Lalesh, le site spirituel de la communauté yézidie en Irak où règne la paix
LALESH, Kurdistan irakien – Des jeunes se prennent en photo sur leur téléphone tandis que d’autres, assis, profitent d’un pique-nique. Cette scène heureuse et paisible d’une journée d’été se déroule dans le cœur spirituel de la communauté yézidie, dans la région montagneuse du nord de l’Irak.
Middle East Eye a récemment visité Lalesh, dans le Kurdistan irakien (gouvernorat de Ninive). C’est ici, à 50 km au nord de Mossoul, que se trouve le mausolée du cheikh Adi ibn Musafir, fondateur du yézidisme au XIIe siècle.
Le centre spirituel ressemble aujourd’hui à un village calme et rocheux niché au milieu des collines, accessible par une seule route. En entrant dans le sanctuaire, les visiteurs doivent retirer leurs chaussures. Les bâtiments, dont beaucoup sont âgés de plusieurs centaines d’années, sont entourés d’arbres.
Ce vendredi, toute la zone du sanctuaire était remplie de personnes venues pour le week-end. La plupart provenaient d’al-Shekhan, une petite ville située à quelques kilomètres de Lalesh.
L’atmosphère était joyeuse et positive. Assis à l’ombre des arbres, les pèlerins célébraient des repas ordinaires en famille, enregistraient ces moments avec leur téléphone portable, tandis que des jeunes publiaient des photos sur les réseaux sociaux comme le font les jeunes du monde entier.
C’est le sanctuaire le plus ancien et le plus important de ce qui était à l’origine un ordre soufi connu sous le nom d’Adawiyya, explique Birgül Açıkyıldız-Şengül, chercheuse à l’Université Paul-Valéry de Montpellier, dans sa thèse consacrée à Lalesh.
« Ils sont communément décrits comme le peuple de l’ange paon ou les fidèles de Satan à cause du respect dont ils témoignent à l’égard de l’ange paon ("Taus Melek"). Selon le dogme yézidi, Dieu a délégué ses pouvoirs à sept anges, "sept mystères". L’ange paon, le plus puissant des sept, est le seul représentant de Dieu sur terre. »
Un jeune homme originaire de Lalesh nous a expliqué comment nous sommes censés nous comporter dans le sanctuaire et nous a guidés à travers le temple. Chaque année, la garde du sanctuaire est confiée à différentes familles.
Le guide nous a montré les énormes vases dans lesquels l’huile d’olive est stockée pour être utilisée pendant les rituels religieux et les célébrations.
Dans la partie principale du temple, des pèlerins embrassaient les piliers et faisaient des nœuds sur des tissus colorés afin de prononcer des vœux.
Il est interdit de marcher sur le seuil des portes de tout le temple, chose dont les visiteurs doivent se rappeler lorsqu’ils se promènent dans le sanctuaire. Le lieu est doté d’une atmosphère unique et spirituelle.
Un jeune homme, son épouse et leurs enfants étaient assis sous un arbre et terminaient leur repas ; ils nous ont invités à les rejoindre.
Les Yézidis sont réticents à parler de leur religion et de leurs coutumes aux étrangers. Le soir, un homme qui était notre guide nous a invités à nous joindre à lui alors que les familles allumaient de petits feux dans 365 poêles spéciaux situés autour du complexe du temple. Lors de ce rituel qui se produit une fois par an, des petites brindilles d’olivier sont trempées dans l’huile d’olive du temple, a-t-il expliqué.
Dans la soirée, Middle East Eye est revenu pour photographier la cérémonie d’allumage des nœuds de brindilles d’olivier, suite à laquelle les membres des familles ont nettoyé la place principale en face du temple au cours d’un moment sublime pour tous ceux qui étaient présents.
Cette atmosphère idyllique peut surprendre les visiteurs compte tenu du fait que les Yézidis ont connu en 2014 un génocide infligé par le groupe État islamique et qu’à seulement 50 km de là, à Mossoul, les combats urbains les plus intenses depuis la Seconde Guerre mondiale ont pris fin il y a seulement quelques semaines.
Mais ici, à Lalesh, il n’y a aucune menace ni aucun sentiment de danger ou de tension. La police et l’armée kurdes protègent les portes principales tout en restant discrètes sur le site.
Malgré la brutalité de l’État islamique et la guerre qui sévit dans la région, des personnes normales continuent de vivre leur vie paisiblement et de pratiquer des traditions religieuses qui se perpétuent au fil des générations.
Il existe de nombreux mythes sur le yézidisme et ses coutumes, certains étant devenus tristement célèbres dans la propagande de l’État islamique, comme l’idée que ses fidèles sont des disciples de Satan. La plupart de ces histoires sont le résultat d’un manque de connaissance de leur religion.
Sur le plan ethnique, les Yézidis sont kurdes, mais beaucoup d’entre eux se décrivent comme des Yézidis sans aucune association nationale ou ethnique. Ils parlent le kurde septentrional, ou kurmandji, connu localement sous le nom de « badini ». C’est également la langue cérémoniale yézidie et la langue dominante entendue à Lalesh, bien que l’on ait pu entendre quelques pèlerins parler également en arabe.
Les Yézidis ont connu de nombreuses années de persécution, en particulier récemment, sous le joug du groupe État islamique. Un massacre de Yézidis a notamment été opéré par l’État islamique en 2007 dans le nord de Mossoul et à Qahtaniya, près de Sinjar. Avec 500 morts et 1 500 blessés, Qahtaniya a été le deuxième attentat le plus meurtrier du XXIe siècle après ceux du World Trade Center. Ensuite, en 2014, plusieurs milliers de Yézidis ont été massacrés par l’État islamique et plus de 5 000 femmes ont été vendues comme esclaves.
Mais aujourd’hui, dans le Kurdistan irakien, les Yézidis sont en sécurité, surveillés par les peshmergas kurdes à la porte principale du sanctuaire.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].