Chasse aux combattants rebelles de l'EI dans le vaste désert irakien
Alors qu’un peu plus loin de nombreux observateurs célèbrent la défaite militaire du groupe État islamique, des rescapés de ce groupe apportent déjà la preuve de leur capacité à survivre dans des cachettes perdues au milieu du désert, voire à lancer des attaques meurtrières contre les forces irakiennes.
Un convoi militaire qui sillonnait les villages au sud-ouest de Kirkouk à la recherche de combattants de l’EI s’est fait piéger mardi soir par des éléments incontrôlés du groupe, aujourd’hui largement décimé. Quatre combattants de Hashd al-Chaabi ont été tués et deux autres blessés.
« Des rapports du renseignement ont révélé les détails de la présence de l’EI dans les zones rurales séparant Hawija et Bashir, et ordre a été donné à plusieurs brigades turkmènes de Hashd de se mobiliser », explique à MEE Jawdat Assaf, chef des médias des forces de Hashd al-Chaabi au nord de l’Irak.
« Des combattants de Daech se cachaient dans de hautes herbes le long de la route et ils ont vu le convoi s’approcher du village de Yaragun. Ils ont tendu une embuscade à nos forces, et surgissant des hautes herbes, ils ont ouvert le feu sur les véhicules », raconte-t-il en nommant l’EI par son nom arabe.
Le premier véhicule du convoi a encaissé le plus gros de l’assaut : quatre de ses occupants ont été tués et les deux autres blessés. Dans les combats qui ont suivi, les forces de Hashd ont tué cinq membres de l’EI, précise Assaf.
À peine quelques heures plus tard, une vidéo a été diffusée sur Facebook, montrant les corps de plusieurs combattants tués. Ils avaient été déshabillés (sauf de leurs sous-vêtements) et jetés comme du gibier sur le capot d’un Humvee pour les transporter à Bashir, ville natale des soldats tués, à environ sept kilomètres de Yaragun.
Plus de 100 résidents de Bashir ont été tués en combattant l’EI, dont 36 civils pris dans les combats, et le sentiment anti-EI ne fait que monter dans cette ville d’environ 4 000 habitants.
La chasse aux survivants de l’EI au nord de l’Irak est menée par des unités locales de Hashd qui connaissent bien le terrain. Mais il en va de même de leur ennemi.
« Ces combattants de Daech sont originaires des villages environnants. Après la prise d’Hawija, ils n’avaient plus aucun endroit où se cacher. Ils ont donc commencé à se déplacer entre le désert et leurs anciens villages en ruines abandonnés », nous explique le commandant Musulman Amerli, en criant pour couvrir le bruit d’un 4X4 circulant sur la piste sinueuse qui n’en finit pas de traverser le désert aride.
Au crépuscule, quelques heures avant l’embuscade, il était à la tête d’une patrouille de deux véhicules, près de Yaragun.
« Ils connaissent très bien la région et opèrent depuis des cachettes mais, soyons réalistes, ils ne font que repousser leur sort fatal inéluctable », souligne-t-il. « En fait, ils attendent le jour où ils se feront prendre ou tuer ».
« Ils ne font que repousser leur sort fatal inéluctable... Ils attendent le jour où ils se feront capturer ou tuer »
- Muslim Amerli, commandant
Cette embuscade était la deuxième attaque en trois jours. Deux nuits plus tôt, et à une quarantaine de kilomètres, la brigade Sayyed Shorhadat d’Amerli avait, dans une zone rurale de la province de Salah ad-Din, repéré vingt combattants équipés de deux motos.
Ces combattants avaient espéré qu’en se déplaçant la nuit, ils ne se feraient pas repérer, mais la brigade Hashd, qui dispose d’un équipement de vision nocturne, a ouvert le feu. Trois combattants de l’EI ont été blessés et emmenés dans un hôpital voisin sous garde armée, mais les autres ont réussi à s’évanouir dans le paysage aride d’où ils étaient sortis.
« Depuis la fin de l’opération à Hawija, les accrochages avec l’ennemi survenaient tous les sept ou huit jours mais, depuis une date récente, nous détectons des combattants de plus en plus fréquemment », relève le capitaine Hamid Mohammed, en parlant d’une position du Hashd en zone rurale.
« Daech se terre dans des caches secrètes près du fleuve et dans les vallées, mais ils sont bien obligés de sortir pour s’approvisionner en nourriture et autres fournitures essentielles ».
Alors que s’installe l’hiver irakien, rendant de plus en plus difficile pour les combattants la vie dehors, Mohammed précise que ses forces s’attendent à de nouveaux affrontements.
Aucun membre de l’EI se ferait désormais passer pour un civil. Il s’agit de sympathisants actifs de l’EI, qui restent armés et dangereux et ont toujours accès à des armes, des munitions et des IED.
Pendant plus de trois ans, Daech a enfoui sous terre, dans des endroits isolés, des stocks secrets de munitions pour mitrailleuses et armes lourdes, ainsi que d’autres armes et IED, et les combattants survivants s’en servent désormais.
Selon Assaf, des dizaines de ces caches de munitions ont déjà été découvertes par les forces irakiennes, mais la localisation de toutes ces cachettes dans le désert et les montagnes prend beaucoup de temps et de personnel.
Pour l’instant, les combattants posent encore ici et là des IED sur les routes du désert empruntées par les forces irakiennes – retour aux temps d’avant le califat, où étaient menées des attaques-surprises.
Dans le numéro de mi-octobre de son bulletin d’information, Al-Naba, EI a annoncé qu’à cause de ses pertes territoriales, son rôle et son pouvoir dans la région avaient été réduits à la taille d’une insurrection.
Cette récente série d’attaques de l’EI au nord de l’Irak, dont deux attentats suicide à la bombe le 5 novembre à Kirkouk, indique qu’effectivement c’est à cela que se limite l’action des partisans de l’EI basés en Irak.
La sécurisation des terrains désertiques, un défi permanent
On constate que c’est dans ces vastes zones périphériques autour de Kirkouk et d’Hawija, au nord de l’Irak, qu’il est le plus difficile d’éradiquer complètement les rescapés de l’EI et de repousser ceux qui restent.
« Cette zone a été libérée il y a deux ans, mais reste très difficile à surveiller », note Amerli, sur un avant-poste au sommet d’une colline où le sol est jonché de douilles vides et d’IED désamorcées qui appartenaient à l’EI. « Nous vivons ici depuis toujours, notez bien, et nous connaissons donc très bien le coin. Aucune autre force irakienne n’est capable de surveiller cette zone comme nous ».
Ce paysage ondulant et aride s’étend sur des kilomètres, et il n’existe que peu de bâtiments ou points élevés pour servir d’avant-postes aux militaires. Au crépuscule, un agriculteur solitaire fait paître un grand troupeau de moutons sur une colline aride.
On distingue, dispersés ça et là dans le désert, un déploiement de drapeaux chiites hissés sur de hauts mats, qui indiquent les positions militaires tenues par Hashd. Ils sont le plus souvent plantés sur le corps de fermes des petites exploitations, où errent encore des animaux.
« On voit bien que cette zone n’est pas techniquement sous un contrôle militaire total – parce que c’est tout simplement impossible – mais Daech s’aventure rarement ici parce que ses combattants savent que nous sillonnons constamment toute la région », affirme Amerli, en montrant de la main les vastes étendues du désert.
Aux yeux de ses hommes, Amerli a la réputation d’un commandant intrépide, qui a en 2014, dirigé une résistance remarquable à partir de sa ville natale éponyme, assiégée par l’EI pendant 89 jours. Amerli admet se déplacer souvent, seul, sur le terrain, et même la nuit, pour détecter toute activité de l’EI en scrutant l’horizon avec son équipement de vision nocturne.
Il balaie d’un haussement d’épaules toute inquiétude quant à un quelconque retour en force de l’EI, ou toute éventualité qu’il reprenne le contrôle du moindre territoire dans la région.
« Je ne crois pas qu’ils puissent revenir comme avant, mais je m’attends à une recrudescence d’attentats terroristes », fait-il remarquer. « Et ils peuvent bien sûr nous attaquer à tout moment. Mais nous sommes prêts en permanence. Nous les attendons ».
Traquer un par un les combattants de Daech
Depuis la libération d’Hawija début octobre, les forces irakiennes ne se contentent pas seulement de traquer les combattants de l’EI dans le désert. Ils vont aussi les débusquer dans les villages périphériques d’Hawija, où d’anciens membres de l’EI se sont rasés la barbe et se cachent parmi les civils.
Une source haut placée de Hashd al-Chaabi, s’exprimant sous couvert d’anonymat, explique à MEE que des forces placées sous contrôle d’un seul commandant militaire avaient localisé et arrêté 150 anciens combattants de l’EI dans les provinces de Salah ad-Din et d’Hawija. Le mois dernier, elles ont opéré à partir d’une liste fichant des membres confirmés de l’EI, qu’elles ont traqués systématiquement les uns après les autres.
Les peshmergas kurdes ont aidé des membres de l’EI à fuir Hawija, selon des responsables irakiens
Cette ville, dernier bastion de l’EI au nord de l’Irak, est entourée de centaines de kilomètres de terrains agricoles, désertiques et montagneux, vers lesquels les combattants se sont enfuis dans toutes les directions alors que s’approchaient les forces irakiennes. Les commandants militaires à la tête de l’offensive d’Hawija savaient que ces éléments rebelles continueraient à causer des problèmes après la libération.
« À lui seul, un commandant militaire en a arrêté 150. Or, de nombreux commandants de Hashd opèrent dans ces zones périphériques : je vous laisse donc imaginer combien d’autres ont été capturés ».
Ces hommes espéraient se fondre dans l’Irak de l’après-EI sans se faire détecter, en se faisant passer pour des civils ordinaires, ou en se cachant avec la complicité de leur famille. Selon cette source, il ne devrait pas être permis que ces anciens membres de l’EI – décrits comme des criminels dangereux représentant toujours une grave menace pour l’Irak – finissent leurs jours en liberté au sein d’un pays qu’ils se sont acharnés à détruire.
Traduction de l’anglais (original) par Dominique Macabies.
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