« Une puissance régionale » : comment combattre pour Assad a transformé le Hezbollah
Il a été créé pour résister à Israël et opérait aux frontières méridionales du pays. Mais après des années de guerre en Syrie, endurci par l’expérience du combat et à la tête d’un nouveau territoire, le Hezbollah version 2017 est une tout autre bête.
Les victoires du groupe chiite libanais en Syrie ont initié une nouvelle ère pour ses combattants, dans laquelle ils ne sont pas limités par la géographie mais combattent là où cela est nécessaire, a proclamé leur chef.
« Tout le monde traite avec le Hezbollah en tant que puissance régionale », a déclaré à Middle East Eye un responsable politique du Hezbollah qui a souhaité garder l’anonymat.
Considéré comme une organisation terroriste par Washington, le Hezbollah a acquis une vaste expérience du champ de bataille en Syrie et se dit prêt pour une autre guerre avec Israël si nécessaire.
Le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah a récemment mis en garde Israël contre les « lourdes pertes » qu’il pourrait encaisser s’il sous-estimait les capacités de son organisation.
« Sans l’intervention du Hezbollah en Syrie, le pays serait tombé et le Front al-Nosra et Daech nous auraient combattus dans nos villes et villages au Liban »
– un responsable militaire du Hezbollah
Le responsable a affirmé que le rôle « décisif et essentiel » du Hezbollah en Syrie, soutenu par l’Iran, en a fait une force militaire majeure au Moyen-Orient.
« Ce n’était pas notre objectif lorsque nous sommes intervenus en Syrie, a-t-il expliqué. Nous voulions seulement défendre la résistance et défendre un État qui a épaulé et soutenu la résistance depuis sa création en 1982. »
« La résistance » est le nom que le Hezbollah se donne. Le groupe a été fondé avec l’aide de l’Iran, principalement pour combattre l’armée israélienne au Liban. Toutefois, en Syrie, il a affronté un nouvel ennemi – les rebelles syriens, que le Hezbollah accuse d’être takfiri, un terme désignant des extrémistes qui proclament que les autres musulmans sont des infidèles.
Sur le plan militaire, le responsable politique a déclaré que le Hezbollah avait acquis une expérience de combat précieuse dans la Syrie déchirée par la guerre. Alors que dans les guerres précédentes, le groupe avait été déployé principalement dans une posture défensive contre les troupes israéliennes, en Syrie, il a appris des tactiques offensives.
L’organisation a également combattu sur différents types de terrain en Syrie, un changement par rapport au champ de bataille vallonné du sud du Liban.
« Nous avons combattu en milieu urbain à Qousseir, dans les montagnes dans le Qalamoun et dans le désert à Palmyre, et cela a donné au Hezbollah une grande expérience militaire », a-t-il soutenu.
« Nous avons également combattu aux côtés d’armées traditionnelles, ce qui a donné au Hezbollah la capacité de développer des tactiques de combat », a-t-il poursuivi, ajoutant qu’Israël est bien conscient des nouvelles capacités du Hezbollah.
Qu’arrivera-t-il après la Syrie ?
Outre les combats, le Hezbollah a toujours appelé à une solution politique au conflit en Syrie et encouragé le dialogue en public et en coulisses pour mettre fin à la guerre, a indiqué le responsable.
« Combien de temps allons-nous donc rester en Syrie ? », s’est-il interrogé. « Cela se résume à deux points. Puisque nous sommes intervenus en Syrie à la demande du gouvernement légitime et avec la coopération de celui-ci, notre sortie de Syrie se fera en coopération avec ce gouvernement. »
« Deuxièmement, nous quitterons la Syrie lorsque les raisons de notre intervention auront disparu – lorsque les affaires syriennes seront revenues à la normale et lorsque la conspiration qui a visé le régime en Syrie, la résistance au Liban et l’axe de résistance dans la région aura échoué. »
Le Hezbollah, comme le gouvernement syrien, considère la guerre qui résulte d’un soulèvement interne survenu en 2011 comme un complot international visant à détruire l’État syrien en raison de son alliance avec l’Iran.
Le responsable du Hezbollah dément toutefois que le groupe soit devenu une puissance militaire transfrontalière à part entière.
« La mission du Liban est d’établir un environnement conscient et responsable pour une coexistence entre les sectes. Si le Liban ne peut pas remplir cette mission, la nation n’a pas de sens »
– Rajeh al-Khoury, analyste
Tout en reconnaissant que le Hezbollah a été impliqué de façon limitée dans la formation des combattants contre le groupe État islamique en Irak, il a assuré qu’il n’était pas directement impliqué dans le conflit au Yémen.
Kassem Kassir, journaliste et auteur du livre Hezbollah between 1982 and 2016, a déclaré que l’organisation devait désormais équilibrer sa présence au Liban avec son nouveau rôle à l’extérieur du pays.
« Le Hezbollah n’est plus une puissance libanaise interne », a déclaré Kassir. Il a ajouté que l’affirmation des dirigeants du Hezbollah selon laquelle les combattants du groupe retourneraient au Liban après la guerre était une simplification excessive.
Selon Kassir, le groupe se heurte à une nouvelle réalité en devenant une puissance régionale, bien que la dynamique de son rôle futur ne soit toujours pas claire. « Le Hezbollah après la guerre en Syrie n’est pas le même et ne sera plus le même qu’avant la guerre en Syrie », a-t-il affirmé.
« Nous serons là où nous devons être »
Avant que le Hezbollah ne s’engage pleinement dans la guerre civile syrienne, il a donné des raisons prudentes pour justifier son intervention.
Il a commencé par invoquer un besoin de protéger les communautés frontalières menacées par les militants extrémistes. Ensuite, il s’agissait de protéger les sanctuaires chiites, en particulier la mosquée de Sayyida Zeinab à Damas, contre les rebelles fondamentalistes qui avaient juré de les détruire.
Environ deux mois après le premier engagement public du Hezbollah dans la guerre, lors de la bataille de Qousseir en mai 2013, Nasrallah s’est engagé à combattre à travers la Syrie et au-delà pour poursuivre les objectifs de son groupe.
Ses propos dans un discours de juin 2013 ont étendu le champ d’opération du Hezbollah : « Nous serons là où nous devons être », avait-il déclaré.
Cette citation est devenue une sorte de devise de ce qui semble être un nouveau Hezbollah qui n’est pas confiné à l’intérieur des frontières du Liban. Elle apparaît désormais sur des affiches à travers les bastions du Hezbollah et a même été transformée en chanson.
Lorsque l’implication du Hezbollah dans la guerre en Syrie est devenue plus visible, des attaques aveugles à la bombe ont commencé à cibler les banlieues majoritairement chiites du sud de Beyrouth, à Dahieh.
Les attentats à la bombe, revendiqués par al-Qaïda et l’État islamique, ont été condamnés par l’ensemble du spectre politique libanais. Néanmoins, ils ont également déclenché un débat contradictoire sur les motivations sous-jacentes du Hezbollah. Alors que les détracteurs du groupe l’ont accusé de faire du Liban une cible pour les combattants syriens, celui-ci a soutenu au contraire que ses soldats préservaient le pays de ce qui était une confrontation inévitable avec ces groupes venus de Syrie sur le sol libanais.
Une source militaire du Hezbollah interrogée par MEE, qui a souhaité garder l’anonymat, a réitéré cet argument.
« Sans l’intervention du Hezbollah en Syrie, le pays serait tombé et le Front al-Nosra et Daech nous auraient combattus dans nos villes et villages au Liban », a-t-il expliqué, se référant à l’État islamique et à la branche syrienne d’al-Qaïda qui opère désormais sous le nom de Hayat Tahrir al-Cham.
Les chiites libanais
L’argument selon lequel l’État islamique était destiné à porter atteinte au Liban est souvent repris par les dirigeants locaux et les imams dans les zones chiites.
La source militaire de MEE a cité les attentats perpétrés par l’État islamique à travers les capitales européennes qui, selon lui, soutiennent l’opposition syrienne.
La montée de l’État islamique sert également de justification pour les pertes encaissées par le Hezbollah en Syrie.
Le groupe a perdu des centaines de combattants durant la guerre. Bien qu’il n’y ait pas de décompte officiel, les pertes du groupe sont estimées entre 1 300 et 1 500 morts, selon la source militaire.
Le Hezbollah a pu intensifier le recrutement pendant la guerre en utilisant la même philosophie du martyre que celle qu’il a employée dans la lutte contre Israël.
Des portraits de combattants tués au combat au cours des trois dernières années sont respectueusement affichés partout à Dahieh, souvent avec le mausolée de Sayyida Zeinab, situé à Damas, en arrière-plan.
Kassem Kassir et la source militaire ont tous deux déclaré que si les pertes de combattants du Hezbollah en Syrie avaient des effets douloureux évidents sur la société chiite libanaise, celles-ci n’avaient pas monté l’opinion publique contre le groupe.
La source militaire a affirmé que les médias étrangers et locaux avaient essayé de contacter des familles de combattants tombés pour les amener à critiquer publiquement le Hezbollah, en vain.
Kassem Kassir a convenu qu’il y avait peu de signes indiquant que des membres de la famille immédiate des combattants tués en Syrie reprochaient ces pertes au Hezbollah.
Il a expliqué que le groupe avait entretenu une relation directe avec ses partisans et a même fait l’éloge du soin que celui-ci porte aux familles de combattants tués.
Le Hezbollah s’est également servi de la théologie pour glorifier les morts.
Par exemple, lors des funérailles d’un combattant de 17 ans tué en Syrie en début d’année, le secrétaire général adjoint du groupe, Naïm Qassem, a invoqué le concept du destin, qui serait fixé d’avance par Dieu et donc immuable.
La société chiite est progressivement devenue plus favorable aux efforts de guerre du Hezbollah à mesure que le danger représenté par les groupes fanatiques en Syrie s’est concrétisé, a indiqué Kassem Kassir.
« Lorsque ces groupes, en particulier Daech et le Front al-Nosra, ont commencé à montrer leur vrai visage, il ne restait plus que quelques opposants au rôle du Hezbollah en Syrie. »
La source militaire a expliqué à MEE que 95 % des chiites du Liban faisaient pleinement confiance aux dirigeants du Hezbollah et à Nasrallah à titre personnel, tout en concédant que le groupe ne parviendrait jamais à rallier certains dissidents chiites à sa cause.
Il a qualifié ces derniers de « chiites de l’ambassade », un terme péjoratif tiré des câbles diplomatiques américains publiés par WikiLeaks, qui ont révélé des rencontres entre des activistes chiites anti-Hezbollah et l’ambassadeur des États-Unis au Liban.
Rajeh al-Khoury, un analyste politique chevronné qui écrit pour le journal Annahar, a affirmé que l’intervention du Hezbollah en Syrie n’avait pas nui à l’homogénéité organisationnelle du groupe.
Il a précisé qu’il s’agissait d’un parti idéologique et que Nasrallah s’était publiquement engagé envers le leadership stratégique du guide suprême iranien Ali Khamenei à travers le Wilayat al-Faqih, un concept théologique qui confère à l’ayatollah une autorité politique sur ses partisans.
Quand les combattants rejoignent le Hezbollah, ils savent qu’ils font partie de ce système plus vaste, ce qui rend la dissidence interne improbable, a-t-il expliqué.
Hussein Itany, spécialiste de la communication basé à Beyrouth, a néanmoins soutenu que la capacité du Hezbollah à minimiser l’opposition au sein de sa base ne relevait pas seulement de causes religieuses et idéologiques.
« Ils misent sur le bon cheval », a déclaré Itany au sujet de la communauté chiite libanaise. « Tout ce que le Hezbollah a promis, il l’a fait. S’ils disent que quelque chose va se passer, c’est le cas. S’ils disent que telle chose ne va pas se passer, rien ne se passe. »
Des tensions sectaires
Le responsable politique du Hezbollah a toutefois déclaré que des efforts étaient déployés en continu pour exploiter le sectarisme dans le but de mettre à mal le groupe.
Il a ajouté que les opérations du Hezbollah avaient également une dimension politique, soulignant les relations entre le groupe et les mouvements de résistance en Palestine.
Il est cependant indéniable que l’implication du Hezbollah en Syrie a été perçue en grande partie à travers un prisme sectaire.
Les principaux opposants politiques du Hezbollah au Liban sont sunnites. Ses patrons iraniens sont chiites. Le président syrien Bachar al-Assad est originaire de la communauté alaouite de Syrie, tandis que la plupart des rebelles et leurs soutiens régionaux sont sunnites.
« Malheureusement, la neutralité nous a été imposée parce que nous étions faibles. Le Hezbollah, en raison de sa force, n’a pas respecté la politique de neutralité et a envoyé des milliers de combattants en Syrie »
– Ashraf Rifi, ancien ministre libanais de la Justice
En outre, des personnalités politiques sunnites ont fait part à MEE de leur frustration face à la domination du Hezbollah sur les affaires stratégiques du Liban.
Selon Rajeh al-Khoury, le Liban est en prise à des divisions sectaires profondes et dangereuses qui reflètent l’état du monde arabe. Il a ajouté que la confrontation sectaire était également ce qui avait donné naissance à l’État islamique.
« Le rôle du Hezbollah en Syrie a intensifié les tensions sectaires dans le pays et la région », a-t-il soutenu.
« Au début de la guerre, Sayyed Hassan [Nasrallah] disait qu’il y avait des revendications légitimes du peuple syrien que le régime devait prendre en considération », a indiqué Khoury à MEE. « Il ne dit plus cela aujourd’hui. »
Les divisions libanaises
Lorsque le Hezbollah est entré en guerre en Syrie, de larges segments de l’establishment politique libanais ont clamé haut et fort leur soutien aux rebelles dans ce pays.
Le gouvernement syrien avait même accusé les responsables politiques libanais d’armer des groupes d’opposition qu’il qualifiait de « terroristes ».
Ashraf Rifi, ancien ministre libanais de la Justice et fervent opposant sunnite au Hezbollah, a déclaré que le gouvernement libanais avait mis en place une politique de neutralité pour protéger le pays contre un débordement de la guerre.
« Malheureusement, la neutralité nous a été imposée parce que nous étions faibles. Le Hezbollah, en raison de sa force, n’a pas respecté la politique de neutralité et a envoyé des milliers de combattants en Syrie », a affirmé Rifi à MEE.
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Selon Khoury, l’équilibre des pouvoirs au Liban a été renversé en faveur du Hezbollah, ce qui va inévitablement diminuer le rôle de l’État.
Il a évoqué les affrontements de septembre entre les militants de l’État islamique et l’armée libanaise près de la frontière syrienne, lors desquels le Hezbollah a pris l’initiative des combats et conclu un accord pour évacuer les militants.
« Il y a des craintes face à la reconstruction du rôle de l’État », a poursuivi Khoury.
Il a ajouté que pour qu’un gouvernement compétent soit mis en place au Liban, le Hezbollah devrait être placé sous l’égide de l’État sans entraîner unilatéralement le pays dans des guerres régionales.
« La mission du Liban est d’établir un environnement conscient et responsable pour une coexistence entre les sectes. Si le Liban ne peut pas remplir cette mission, la nation n’a pas de sens », a-t-il soutenu.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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