La naissance d’un second Hezbollah ? La position de l’Iran dans une Syrie d’après-guerre
Peu de temps après la révolution iranienne de 1979, les régimes de Téhéran et Damas ont forgé une alliance durable qui a remplacé les différences fondamentales divisant les deux États, y compris les débats entre l’arabe et le persan ou entre société laïque et islamique.
Ce qui a solidifié l’alliance naissante entre les deux États a été une menace commune, représentée par trois ennemis intimidants
Ce qui a solidifié l’alliance naissante entre les deux États a été une menace commune, représentée par trois ennemis intimidants : l’Irak dirigé à l’époque par Saddam Hussein, Israël et les États-Unis.
En 1980, les forces irakiennes ont envahi l’Iran. Pendant la guerre (1980 – 1988), la Syrie, alors dirigée par Hafez al-Assad, le père de Bachar al-Assad, était le seul pays arabe qui se tenait du côté de l’Iran.
En avril 1982, dans un signe flagrant de soutien pour l’Iran, la Syrie a fermé l’oléoduc Kirkouk-Baniyas qui livrait à son apogée 1,2 million de barils de pétrole irakien par jour pour l’exportation. Suite à cela, les Irakiens n’exportaient plus que 650 000 barils de brut par jour.
Bien sûr, l’Iran a rendu la politesse en vendant du pétrole lourdement subventionné à la Syrie, un acte réciproque qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui.
Pourquoi la Syrie est-elle vitale pour l’Iran ?
Une position hostile envers Israël est l’un des piliers de la politique étrangère de l’Iran islamique. Cette hostilité durable a des racines religieuses, historiques, politiques et socio-psychologiques profondes.
Dans les années 1980, les Gardiens de la révolution islamique (GRI) ont financé, organisé et formé des forces chiites au Liban sous la bannière du Hezbollah. L’objectif était triple : changer l’équilibre du pouvoir en faveur de la communauté chiite au Liban, se servir du Hezbollah comme d’une force dissuasive contre Israël s’il décidait de lancer une guerre contre l’Iran et affronter l’hégémonie incontestée d’Israël dans son voisinage proche.
La doctrine s’est avérée fructueuse : au cours de la guerre asymétrique de 2006 entre Israël et le Hezbollah, ce dernier est apparu comme la seule puissance militaire arabe capable de contrer l’agression israélienne.
Pour fournir des armes au Hezbollah, la Syrie est devenue un couloir vital reliant Damas à Tartous, une ville sur la côte méditerranéenne adjacente à la frontière libanaise. Ensuite, 2003 est arrivé.
À la suite d’une erreur américaine stratégique impliquant l’ennemi juré de l’Iran, l’Irak, le régime de Saddam Hussein s’est effondré. Cette erreur a amené au pouvoir certains groupes chiites d’opposition qui avaient été armés, formés et financés pendant des années par l’Iran. Ce développement a soudainement étendu la sphère d’influence de l’Iran et offert une connexion presque sans obstacle entre Téhéran et le Hezbollah libanais via l’Irak et la Syrie.
Maintenir Assad au pouvoir
Huit ans plus tard, au milieu de l’agitation pro-démocratique dans le monde arabe, ont éclaté en mars 2011 les protestations dites du Printemps arabe en Syrie. Le soulèvement contre le dictateur Bachar al-Assad s’est rapidement transformé en une guerre par procuration sanglante qui a attiré les concurrents régionaux et les puissances mondiales.
La doctrine de l’Iran en Syrie et en Irak est la suivante : « Si nous ne défendons pas nos bastions en dehors de nos frontières, nous devrons combattre nos ennemis à l’intérieur de nos frontières »
Le système de dirigeance iranien a été menacé non seulement par la montée du groupe État islamique, violent et antichiite, mais aussi par la perte potentielle de la Syrie face à son concurrent sunnite radical, l’Arabie saoudite, qui serait depuis l’été 2013 le principal acteur du financement et de l’armement des rebelles qui combattent le régime d’Assad. La chute d’Assad aurait également été un coup monumental porté à la profondeur stratégique de l’Iran et donc à son pouvoir dissuasif contre Israël.
La doctrine de l’Iran en Syrie et en Irak est la suivante : « Si nous ne défendons pas nos bastions en dehors de nos frontières, nous devrons combattre nos ennemis à l’intérieur de nos frontières. » L’Iran a donc fortement investi en Syrie. Staffan de Mistura, envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie, a précédemment estimé que l’Iran dépensait 6 milliards de dollars chaque année dans la guerre en Syrie.
Selon les responsables des GRI, la plus grande contribution de l’Iran a été l’organisation des Forces de défense nationale (FDN), une milice pro-gouvernementale. Selon plusieurs rapports indépendants, les Forces de défense nationale comptent environ 50 000 combattants prêts au combat en Syrie.
En mai 2014, le général de brigade Hossein Hamedani, qui aurait supervisé le financement des FDN, a déclaré que l’Iran avait organisé environ 70 000 combattants pro-Assad des FDN en 42 groupes et 128 bataillons. Hamedani a été tué près d’Alep en 2015.
En outre, de nombreux rapports confirment que la brigade Fatemiyoun – composée de milliers de chiites afghans qui combattent sous l’égide du Hezbollah afghan, de la brigade Zaynabiyoun (la version pakistanaise de Fatemiyoun), du Hezbollah libanais et du groupe de milices des Kataeb Hezbollah d’Irak – participe activement à la guerre en Syrie sous le contrôle direct des GRI iraniens.
Un second Hezbollah ?
Organisée sur le modèle du groupe militant libanais Hezbollah et riche de son expérience dans la coordination avec les milices intermédiaires en Irak, cette grande base paramilitaire endurcie au combat en Syrie offrira une garantie à l’Iran en se présentant comme une force politique décisive en Syrie une fois le conflit résolu, quel que sera le gouvernement au pouvoir, comme cela s’est produit au Liban et en Irak.
Cela signifie simplement que nous assisterons à la naissance d’un second Hezbollah et d’un ancrage iranien dans l’arrière-cour d’Israël, en Syrie.
C’est dans ce contexte que le président russe Vladimir Poutine a rencontré le 23 août dernier le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, à la demande de ce dernier. À l’issue de la rencontre, Netanyahou a déclaré que l’Iran essayait de « libaniser » la Syrie et de prendre le contrôle du pays à l’aide de milices chiites.
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Selon plusieurs rapports, le chef du Mossad Yossi Cohen a fourni à Poutine des « renseignements détaillés, sensibles, crédibles et très inquiétants » au sujet de la présence militaire iranienne en Syrie lors de la rencontre. Après celle-ci, Netanyahou a déclaré qu’il avait indiqué à Poutine « qu’Israël était disposé à agir pour empêcher une présence militaire iranienne continue en Syrie ».
« Lorsque nous l’avons fait par le passé, nous ne demandions pas d’autorisation mais nous faisions une mise au point au sujet de notre politique [...] La communauté internationale sait que quand nous disons quelque chose, nous agissons également », a-t-il ajouté.
Ici pour rester
Toutefois, l’Iran quittera-t-il la Syrie après avoir investi du sang et des ressources dans le pays pendant tant d’années simplement à cause des menaces israéliennes ? Bien sûr que non.
Selon Rami Abdurrahman, directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’homme, « il est presque impossible d’empêcher l’Iran d’atteindre son objectif après avoir dépensé des centaines de millions de dollars et envoyé des armes et des combattants pour aider Assad à rester au pouvoir [...] L’influence de l’Iran en Syrie est imparable même si Bachar al-Assad quitte le pouvoir, parce que l’Iran dispose de liens profonds et d’une forte présence en Syrie. »
La Russie peut-elle venir à la rescousse d’Israël et pousser l’Iran à quitter la Syrie ? Probablement pas
Israël a mené plusieurs attaques-éclair contre les forces soutenues par l’Iran et leurs cachettes d’armes et de munitions, mais n’a pas endossé publiquement la responsabilité de la plupart des attaques, par ailleurs limitées sur le plan opérationnel.
Une guerre de grande ampleur contre les forces soutenues par l’Iran en Syrie pourrait potentiellement s’intensifier pour devenir une guerre totale entre les deux États. Malgré sa rhétorique véhémente contre Israël, l’Iran se montre extrêmement prudent et cherche à éviter une telle issue. Il en va de même pour Israël, pourtant tenace quand il s’agit de montrer les dents face à l’Iran.
Israël rencontrera de sérieuses limites s’il veut entrer en guerre contre l’Iran, selon le major-général Yair Golan, qui a occupé le poste de chef d’état-major adjoint de l’armée israélienne jusqu’en mai 2017. « Nous ne pouvons pas combattre l’Iran seuls », a-t-il déclaré lors d’un discours au Washington Institute for Near East Policy plus tôt ce mois-ci. Israël aurait besoin de l’armée américaine pour affronter l’Iran si des hostilités éclataient à l’avenir, a-t-il ajouté.
De même qu’ils maîtrisent le Liban et l’Irak, les Iraniens constitueront un poids politique décisif dans l’avenir de la Syrie, avec ou sans Bachar al-Assad.
La Russie peut-elle venir à la rescousse d’Israël et pousser l’Iran à quitter la Syrie ? Probablement pas. L’alliance de la Russie avec l’Iran sous le statu quo géopolitique, susceptible de se perpétuer dans un avenir prévisible, est profonde et forte. Parmi d’autres raisons, il existe un intérêt commun puissant : les deux États rejettent fondamentalement l’hégémonie américaine.
- Shahir Shahidsaless est un analyste politique et journaliste indépendant irano-canadien qui écrit sur les affaires intérieures et étrangères de l’Iran, le Moyen-Orient et la politique étrangère américaine dans la région. Il est coauteur de l’ouvrage Iran and the United States: An Insider’s View on the Failed Past and the Road to Peace. Il contribue à plusieurs sites consacrés au Moyen-Orient ainsi qu’au Huffington Post. Il écrit également de façon régulière pour BBC Persian. Vous pouvez le contacter à l’adresse [email protected] ou le suivre sur Twitter : @SShahisaless.
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Photo : un véhicule syrien dont la vitre est recouverte d’une affiche représentant le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah et le président syrien Bachar al-Assad arrive au poste frontalier de Masnaa, à la frontière libano-syrienne, dans la vallée de la Bekaa (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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