soutien financier provenant de sources américaines. Plus précisément, nous n’avons jamais sollicité ou accepté de dons provenant de sources émiraties. »
Le rapprochement entre les Émirats arabes unis et Israël
Les Émirats arabes unis n’entretiennent pas de relations diplomatiques officielles avec Israël. Cependant, en novembre 2015, le gouvernement d’Abou Dabi a permis à Israël d’établir un bureau diplomatique auprès de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA), une organisation intergouvernementale basée dans la capitale émiratie, bien que des responsables israéliens aient précisé qu’Israël allait être accrédité uniquement auprès de l’IRENA.
MEE et Haaretz ont rapporté en 2015 qu’un jet privé effectuait au moins deux vols par semaine entre Tel Aviv et Abou Dabi. En outre, selon des informations publiées en 2012 sur le site français Intelligence Online, la société AGT International a signé un contrat d’une valeur de 800 millions de dollars pour fournir à la Critical National Infrastructure Authority d’Abou Dabi « des caméras de surveillance, des clôtures électroniques et des capteurs pour surveiller les infrastructures stratégiques et les gisements pétroliers ».
Le site web consacré aux professionnels du renseignement a décrit le propriétaire d’AGT, Mati Kochavi, comme « l’homme d’affaires israélien le plus actif à Abou Dabi ».
Alors que les Émirats arabes unis, comme l’Arabie saoudite, adoptent une position plus agressive envers le voisin iranien, qu’Israël considère également comme une menace majeure, la convergence des intérêts entre Abou Dabi et Israël a donné lieu à une hausse des interactions politiques.
Des relations non dissimulées avec Israël ne manqueraient pas de susciter l’indignation des factions palestiniennes qui, pour beaucoup, estiment avoir une « carte » à jouer en insistant à ce que toute normalisation des relations diplomatiques entre Israël et les 57 pays arabes et musulmans ne se produise qu’à la condition que les Palestiniens réalisent d’abord leur droit de vivre librement dans leur propre État.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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