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Tous à bord : la grande évasion du Hezbollah et de l’EI

Le Hezbollah a toujours assuré aux Libanais qu'il ne servirait jamais que le pays et son peuple, mais l’accord qu’il a conclu avec l’EI – et les révélations selon lesquelles Nasrallah a préalablement consulté Assad à Damas – brisent ce mythe

Une part essentielle du fait de grandir et de s’assagir inclut de comprendre que le Père Noël, le lapin de Pâques et la petite souris sont des personnages fictifs.

Dans le cas du Liban et des événements qui ont eu lieu récemment dans l'est du pays, il est peut-être prudent d'ajouter le groupe État islamique (EI) à la liste de ces personnages imaginaires – ou du moins les menaces inquiétantes qui semblent se volatiliser tout à coup lorsqu’on les confronte.

Cette semaine, l'armée libanaise a conclu son opération militaire, débutée il y a un mois, contre les combattants de l’EI qui s'étaient regroupés près du village d'Ersal, à la frontière orientale avec la Syrie.

L'objectif principal de l’armée était de libérer ces terres occupées, détruire les infrastructures militaires des terroristes et, avec un peu de chance, retrouver les neuf soldats retenus en otage par l’EI depuis trois ans.

L’armée est parvenue à réaliser ses deux premiers objectifs. Toutefois, la bataille s’est conclue avec la nouvelle glaciale que huit des neuf otages avaient été exécutés. Le neuvième avait rejoint l’EI et était mort au combat.

Un geste patriotique ?

La tragédie n’a fait que continuer. Lundi, le Hezbollah a annoncé effrontément qu'il avait conclu un accord avec l’EI permettant à ce dernier d'évacuer ses combattants assiégés jusqu'à la ville syrienne d’Abou Kamal, à la frontière orientale avec l'Irak.

Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah, a essayé de promouvoir cet accord étrange en le présentant comme le « Deuxième jour de la libération », en référence à la libération du sud du Liban occupé par Israël en mai 2000.

Selon le responsable chiite, le Hezbollah et le régime d'Assad n'avaient d'autre solution que d'approuver cet accord permettant d’empêcher d'autres effusions de sang, d’assurer la libération d'un prisonnier de guerre du Hezbollah et de récupérer les corps des combattants du Hezbollah et des huit soldats de l’armée libanaise.

Nasrallah n'a cependant jamais précisé comment le fait d’escorter 300 terroristes dans des bus climatisés – ou plutôt de leur permettre de s'échapper – et leur accorder l'impunité pour le meurtre de centaines de personnes, dont huit militaires, pouvait être un geste juste et patriotique.

Et cela parce que, pendant que Nasrallah maintenait tout au long de son discours télévisé que la décision avait été prise pour protéger le Liban, aucune rhétorique ne peut masquer le fait que le deal était entièrement conçu pour servir les intérêts du Hezbollah.

En réalité, l'accord est une tentative d’usurpation de la victoire militaire bien méritée de l’armée libanaise et de maintien du mythe selon lequel cette dernière est incapable de protéger seule le Liban.

Nasrallah avait d’ailleurs bien commodément omis de mentionner – jusqu'à hier – qu'il s’était rendu à Damas pour demander l'approbation d'Assad avant de conclure l'affaire.

Briser les mythes

Plus important encore, le zèle et l’aisance avec lesquels le Hezbollah a abordé les négociations avec l’EI impliquent indirectement le groupe dans la mort des huit soldats ainsi que dans les activités de l’EI. Ces deux acteurs sont-ils des rivaux ou plutôt des associés dans un complot de bien plus grande envergure ?

La direction du Hezbollah, y compris Nasrallah, a refusé de ne serait-ce qu’envisager l'idée que le gouvernement libanais négocie avec l’EI pour assurer la libération de ses soldats dès leur capture.

En 2014, ce refus faisait partie intégrante du plan directeur du Hezbollah visant à entraver l'élection d'un nouveau président jusqu'à ce que toutes ses demandes soient satisfaites et que son candidat, Michael Aoun, soit élu président.

Ce vide du pouvoir, à son tour, avait paralysé le gouvernement et empêché l'élite politique avide de manigances d’approuver une opération militaire qui pouvait, à ce stade, libérer les soldats de l’armée libanaise et éradiquer une fois pour toutes la présence de l’EI au Liban.

Tout aussi alarmant dans cet accord entre le Hezbollah et les combattants de l’EI est le fait que ces derniers, dont la haine des chiites et de l'Iran (mécène du Hezbollah) est sans borne, aient jugé qu'il était opportun de se rendre au Hezbollah plutôt qu'à l’armée libanaise.

Des vidéos montrant, la semaine dernière, des combattants de l’EI se rendre allégrement au Hezbollah et au régime d'Assad semblent surréalistes, pour ne pas dire louches.

À LIRE : Après Ersal : le nouveau triangle d’influence du Hezbollah

Comment un groupe de combattants aussi aguerris en matière de sécurité que le Hezbollah a-t-il pu permettre à ces criminels de l’EI, connus pour dormir avec des ceintures d’explosifs, de passer tout simplement sans inspection préalable ?

Le Hezbollah a toujours clamé haut et fort les valeurs morales et religieuses de sa soi-disant lutte contre le terrorisme, assurant aux Libanais qu'il ne s’abaisserait jamais au niveau de l'ennemi et que ses armes ne serviraient que le pays et son peuple.

En rendant le peuple libanais otage des caprices et intérêts de ses mécènes et alliés, le Hezbollah a brisé son propre mythe.

Ce dernier épisode suscite un questionnement : le Hezbollah a-t-il atteint son plus bas niveau – ou est-ce juste une étape supplémentaire dans la descente du Liban dans le chaos, guidée par le « Parti de Dieu » ?

Makram Rabah est doctorant en histoire à l’université de Georgetown. Il est l’auteur de A Campus at War: Student Politics at the American University of Beirut, 1967–1975, et coopère régulièrement comme éditorialiste pour le site d’information Now Liban.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : un bus en attente de transporter des membres du groupe État islamique est vu dans la région du Qalamoun (Syrie), le 28 août 2017, dans le cadre d'un accord conclu entre le Hezbollah et les membres de l’EI permettant à ces derniers de partir pour l'est de la Syrie (AFP).

Traduit de l’anglais (original).

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