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EXCLUSIF : Un membre haut-placé de la famille royale émiratie vend secrètement de la viande à Israël

Une société émiratie détenue en partie par le cheikh Mansour bin Zayed al-Nahyan, frère du prince héritier d’Abu Dhabi, est le principal fournisseur de bœuf d’Israël
Le propriétaire de Manchester City, le cheikh Mansour bin Zayed al-Nahyan, lors d’un match de football de Premier League (AFP)

Un membre haut-placé de la famille royale émiratie est un actionnaire important d’une société de plusieurs milliards de dollars qui est secrètement le plus grand fournisseur de viande bovine sur le marché de la viande israélienne, bien que les Émirats arabes unis (EAU) et Israël n’aient officiellement pas de relations diplomatiques.

Middle East Eye est en mesure de révéler que le cheikh Mansour bin Zayed al-Nahyan détient au moins 40 % de parts dans la société Emirates Future – une entreprise alimentaire émiratie qui, grâce à une série de transactions commerciales complexes, est le partenaire commercial clé d’une firme israélienne ayant des liens avec le fils de l’ancien Premier ministre israélien Ariel Sharon.

Un porte-parole de la compagnie sœur d’Emirates Future, Hijazi & Ghosheh, a indiqué à MEE que le cheikh Mansour « possède environ 40 % » d’Emirates Future.

Le cheikh Mansour (45 ans) est le vice-Premier ministre milliardaire des Émirats arabes unis et est davantage connu comme étant le propriétaire du club de football britannique Manchester City. Il est également le frère du prince héritier d’Abu Dhabi et souverain de facto des Émirats arabes unis, le cheikh Mohammed bin Zayed al-Nahyan.

Le cheikh Mansour ne figure pas sur le site d’Emirates Future (EF) en tant que propriétaire de l’entreprise alimentaire. Cependant, une société d’image de marque jordanienne, Overhaul, a déclaré avoir vendu à EF une boîte commémorative pour célébrer la prise de participation du cheikh Mansour dans la société.

La page web d’Overhaul a été créée entre octobre l’année dernière et février cette année. La société n’a pas répondu à notre demande concernant la date à laquelle elle a réalisé la boîte du cheikh Mansour.

Emirates Future a également laissé sans réponse une demande de commentaire et le cheikh Mansour n’a pas déclaré publiquement ses intérêts dans l’entreprise.

Le prince émirati est apparu en public à plusieurs reprises pour aider EF à étendre ses activités, y compris en avril 2014 lorsqu’il a aidé l’entreprise à obtenir un accord visant à augmenter ses ventes dans l’industrie des aliments halal.

Il a également inauguré un événement commercial en janvier de cette année où, dans son rôle de président de l’Autorité de contrôle alimentaire d’Abu Dhabi, il a supervisé un jour où EF comptait parmi un groupe de sociétés ayant obtenu des marchés d’une valeur de 3,7 milliards de dirhams émiratis (886,5 milliards d’euros).

Une vue d’ensemble du portefeuille de la société sur le site d’EF indique qu’elle a été créée en 2012 afin de lancer une entreprise conjointe avec une grande société alimentaire jordanienne, le groupe Hijazi & Ghosheh.

Hijazi & Ghosheh est basé à Amman et a été fondé en 1985 par le président du groupe Isam Hijazi et son vice-président Abdul Razzaq Ghosheh. La société est un leader sur le marché de l’exportation de nourriture et de bétail ; le magazine d’affaires Venture la décrit comme « l’une des entreprises les plus puissantes de Jordanie ».

Le projet d’entreprise commune entre EF et Hijazi & Ghosheh a été rendu possible grâce à l’investissement d’un « partenaire stratégique des EAU » selon le site d’EF, qui ne nomme pas les personnes responsables de cet accord.

Le porte-parole de Hijazi & Ghosheh, qui n’a pas été autorisé à parler à MEE, a déclaré que Hijazi & Ghosheh et Emirates Future étaient des « sociétés sœurs qui appartiennent à la même société mère ».

La Chambre d’industrie d’Amman cite une société d’investissement émiratie anonyme comme étant un « partenaire » au sein du conseil d’administration de Hijazi & Ghosheh. Le porte-parole de Hijazi & Ghosheh a dit qu’il ne pouvait pas révéler l’identité de la société d’investissement émiratie.

Hijazi & Ghosheh n’a pas de présence en ligne, contrairement à EF, qui a un site web présentant un organigramme d’affaires montrant EF au sommet d’une hiérarchie qui comprend Hijazi & Ghosheh – suggérant qu’EF contrôle la société jordanienne.

Hijazi & Ghosheh exporte de la nourriture et du bétail partout dans le monde à travers sa société basée en Australie Livestock Shipping Services (LSS), qui a été fondée en 1998 et dont le siège social est situé dans la ville occidentale de Perth. Le directeur général de LSS est Ahmad Ghosheh – un membre de l’une des deux familles qui composent le groupe Hijazi & Ghosheh.

Le site LSS cite Israël en tant que l’un des nombreux marchés vers lesquels elle exporte via sa flotte d’énormes navires qui peuvent transporter jusqu’à 20 000 bovins en un voyage de l’Australie ou l’Amérique du Sud au Moyen-Orient.

LSS livre en Israël via la ville portuaire d’Eilat, où les animaux sont immédiatement transférés dans une station de quarantaine à proximité du kibboutz Eilot.

Une entreprise appelée Refit in Araba est propriétaire de la station de quarantaine d’Eilot. L’avocat israélien de Hijazi & Ghosheh, Musa Naim, avait confié au site financier israélien TheMarker que Hijazi & Ghosheh ne possède pas directement la station de quarantaine, mais possède Refit in Araba. Naim n’a pas répondu aux demandes de commentaires sur ce sujet.

La valeur du bétail vendu à Israël n’est pas connue, mais TheMarker a rapporté en 2014 que, jusqu’en 2012, Hijazi & Ghosheh était le seul fournisseur de veaux pour Israël, ce qui signifie que l’entreprise vaudrait au moins des dizaines de millions de dollars. Depuis lors, le marché s’est légèrement ouvert, du bétail européen et américain étant désormais vendu en Israël.

Une fois que les animaux ont l’autorisation de quitter la station de quarantaine de Hijazi & Ghosheh à Eilot, ils sont livrés à Saleh Dabbah & Sons – principal client israélien d’EF – qui est une entreprise familiale détenue par Ahmed Dabbah, un homme politique israélo-palestinien ayant des liens étroits avec la famille du défunt Premier ministre israélien Ariel Sharon.

Dabbah était membre du Likoud jusqu’en 2005, lorsqu’Ariel Sharon est parti pour former le parti Kadima. En août 2012, Dabbah a été élu au Parlement israélien, où il a officié pendant six mois en tant que premier représentant israélo-palestinien de Kadima.

La compagnie de Dabbah possède de grands abattoirs à travers Israël, où les animaux sont abattus conformément aux exigences casher israéliennes. La viande des animaux est ensuite vendue et distribuée aux supermarchés et aux entreprises en vue de leur achat par le public.

En 2014, Omri Sharon (le fils d’Ariel Sharon) a été élu à la tête de l’Association des éleveurs bovins israéliens. Il aurait été choisi comme nouveau chef de ce secteur parce qu’il sait « faire des sales coups ».

Omri Sharon a été contraint de démissionner en tant que membre du Parlement et a purgé cinq mois de prison en 2008 après avoir été reconnu coupable de corruption politique, notamment de blanchiment d’argent présumé par rapport à la campagne électorale de son père en 1999. Le scandale a eu lieu au moment où Dabbah travaillait sur la campagne de Sharon.

La nature spécifique de la relation entre Dabbah et Omri Sharon n’est pas connue, mais en tant que chef de l’organisation de l’industrie de l’élevage israélienne, un certain niveau d’interaction commerciale entre les deux est probable étant donnée l’importance de l’entreprise de Dabbah dans la vente de viande dans le pays.

Relations croissantes

Alors que les entreprises jordaniennes et israéliennes peuvent faire ouvertement des affaires, le commerce israélo-émirati est beaucoup plus secret puisque les deux pays n’ont officiellement pas de relations diplomatiques.

Toutefois, dans les coulisses ces dernières années, les dirigeants israéliens et émiratis se sont rapprochés, forgeant notamment une relation de sécurité secrète qui a permis à une société israélienne d’installer un système de surveillance civile de masse à Abu Dhabi. Et en novembre dernier, Israël a annoncé envoyer son premier représentant diplomatique aux EAU, bien que ce soit à l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA), basée à Abu Dhabi.

La relation naissante entre Israël et les EAU devait rester secrète, s’agissant d’une question sensible au niveau national, du moins pour les Émiratis, qui pour la plupart sont fortement en faveur de la reconnaissance d’un État palestinien.

Yitzhak Gal, professeur d’économie politique à l’Université de Tel Aviv, avait précédemment déclaré à MEE que tout commerce ayant lieu entre des entreprises israéliennes et les EAU aurait « la bénédiction » des responsables de chaque pays.

Un porte-parole du ministère israélien de l’Agriculture a indiqué ne pas pouvoir commenter cette affaire.

Ce besoin de discrétion pour commercer peut expliquer en partie pourquoi Israël n’est mentionné nulle part sur le site d’EF, bien que ce soit un marché qui offre à l’entreprise une part importante de ses revenus annuels.

L’importance de ces revenus reste inconnue parce qu’EF, Hijazi & Ghosheh et LSS n’ont pas publié combien d’argent ils retirent de la vente en Israël.

Et tandis que leur partenaire israélien Dabbah ne révèle pas l’ampleur de ses gains sur les veaux vendus par LSS, cette société a été décrite dans le passé comme faisant partie d’un monopole qui contrôle le marché de la viande bovine israélienne et qui maintient les prix artificiellement élevés.

Le rapport 2014 de Marker énonce que la société familiale Dabbah contrôle au moins 60 % du marché israélien de la viande bovine et que, malgré la baisse des prix de la production bovine sur le plan national, le prix du bœuf demeure élevé car « il n’y a pas de marché » en Israël en raison du monopole des Dabbah – accusations que la société israélienne a niées par le passé.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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