Mandat Aoun, An I : un bilan mitigé
Il y a un an jour pour jour, le Liban renouait enfin avec la normalité. Le 31 octobre 2016, après deux ans et demi de vide présidentiel et 46 séances parlementaires infructueuses pour tenter d’élire un nouveau chef d’État, Michel Aoun, allié du Hezbollah, accédait à la première magistrature par 83 voix sur 128. Un déblocage rendu possible par le ralliement à sa candidature de la coalition adverse, dite du 14 mars.
Jugé prometteur par certains, médiocre par d’autres, un an plus tard, le bilan de l’exercice présidentiel reste incertain. Une chose est sûre : la première année du mandat Aoun aura été marquée par la relance d’une activité législative longtemps aux abois, ainsi que par le rétablissement de l’autorité de l’État et de l’armée, en particulier après la bataille décisive remportée contre l’EI à la frontière libano-syrienne.
Réformes politiques
Lors de son discours d’investiture, Michel Aoun s’était engagé à faire voter la nouvelle loi électorale, réforme clé dans un système politico-confessionnel sclérosé. Après six mois d’interminables débats, un nouveau mode de scrutin basé sur la proportionnelle a finalement été adopté le 16 juin, enterrant définitivement le système majoritaire simple, inchangé depuis 1943.
Pour le politologue Karim El Mufti, c’est une avancée : « Le texte va permettre d’ouvrir un espace politique à de nouveaux visages qui ne font pas partie de l’oligarchie financière ou milicienne », explique-t-il à Middle East Eye.
« Le [nouveau mode de scrutin] va permettre d’ouvrir un espace politique à de nouveaux visages qui ne font pas partie de l’oligarchie financière ou milicienne »
- Karim El Mufti, politologue
La première année de mandat de Michel Aoun aura également été marquée par la réactivation des institutions du pays. Le président libanais a procédé à un grand nombre de nominations dans tous les organes de l’État : inspection centrale, douanes, conseil de discipline, tribunaux, etc.
Au point d’être accusé d’avoir congédié de façon arbitraire et sans grands ménagements un certain nombre de hauts fonctionnaires. Au quotidien L’Orient Le Jour, le ministre de l’Éducation Marwann Hamadé confiait être « satisfait des noms, mais pas du mécanisme » de nomination. D’après le journal, « le ministre d'État aux Affaires du parlement, Ali Kanso, a émis les mêmes réserves, à savoir que les nominations ont été décidées en dehors du Conseil des ministres et que les CV des personnes nommées n'ont pas été distribués aux ministres 48 heures avant la réunion ».
La mise en garde du FMI
Dans la liste des dossiers urgents, figurait aussi la batterie de réformes destinées à éviter l’effondrement pur et simple de l’économie du pays.
Réclamée depuis des années par le secteur privé et les institutions internationales, la loi sur le partenariat public-privé – en suspens depuis 2007 – a été votée en août dernier. Elle doit permettre le financement – estimé à 6 milliards de dollars par le Haut Conseil de la privatisation (HCP) – de grands projets d'infrastructures indispensables pour rétablir la compétitivité des entreprises libanaises.
Cette année aura également permis de refermer le dossier de la grille des salaires de la fonction publique. Le parlement a voté le 10 octobre l’augmentation des revenus des fonctionnaires et les mesures fiscales devant permettre de lever le montant nécessaire à son financement, estimé entre 800 millions et 1,2 milliard de dollars.
« À ce stade, on est uniquement en train de colmater les brèches, de maintenir à flot un patient sous respiration artificielle. C’est toute la politique monétaire et budgétaire qui doit être repensée »
- Karim Bitar, directeur de recherche à l’IRIS
Par ailleurs, le dossier du gaz offshore, gelé depuis quatre ans, a été réenclenché. Après la mise en route de la phase de présélection nécessaire au lancement d’un appel d’offres pour l’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures au large du littoral en 2013, le processus avait été suspendu en raison de l’absence de dispositif fiscal complet et de blocages politiques internes. Ces difficultés ont été surmontées et le parlement a voté le 20 septembre les derniers amendements fixant le cadre légal à ce chantier à haut potentiel pour le pays.
Enfin, la chambre a adopté le 20 octobre dernier le budget 2017, le premier depuis 2005. Le gouvernement s’est réjoui de ce vote, le Premier ministre évoquant même « un exploit ».
Le bilan comptable des douze années précédentes se fait en revanche toujours attendre, tout comme la loi des finances 2018.
« Il ne faut pas non plus présenter cela comme un succès considérable, c’est quand même la moindre des choses », tempère Karim Bitar, directeur de recherche à l’IRIS. « À ce stade, on est uniquement en train de colmater les brèches, de maintenir à flot un patient sous respiration artificielle. C’est toute la politique monétaire et budgétaire qui doit être repensée. »
En septembre dernier, dans une rare mise en garde à l’adresse du Liban, le FMI tirait pour la première fois la sonnette d’alarme, évoquant l’urgence pour le pays de « placer l’économie sur une trajectoire viable et de freiner l’augmentation de la dette publique », évaluée à 76,9 milliards fin juillet contre 53,7 milliards en 2011.
Droits de l’homme : « effets d’annonce » et « coquilles vides »
En matière de droits humains, la seule avancée sérieuse à ce jour reste l’abrogation de l’article 522 du code pénal. Il permettait à un violeur d’échapper à une condamnation judiciaire dans le cas où il épouserait sa victime.
Le vote de l’amendement 401 qui criminalise la torture a quant à lui suscité beaucoup de déception auprès des associations de défense des droits de l’homme.
« La loi ne considère la torture comme un crime qu’en cas d’incapacité physique ou psychique permanente ou de décès, ce qui est contraire à l’esprit de la Convention [de l’ONU contre la torture] qui vise en premier lieu à criminaliser la torture en tant que telle indépendamment des séquelles », déplore le président du Centre libanais des droits de l’homme, Wadih el Asmar. « De plus, avoir laissé la compétence aux tribunaux militaires n’est pas de nature à rassurer les victimes et à les convaincre de déposer plainte. »
« On a créé des ministères qui sont des coquilles vides. Quand on les regarde d’un peu plus près, on se rend compte qu’ils n’ont pas le moindre budget, le moindre personnel, que les ministres sont seuls dans leurs bureaux »
- Karim Bitar, directeur de recherche à l’IRIS
Également inachevée, la création d’un Institut national des droits humains et d’un mécanisme de prévention contre la torture. Ces deux entités avaient été lancées quelques jours avant l’élection de Michel Aoun, sous le gouvernement de l’ancien Premier ministre Tamman Salam. Un an plus tard, leurs membres n’ont toujours pas été nommés. « Ils n’arrivent pas à se mettre d’accord sur qui va avoir quoi, indique Wadih El Asmar à MEE. Si les nominations se font sur la base d’appartenances partisanes, ce n’est pas bon signe pour la suite ».
Karim Bitar partage ce constat pessimiste : « Il y a eu des effets d’annonce lors de la formation de ce gouvernement. On a créé des ministères qui sont des coquilles vides. Quand on les regarde d’un peu plus près, on se rend compte qu’ils n’ont pas le moindre budget, le moindre personnel, que les ministres sont seuls dans leurs bureaux ». Le 18 décembre 2016, Saad Hariri avait annoncé la création de trois portefeuilles inédits dédiés à la lutte contre la corruption, aux droits des femmes et aux droits de l’homme.
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Pour lutter contre la corruption, cheval de bataille du général Aoun depuis toujours, une des premières réalisations du cabinet a été la résurrection, le 19 janvier dernier, de la loi sur l’accès à l’information. Ce texte contraint l’ensemble des institutions de l’État à rendre publiques leurs données. Son application reste cependant encore tributaire de la signature de deux décrets. Mais aussi du bon vouloir des concernés.
« La non transparence est devenue la norme, rappelle Karim El Mufti. Des recours ont été formulés par des activistes pour voir quels sont ceux qui vont accepter de diffuser leurs informations. Ça va être au cas par cas. »
Sécurité : une double victoire
La coordination entre les Forces de sécurité intérieure, les renseignements et l’armée, souhaitée depuis longtemps par Michel Aoun, aurait permis d’empêcher de nombreux attentats, dont celui déjoué in extremis dans le quartier de Hamra, à Beyrouth, en janvier dernier.
« En matière de politique sécuritaire, le bilan est positif. En un an, il n’y a pas eu d’incidents majeurs. Plusieurs verdicts ont également été rendus, que ce soit à l’encontre de Habib Chartouni, l’assassin de l’ancien président Bachir Gemayel, ou du cheikh salafiste Ahmad el Kassir », note Karim el Mufti.
C’est également cette année que l’armée libanaise est parvenue à chasser les combattants de l’État islamique (EI) des territoires qu’ils occupaient depuis 2014.
Cette victoire a permis de redorer le blason de l’institution militaire longtemps taxée d’immobilisme face à la présence de groupes terroristes sur le sol libanais.
« En menant l’opération ‘’L’Aube des Jurds’’, l’armée libanaise a dépassé les attentes nationales et internationales. Elle a suscité une couche supplémentaire de respect en raison de ses capacités croissantes aux yeux de nombreux Libanais », écrit l’expert militaire Aram Nerguizian dans un rapport de l’ICRC intitulé « The Lebanese Armed Forces, Hezbollah, and Military Legitimacy ».
Par là même, les militaires ont également réussi à sécuriser la quasi-totalité des zones tampons le long de la frontière avec la Syrie, dont le contrôle leur échappait depuis des décennies.
La politique de distanciation
Toutefois, l’interruption de la dernière partie des combats pour laisser place à des négociations entre le Hezbollah et les combattants de l’EI a soulevé un tollé dans le pays.
Si ces pourparlers ont permis l’identification de l’emplacement des dépouilles des militaires otages assassinés par l’EI, ils se sont soldés par l’exfiltration in fine des derniers combattants du groupe vers la province de Deir Ez-Zor en Syrie.
« On aurait espéré une implication moins visible du Hezbollah en Syrie, un travail qui soit plus axé sur la paix que sur la guerre »
- Karim El Mufti, politologue
L’intervention de la milice du Hezbollah a été vécue comme une nouvelle gifle portée à la fragile souveraineté nationale. Lors de son discours d’investiture, le président Aoun s’était pourtant engagé à mener « une politique étrangère indépendante ».
« On aurait espéré une implication moins visible du Hezbollah en Syrie, un travail qui soit plus axé sur la paix que sur la guerre », explique à MEE Karim El Mufti. « D’autant que Michel Aoun avait promis de peser sur son alliance avec le Hebzbollah. Or, on voit bien qu’il s’agit juste d’un partenariat avec le pouvoir qui a fragmenté la politique de distanciation [vis-à-vis des conflits régionaux] mise en place par ses prédécesseurs. »
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