L’armée libanaise s’impose in fine dans « la victoire contre le terrorisme »
BEYROUTH – Dix jours après le déclenchement de l’opération « L’Aube du Jurd » visant à déloger l’État islamique (EI) du nord-est du pays, le chef de l’État libanais a salué ce mercredi la « victoire du Liban contre le terrorisme ». Tous les territoires sont retournés dans le « giron de l’État », a déclaré le commandement en chef de l’armée, Joseph Aoun.
Lundi déjà, l’armée libanaise avait convié les médias à une tournée dans les territoires libérés. Rendez-vous avait été donné à Ras Baalbeck, un des villages bordant le no man’s land où s’étaient retranchés les membres de l’EI depuis leur incursion au Liban en 2014.
Dans la salle des opérations de la caserne militaire, le général Fadi Daoud, à la tête de la 6e brigade qui a mené l’offensive, avait détaillé sur une carte topographique la stratégie mise en œuvre pour chasser Daech.
À bord de pick-up de l’armée, les journalistes avaient ensuite été emmenés sur le théâtre de l’opération, un dédale de collines désert et caillouteux. L’occasion d’exhiber le matériel de combat – des chars M113 et des canons 155 mm –, d’apercevoir les véhicules calcinés de l’EI sur le bord de la route et de photographier les militaires tenant fièrement leurs positions, armes au poing, debout sur leurs blindés.
La tournée n’était pas sans rappeler celle organisée quelques semaines plutôt par le Hezbollah, un peu plus au sud.
Contre-offensive médiatique
« L’armée tente de rattraper son retard alors que toutes les factions libanaises pratiquent une forme de communication stratégique depuis des années », a indiqué à Middle East Eye Aram Nerguizian, chercheur au Center for Strategic and International Studies (CSIS) basé aux États-Unis. « Le Hezbollah en particulier a compris que les médias, notamment occidentaux, adorent les images puissantes ».
Habitué des opérations séduction à l’adresse de la presse, le parti chiite libanais – qui dispose, entre autres, de sa propre télévision, la chaîne Al Manar, et d’un musée mettant à l’honneur son arsenal militaire – avait en effet lui aussi convoqué les journalistes dans la moitié sud de la zone occupée par le groupe Fatah al-Cham (ancien Front al-Nosra), territoire d’où il était parvenu fin juillet à exfiltrer les combattants venus de Syrie à la suite d’un accord ayant débouché sur l’évacuation de 7 000 personnes, dont des miliciens et des réfugiés syriens.
Pour forcer l’admiration du public, le parti n’aurait d’ailleurs pas hésité à embellir la réalité.
Patricia Khoder, journaliste aguerrie ayant couvert de nombreux conflits dans le pays, a participé à la tournée organisée par le Hezbollah. « Le Hezbollah a dit qu’il y avait eu des combats mais je n’ai pas vu d’impacts d’obus. Ils nous ont dit avoir retrouvé du matériel explosif dans deux grottes mais rien n’a été montré à la presse. C’est suspect. À mon avis, il n’y a eu aucun affrontement réel avec les djihadistes. Ils ne connaissent pas le terrain et se sont perdus à deux reprises pendant la tournée ! », s’est étonnée auprès de MEE la reporter de L’Orient Le Jour.
Durant cette tournée, le « Parti de Dieu » avait également pris soin de répéter que ces manœuvres étaient coordonnées avec l’armée. Objectif : apporter une nouvelle couche de légitimité à son déploiement militaire le long de la frontière syrienne.
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Accusée d’immobilisme depuis 2014 face à la menace venue de la Syrie voisine, les militaires libanais entendaient justement mener seuls cette ultime bataille contre l’EI. L’armée l’avait fait savoir lors d’une rare conférence de presse organisée le 19 août, au premier jour de l’offensive, où elle avait annoncé que l’assaut d’Ersal aurait lieu sans le Hezbollah.
Difficile, derrière ce coup de menton au Hezbollah, de ne pas voir la main des États-Unis, lesquels équipent et forment l’essentiel de l’armée libanaise et considèrent le parti chiite comme une organisation terroriste.
Le Hezbollah n’avait pas tardé à répliquer à cet affront, en révélant cinq jours plus tard l’existence de canaux de négociations entre l’armée syrienne, le groupe État islamique et le Hezbollah. Le secrétaire général du parti, Hassan Nasrallah, avait même été jusqu’à appeler Beyrouth à faire « une demande de coopération officielle » à Damas, s’émouvant dans la foulée du « peu de couverture » consacrée à la bataille menée contre l’EI par ses propres combattants dans le Qalamoun syrien, de l’autre côté de la frontière.
Dimanche, après la reconquête par l’armée de 100 kilomètres sur les 120 occupés par l’EI, et alors qu’on proclamait déjà la victoire dans les villages environnants, un cessez-le-feu avait été décrété pour laisser la place aux négociations entre le Hezbollah et l’EI.
Ces pourparlers avaient permis le soir même de localiser huit corps des neuf militaires enlevés à l’été 2014 par Daech. En contrepartie, des membres du groupe ont été évacués à Deir ez-Zor, dans l’est de la Syrie. Des combattants du Hezbollah doivent également être libérés.
Outre la polémique suscitée par cet accord, pour les militaires, l’irruption du Hezbollah dans la phase finale de la bataille que la troupe entendait mener seule a laissé un goût amère. D’autant plus que le véritable face-à-face avec l’EI devait avoir lieu dans les 20 kilomètres restants, a expliqué Patricia Khoder. « L’offensive menée par l’armée à Ersal a uniquement consisté en des bombardements. Daech a pris la fuite. Si l’armé avait mené la bataille à la frontière, elle aurait gagné. Mais le Hezbollah n’avait pas intérêt à cela », a estimé la journaliste de L’Orient Le Jour.
Du côté de l’armée, on a donc tenté de sauver la face. Lundi, après six heures de déambulation dans la poussière, le convoi de médias a été conduit au pied de la colline de Halimat Kara, à 3 kilomètre de la frontière syrienne. C’est là que l’offensive avait été stoppée nette dimanche. Les canons des chars de l’armée étaient toujours pointés vers le dernier réduit à sécuriser. « Nous les avions encerclés, nous étions prêts à lancer l’assaut quand nous avons reçu l’ordre d’arrêter les combats. Nous sommes toujours prêts à attaquer », avait déclaré, entouré de ses hommes, un capitaine de la 6e brigade.
Jusqu’à alors surtout présente dans le sud du pays comme force de dissuasion face aux velléités guerrières israéliennes, la « Résistance » chiite soutenue par l’Iran s’est imposée depuis le début du conflit voisin comme le rempart contre la menace terroriste au Liban. Une posture d’autant plus aisée que l’armée libanaise, peu équipée, peine à asseoir son contrôle sur l’ensemble du territoire depuis la fin de la guerre civile en raison des logiques miliciennes, politiciennes et confessionnelles qui continuent de prévaloir au Liban.
La suspension de l’aide saoudienne au pays du Cèdre et à son armée à l’hiver 2016 n’avait fait que conforter davantage la rhétorique défendue par le Hezbollah, résumée à qui veut l’entendre dans le triptyque « armée, peuple, résistance ». La semaine dernière, le parti chiite s’est même aventuré à une nouvelle formule : « armée, peuple, résistance, armée syrienne », suscitant l’ire des opposants à l’axe syro-iranien.
Toutefois, comme le souligne Aram Nerguizian dans une interview à Syria Deeply, « l’avancée rapide et professionnelle de l’armée libanaise dans la campagne contre l’EI – sans l’aide de personne et certainement pas du Hezbollah – a brisé le récit qui existe dans l’esprit de tous les Libanais selon lequel le Hezbollah est le principal acteur dans la sécurité du pays ».
« Pour la première fois depuis l’indépendance du pays [en 1943], le Liban verra ses propres militaires déployés en force sur la quasi-totalité de sa frontière avec la Syrie », a relevé l’expert.
Un optimisme partagé semble-t-il par le général Fadi Daoud devant les journalistes embarqués dans la tournée médiatique de l’armée : « Au final, l’objectif principal de la mission a été réalisé. Nous avons récupéré les corps de nos soldats, nous avons libéré notre pays ».
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