Netanyahou et la réconciliation palestinienne
En mars 2011, après une série de négociations entre le Hamas et le Fatah, le président palestinien Mahmoud Abbas a annoncé son intention de se rendre à Gaza pour signer un accord de réconciliation.
Le Premier ministre Benyamin Netanyahou a vu l’idée de la réconciliation palestinienne d’un mauvais œil.
« Comment peuvent-ils être pour la paix avec Israël », a-t-il demandé dans une interview à CNN, « et être également pour la paix avec le Hamas, lequel veut nous détruire ? »
Netanyahou a menacé les Palestiniens de sanctions et de pressions internationales. Immédiatement après l’annonce d’Abbas, Israël a bombardé Gaza, théoriquement en réponse aux tirs de roquettes Qassam vers Israël, qui n’avaient blessé personne.
Ce fut le signal d’une série de bombardements israéliens et de roquettes palestiniennes. Alex Fishman, spécialiste de la défense pour Yedioth Aharonoth, a écrit à l’époque que l’escalade était « délibérée » de la part d’Israël.
Il n’existe aucune preuve que l’escalade ait été intentionnelle et visât à empêcher une réconciliation palestinienne, et il y avait d’autres raisons expliquant l’échec de cette dernière à ce stade, indépendamment de l’implication israélienne. Néanmoins, l’opinion négative d’Israël était très claire.
En avril 2014, l’histoire s’est répétée. Le Fatah et le Hamas ont signé un accord pour établir un gouvernement d’union nationale. Affirmant une fois encore qu’Abbas avait « choisi le Hamas et non la paix », Netanyahou a annoncé un gel des contacts diplomatiques alors en cours avec les Palestiniens.
Immédiatement après la déclaration palestinienne, l’armée israélienne a lancé des missiles sur Gaza. Peu de temps après, trois jeunes Israéliens ont été kidnappés et assassinés en Cisjordanie, et quelques semaines plus tard est survenue l’opération meurtrière « Bordure protectrice ».
Encore une fois, il n’existe aucune preuve directe qu’Israël ait lancé cette campagne pour saborder la mise en place d’un gouvernement palestinien d’unité, et aucune preuve n’indique que l’accord a échoué à cause d’Israël, mais clairement dans les deux cas, l’opposition de Netanyahou à la réconciliation intrapalestinienne était on ne peut plus flagrante.
Israël a également des réserves sur l’accord de réconciliation palestinienne signé jeudi dernier (le 12 octobre) au Caire.
Un communiqué du bureau du Premier ministre israélien a stipulé qu’Israël s’oppose à tout accord qui ne remplit pas les conditions fixées par le Quartet (les États-Unis, la Russie, l’UE et l’ONU), qui en 2006 avait conditionné la reconnaissance d’un gouvernement palestinien incluant le Hamas à l’acceptation par ce dernier d’accords internationaux déjà signés par l’OLP, ainsi qu’à la reconnaissance et la fin du terrorisme contre Israël.
Tandis que l’annonce d’Israël jeudi « corrigeait » les conditions du Quartet en ajoutant une demande relative au désarmement du Hamas, le plus remarquable était l’absence de menaces telles que celles proférées en 2011 et 2014.
« Israël évaluera les développements sur le terrain et agira en conséquence », telle est la formulation d’aujourd’hui. Rien sur d’éventuelles sanctions ou actions militaires. Israël s’est soudainement transformé en observateur neutre.
Qu’est-ce qui a donc provoqué la réaction modérée d’Israël cette fois-ci ?
Qu’est-ce qui a donc provoqué la réaction modérée d’Israël cette fois-ci ? Il est clair que Netanyahou lui-même n’a pas changé sa position de principe concernant le rapprochement entre Palestiniens.
Il y a quelques jours seulement, au début de l’actuelle série de négociations entre le Hamas et le Fatah, il a vivement critiqué la possibilité d’une réconciliation « au détriment de l’existence [d’Israël] ».
Netanyahou a également ajouté une nouvelle exigence, jamais présente dans les conditions du Quartet : la rupture de tous les liens avec l’Iran – une condition que ni Abbas ni le Hamas ne peuvent évidemment accepter. Par miracle, cette condition n’est pas apparue dans le communiqué émis jeudi dernier par le bureau du Premier ministre.
L’une des explications à ce silence relatif est que d’autres problèmes retiennent actuellement Netanyahou. Tous les signes indiquent que lorsque les actuelles fêtes juives se termineront à la mi-octobre, Netanyahou sera convoqué pour un autre interrogatoire concernant ce qu’on appelle désormais « l’affaire des cadeaux ».
D’après les comptes rendus des médias, la police conclura très prochainement cette enquête et recommandera que Netanyahou soit inculpé – très probablement pour avoir accepté un pot-de-vin.
S’ajoute à cela une mise en examen pour des irrégularités présumées concernant l’épouse de Netanyahou, Sara, qui est très impliquée dans la vie politique de son mari. On peut dès lors comprendre que le souci le plus immédiat de Netanyahou n’est pas le succès ou l’échec de la réconciliation palestinienne – chose qui ne deviendra claire que d’ici quelques mois – mais la question de savoir si lui-même sera obligé de se retirer prochainement.
Cette réponse modérée peut aussi s’expliquer par le peu d’intérêt manifesté par le public et les médias israéliens envers la question palestinienne. Une période assez longue de calme relatif sur le front de la sécurité, la faiblesse persistante d’Abbas dans les sphères internationales et nationales, et le sentiment – partagé par les Palestiniens eux-mêmes – que le monde a perdu tout intérêt pour l’histoire palestinienne, ont rétrogradé la question palestinienne en Israël, certainement parmi le public juif.
Les deux journaux israéliens à plus grand tirage – le quotidien de droite Israel Today et le journal de centre gauche Yediot Aharonot – ont publié des gros titres ces derniers jours sur le retrait d’Israël de l’UNESCO, tandis que la question de la réconciliation palestinienne a été mise de côté.
Ces explications, cependant, sont certainement partiales. Du point de vue d’Israël, le schisme entre Gaza et la Cisjordanie constitue un intérêt de longue date. Il est même antérieur à la scission entre le Hamas et le Fatah et aux accords d’Oslo.
Dès 1991, lors de la première Intifada, Israël a imposé de sévères restrictions à l’accès des habitants de Gaza à la Cisjordanie et vice-versa. Si les accords d’Oslo ont en apparence reconnu la Cisjordanie et la bande de Gaza comme une entité politique unique et évoqué un trafic ouvert entre les deux régions, cet article des accords n’a jamais été mis en œuvre, mis à part au cours de la seule année 1999.
Depuis le début de la seconde Intifada, même cette connexion diminuée s’est affaiblie et Israël a empêché presque tous les déplacements de Palestiniens entre la bande de Gaza et la Cisjordanie. Le retrait unilatéral d’Israël de Gaza en 2005, connu en Israël sous le nom de « désengagement », n’a fait que renforcer cette tendance.
Le retrait de Gaza, comme l’a noté à l’époque Dov Weisglass, un proche conseiller du Premier ministre israélien de l’époque Ariel Sharon, visait à créer « suffisamment de formol pour qu’il n’y ait pas de processus politique avec les Palestiniens [...] ».
Sharon pensait qu’en échange de l’abandon de Gaza, il pouvait remporter la Cisjordanie, explique un observateur qui était alors un responsable de haut rang du ministère israélien des Affaires étrangères. Telle était l’hypothèse de travail de Sharon ; c’était dans ce contexte que la scission entre la Cisjordanie et Gaza était si essentielle à ses yeux.
Ehud Olmert en tant que Premier ministre et Tzipi Livni en tant que ministre des Affaires étrangères, selon cette même source, ont entièrement adopté cette approche. La libre circulation entre la Cisjordanie et la bande de Gaza était considérée comme une contradiction avec cette approche. D’après la source, toutes les discussions sur la libre circulation entre les deux régions ont échoué, malgré les fortes pressions exercées à l’époque par la secrétaire d’État américaine Condoleezza Rice.
La prise du pouvoir du Hamas dans la bande de Gaza en 2007 a été providentielle pour Israël. Elle a offert à Israël une justification parfaite pour supprimer l’accès entre la Cisjordanie et Gaza
En ce sens, la prise du pouvoir du Hamas dans la bande de Gaza en 2007 a été providentielle pour Israël. Elle a offert à Israël une justification parfaite pour supprimer l’accès entre la Cisjordanie et Gaza. La communauté internationale n’a pu s’y opposer dans la mesure où même l’Autorité palestinienne y était favorable.
Cette situation a permis le siège israélien de Gaza et légitimé le bombardement massif de la bande de Gaza par Israël, de « Plomb durci » en 2009 à « Bordure protectrice » en 2014.
Il est difficile de supposer que la réponse israélienne modérée à la réconciliation est cette fois-ci le signe d’un changement réel d’approche. Israël a profité à deux reprises de la scission entre le Hamas à Gaza et le Fatah en Cisjordanie.
Le territoire palestinien a été coupé en deux, ce qui a renforcé l’emprise d’Israël sur la Cisjordanie et permis l’expansion des colonies israéliennes. De plus, le pouvoir politique d’Abbas et de son gouvernement sur la scène internationale a été grandement réduit par le fait qu’ils n’ont pas su se présenter comme les porte-parole de tous les Palestiniens. Cette perception n’est pas près de changer.
Ce qui est différent aujourd’hui, de toute évidence, c’est la dépendance croissante d’Israël vis-à-vis de l’Égypte. Sous le président Abdel Fattah al-Sissi, le lien sécuritaire entre les deux pays n’a jamais été aussi rapproché.
Selon les médias, Sissi et Netanyahou discutent régulièrement par téléphone. Le président égyptien a même accepté de rencontrer Netanyahou devant les caméras lors de la dernière session de l’Assemblée générale des Nations unies à New York.
Cette connexion a permis à Israël de jouir d’une certaine liberté d’action avec les Palestiniens, sans même avoir besoin d’un processus politique pour préserver les apparences. Cela a toutefois un prix.
Au moment où l’Égypte a décidé que ses propres intérêts nécessitaient la soumission de Gaza à l’Autorité palestinienne et donc une réconciliation entre le Fatah et le Hamas, Israël ne pouvait pas être perçu comme un acteur contribuant à faire dérailler d’avance le processus de réconciliation.
Cela détruirait le rêve d’une « alliance sunnite » entre l’Arabie saoudite, l’Égypte, les États du Golfe et Israël – un rêve que nourrit Netanyahou depuis plusieurs années. Par conséquent, Israël a également ignoré le fait que c’est l’Égypte qui a fait pression sur Abbas – selon des informations relayées depuis Le Caire – pour qu’il renonce à exiger « une autorité, une arme », c’est-à-dire le désarmement du Hamas.
Tous les rapports suggèrent que l'Égypte a demandé à Israël de faire profil bas. L’administration américaine aurait, semble-t-il, formulé une demande similaire. Ahmed Yousef, conseiller du dirigeant du Hamas Ismaël Haniyeh, a déclaré au New York Times que les Égyptiens avaient obtenu le feu vert de l'administration Trump. Jason Greenblatt, conseiller de Trump, s’est contenté de dire fin août que l'Autorité palestinienne « [devait] assumer la responsabilité de Gaza ».
La grande question est de savoir si le silence relatif d'Israël indique un accord plus large entre Trump, Sissi et le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane en vue d’un arrangement régional dont le but suprême est une alliance contre l'Iran mais qui pourrait inclure également une solution au conflit israélo-palestinien.
De nombreux commentateurs palestiniens soupçonnent que c'est bel et bien le plan : forcer les Palestiniens à payer le prix d'une telle alliance au travers d’un accord dont ils ne veulent pas : par exemple, un État palestinien avec des frontières temporaires, sans la zone C, qui comprend 60 % de la Cisjordanie, sans Jérusalem et sans le droit au retour.
Toutefois, les chances que cela se produise semblent négligeables. Même si l'administration Trump met véritablement un tel plan sur la table, ce qui ne semble pas vraiment raisonnable à l’heure actuelle étant donné les difficultés que rencontre Trump à Washington, il est difficile de voir comment Netanyahou pourrait persuader son gouvernement de droite de participer à une conférence régionale sur la paix dont l'objectif est de créer un État palestinien indépendant, aussi petit et impotent soit-il.
Le rapprochement avec le Hamas rendra une telle mission absolument impossible. Même s'il le souhaite vivement, Netanyahou ne parviendra pas à convaincre Naftali Bennett, chef du parti Le Foyer juif, ou les autres ministres de droite de s'asseoir à la table des négociations avec une délégation palestinienne dans laquelle le Hamas est, directement ou indirectement, un partenaire.
Cela ne veut pas dire qu'Israël restera sur la touche et permettra au processus de réconciliation d'aller de l'avant.
Comme l'a souligné la déclaration officielle de jeudi, Israël « évaluera les développements » tout en espérant que la réconciliation palestinienne échoue, comme elle a échoué en 2011 et en 2014. Dans tous les cas, même si la réconciliation réussit, il est difficile de voir Israël lever le siège de Gaza ou autoriser la libre circulation entre Gaza et la Cisjordanie.
Pour que cela se produise, quelque chose de fondamental dans les relations de pouvoir entre Israël, l'administration américaine et les Palestiniens doit changer. Et il n'y a actuellement aucun signe d’un tel changement à l'horizon.
- Meron Rapoport est un journaliste et écrivain israélien. Il a remporté le prix de journalisme international de Naples pour son enquête sur le vol d’oliviers à leurs propriétaires palestiniens. Ancien directeur du service d’informations du journal Haaretz, il est aujourd’hui journaliste indépendant.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des Palestiniens brandissent les drapeaux de l'Égypte, de la Palestine, du Fatah et du Hamas lors d’un rassemblement dans la ville de Gaza visant à célébrer l’accord conclu entre les factions palestiniennes rivales Hamas et Fatah pour mettre fin à une division longue d’une dizaine d’années (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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