Casques blancs assassinés en Syrie : « Nous avons perdu les meilleurs hommes de la ville »
Omar al-Hir prévoyait d’apporter du pain à son frère Mohammed et à ses collègues dans leur base d’une ville du nord-ouest. L’équipe de la défense civile n’en avait plus et avait besoin de plus de provisions avant leur prochaine garde.
Mais avant qu’Omar n’arrive au centre des Casques blancs, il a reçu un message.
« Je n’arrive pas à croire qu’il soit mort »
– Abdulrahman Kassas, frère d’une victime
Son frère Mohammed, 25 ans, alias Abu Kifah pour ses amis, avait été tué. Des inconnus armés ont pénétré dans le bureau de l’équipe et l’ont abattu, ainsi que six collègues qui étaient de garde cette nuit du 12 août.
« Je me suis précipité au centre pour les trouver gisant tous sur le sol », raconte Omar à Middle East Eye via WhatsApp depuis sa ville natale de Sarmin, où les meurtres se sont produits. « De mes frères et sœurs, il était celui dont j’étais le plus proche, et il aimait donner aux autres le meilleur de lui-même. »
Soudain, il trouve des difficultés à parler et s’effondre en larmes.
« Selon la volonté de Dieu, ils sont des martyrs », résume-t-il.
Parmi les personnes tuées, Mohammed était particulièrement connu. Son visage est apparu dans les médias internationaux en octobre dernier lorsqu’il a pleuré lors du sauvetage d’un bébé, Wahida Ma’artouk, à Idleb.
Plus tôt cette année, Mohammed a envoyé un message vocal à un collègue, entendu par MEE, dans lequel il parlait de sa volonté de continuer à travailler. Et ce, en dépit des dangers. Les estimations du groupe suggèrent que plus de 140 volontaires ont été tués en service.
« J’aime mon travail, c’est devenu une part de moi », affirme-t-il.
« J’aime mon travail, c’est devenu une part de moi »
– Mohammed al-Hir, Casques blancs
Mohammed avait déclaré que malgré sa renommée après avoir sauvé Wahida, il ne quitterait jamais son travail ou sa maison.
« Je ne peux pas quitter la Syrie, parce que c’est pour nous, c’est pour tous. Si Dieu le veut, nous reconstruirons la Syrie à l’avenir », avait-il déclaré.
« Ils sont habitués à la mort »
Les 3 200 bénévoles des Casques blancs sont habitués à la mort. Ils passent leurs journéess sur les sites des attaques aériennes russes ou du gouvernement syrien, tirant les gens des décombres des bâtiments détruits.
Ils risquent de recevoir des missiles largués lors des attaques en deux temps, lors desquelles les avions reviennent frapper une seconde fois le même endroit, après que les secouristes se précipitent pour aider les blessés.
Malgré le fait que Idleb constitue soi-disant l’une des « zones de désescalade » en Syrie, 47 personnes ont été tuées dans la province rien qu’en juillet, par les forces de Bachar al-Assad, les « extrémistes » et d’autres parties, selon le groupe de surveillance du réseau syrien pour les droits de l’homme.
Mais ces décès sont différents. Ces hommes – Mohammed al-Hir, Ziad Hussein Qadahoun, Bassel Mousafa Qasaas, Muhammed Shbeeb, Abdul Razzaq Hussein Haj Khalil, Mohammed Karouma et Abeeda al-Radwan – ont été tués dans leur propre bureau par des inconnus armés. Les assaillants ont volé deux fourgonnettes et d’autres équipements, y compris les célèbres casques blancs, qui ont fait connaître l’équipe de recherche et de sauvetage.
« Je ne peux pas quitter la Syrie, parce que c’est pour nous, c’est pour tous. Si Dieu le veut, nous reconstruirons la Syrie à l’avenir »
– Mohammed al-Hir, Casques blancs
Les coupables – soupçonnés d’être des bandits ou d’appartenir à des cellules du groupe État islamique – restent introuvables.
L’attaque a attiré l’attention du monde entier : le Département d’État américain a déclaré qu’il était « attristé et horrifié » par ces « meurtres brutaux », tandis que le ministre britannique des Affaires étrangères, Boris Johnson, a qualifié la mort des volontaires de « perte énorme pour leur famille, la Syrie et le monde ». Selon un porte-parole du Foreign and Commonwealth Office (FCO), le Royaume-Uni a fourni aux Casques blancs un soutien à hauteur de 35 millions de livres (près de 40 millions d’euros) depuis 2013.
Les Casques blancs ont été critiqués par des militants sur les réseaux sociaux, principalement pour recevoir des millions de dollars d’aide de la part des gouvernements occidentaux, notamment de l’USAID, des Affaires étrangères britanniques et de l’Allemagne. Le gouvernement du président Bachar al-Assad et son allié russe les accusent également d’être des outils entre les mains de leurs donateurs internationaux.
Le groupe a été nommé pour le prix Nobel de la paix 2016 et un documentaire sur eux, produit par Netflix, a remporté un Oscar cette année.
« Une mare de sang »
Matiah Jalal, un ami proche des victimes, n’avait pu dormir la nuit avant l’attaque. Sur le moment, il ne savait pas pourquoi. Tout était normal : lui et trois des hommes qui allaient mourir quelques heures plus tard prévoyaient de voir un ami qui venait en Syrie de Turquie le lendemain.
« Je suis rentré chez moi et j’ai essayé de dormir. Ma maison est proche du centre de défense civile. Je ne me suis pas endormi avant l’aube », rapporte Jalal à MEE.
Un voisin a réveillé Jalal à 7 h du matin avec la terrible nouvelle, et il fut parmi les premiers à arriver sur les lieux.
« Je les ai vus gisant au sol, couverts de sang. La pièce était une mare de sang : il y en avait partout, sur les murs, le sol », raconte-t-il. « Ils ont été tués d’une balle dans la tête. Mes nerfs ont lâché. »
Pour l’instant, les amis et la famille des sept hommes assassinés samedi matin sont simplement en deuil. La plus âgée des victimes, Ziad Qadahoun, avait 40 ans et laisse derrière lui quatre enfants et une femme. Le plus jeune, Abeeda al-Radwan, n’avait que 20 ans et était célibataire, le seul garçon au milieu de six sœurs.
« Il était drôle, il était courageux et tout le monde l’aimait » – Matiah Jalal, ami d’une victime
Enveloppés dans des couvertures bleues, les corps de ces hommes ont été emmenés à la mosquée locale pour les prières funéraires un peu plus tard samedi. Les musulmans sont généralement enterrés dans les 24 heures suivant la mort : les hommes ont été mis en bière dans des tombes étroites creusées dans le sol ocre.
« Il était courageux »
« Il était drôle, il était courageux et tout le monde l’aimait », confie Jalal à MEE, décrivant Mohammed el-Hir, aux côtés duquel il avait été blessé lors d’une attaque aérienne en 2015. « Il était travailleur, c’est pourquoi il a gagné le respect des gens. »
Abdulrahman Kassas a perdu son frère Basil Kassas, 31 ans, dans les meurtres. Son frère, d’une fratrie de cinq frères et sœurs et ancien chef du centre des Casques blancs à Sarmin, une ville d’environ 25 000 personnes, laisse derrière lui deux enfants de moins de 5 ans.
« La soirée avant l’incident, nous nous sommes réunis avec ses amis », raconte Abdulrahman à MEE. « Nous avons beaucoup apprécié la soirée : je n’avais pas ri autant depuis cinq ans en raison de la guerre. J’ai dit à mes amis que j’espérais que nous ne serions pas confrontés à quelque chose de mauvais après nous être amusés ainsi. »
Il ne vit qu’à 800 mètres du cimetière où se situe désormais la tombe de son frère.
« Nous avons perdu les meilleurs hommes de la ville. Je suis allé au cimetière avec ma mère pour nous rendre sur sa tombe tous les jours. Je n’arrive pas à croire qu’il soit mort. »
« C’est une part de moi »
Le meurtre de ces hommes montre qu’il existe de multiples menaces à Idleb. La zone est contrôlée par Hayat Tahrir al-Sham (HTS), un groupe de combattants liés à une ancienne filiale d’al-Qaïda. Le groupe a publié un communiqué exprimant sa peine pour la mort des Casques blancs et louant leur travail qui a aidé « tout le monde ».
« Ce crime s’inscrit dans une série d’actions qui visent à [briser] la révolution, notamment les cadres, l’élite et les institutions civiles et militaires », a déclaré HTS dans son communiqué.
Bien que HTS ne semble pas être impliqué dans l’attaque de samedi, il a participé aux luttes de pouvoir avec d’autres rebelles dans la région.
« Je n’avais pas ri autant depuis cinq ans en raison de la guerre »
– Abdulrahman Kassas, frère d’une victime
Puis, il y a des frappes aériennes du gouvernement, qui se poursuivent malgré la soi-disant « zone de désescalade » sur Idleb.
Les gangs, les bandits et les activités criminelles constituent également une menace, comme l’a démontré l’attaque de samedi.
Malgré les nombreux risques à Idleb, des Syriens sont déplacés dans la province depuis d’autres régions du pays conformément à des accords de relocalisation avec le gouvernement Assad et même depuis le Liban.
Plus tôt ce mois-ci, des milliers de réfugiés syriens ont été ramenés à Idleb depuis Arsal, du côté libanais de cette région montagneuse divisant les deux pays selon un accord négocié par le Hezbollah.
« Les gens sont envoyés à Idleb depuis le Liban et le reste de la Syrie, mais ils n’ont nulle part où aller à partir de là », relève Mahmoud Bitar, un défenseur syrien des droits de l’homme qui connaissait les sept hommes. « La frontière turque est fermée et il existe une haine des Syriens de la part des gardes-frontières. »
Le conseil local de Sarmin a mis en place une sécurité supplémentaire depuis l’attaque, avec des points de contrôle à l’entrée de la ville en vigueur après le noir. Les habitants ont encore peur, mais les photos partagées sur les réseaux sociaux ont montré que les membres de la force de défense civile d’Idleb étaient solidaires avec les victimes de Sarmin, promettant de poursuivre leur travail.
« Nous continuerons à sauver des vies »
– Omar al-Hir, frère d’une victime
« Nous continuerons à sauver des vies », promet Omar, également bénévole des Casques blancs, qui a poussé Mohammed à rejoindre le groupe en 2015.
Tandis que son corps repose dans sa tombe ocre à Sarmin, les mots de Mohammed font écho à cet esprit.
« Je continuerai sur ce chemin jusqu’à mon dernier souffle », affirme-t-il à voix basse, dans son message. « Je vous l’ai dit : ce travail est devenu une part de moi. Je ne peux pas le quitter, jamais. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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