MBS, version édulcorée : comment les médias occidentaux étouffent la violence du prince héritier
La couverture trompeuse des mesures récentes prises par le gouvernement saoudien a été généralisée. Les commentaires sur la purge lancée par le prince héritier Mohammed ben Salmane et ses initiatives contre le Liban et l’Iran ont eu tendance à brouiller la répression intérieure, le sectarisme et le bellicisme de l’État saoudien, tout en obscurcissant le rôle des États-Unis et de ses alliés dans les mesures saoudiennes.
Un large pan de la couverture médiatique est caractérisé par la dissimulation de l’horreur infligée par l’Arabie saoudite, les États-Unis, le Royaume-Uni et leurs partenaires dans leur guerre au Yémen
Une grande partie de la couverture propage l’idée selon laquelle les mesures prises par le prince Mohammed ben Salmane sont des efforts nécessaires, bien que peut-être durs, pour faire évoluer l’Arabie saoudite. Souvent, ces éloges ne concernent pas seulement les initiatives qu’il a prises au cours des deux dernières semaines, mais aussi ce qu’il a fait à plus long terme.
La brutalité passée sous silence
Le titre d’un article rédigé par Patrick Wintour pour le Guardian décrit le prince héritier comme « un homme téméraire animé d’une ferveur réformatrice ». L’auteur inscrit ensuite la purge dans le cadre d’une « révolution culturelle et sociale » plus large et répète une seconde fois la notion de « révolution ».
Dans le New York Times, Thomas Friedman affirme : « J’ai interviewé Mohammed ben Salmane deux fois [...] J’ai trouvé authentique sa passion pour la réforme, significatif le soutien dont il bénéficie auprès des jeunes de son pays et convaincant son argumentaire en faveur d’un changement radical en Arabie saoudite [...] Et s’il n’existait pas, le système saoudien aurait dû l’inventer. Quelqu’un devait secouer le cocotier. »
Cet accueil favorable passe sous silence la conduite brutale du gouvernement saoudien depuis le coup d’État de palais mené par Mohammed ben Salmane en juin. En juillet, les autorités saoudiennes ont interdit l’accès à la ville chiite d’al-Awamia. L’État a intensifié sa répression contre les habitants d’al-Awamia, mécontents des plans du gouvernement visant à démolir le quartier d’al-Musawara. Selon un chercheur de Human Rights Watch, la violence gouvernementale était motivée par des « préjugés antichiites ».
Amnesty International rapporte que de juillet à octobre, l’État saoudien a tué 60 personnes, « multipli[ant] les exécutions, avec une moyenne de cinq mises à mort par semaine », selon Lynn Maalouf, directrice du travail de recherche pour Amnesty au Moyen-Orient.
L’organisation affirme que de nombreuses personnes condamnées à mort et exécutées en Arabie saoudite se voient refuser un procès équitable et sont souvent reconnues coupables uniquement sur la base d’« aveux » extorqués sous la torture. Comme le souligne Maalouf, « les autorités saoudiennes utilisent la peine de mort pour étouffer la dissidence et mater les minorités, ce qui témoigne de leur indifférence à l’égard de la vie humaine ». Mais ce n’est pas ce que la plupart des commentateurs occidentaux nous apprennent dans leurs publications.
Un État qui fomente l’effusion de sang et la misère
La couverture des récentes machinations saoudiennes est également caractérisée par une incapacité généralisée à critiquer ce sectarisme ou les mesures internationales agressives prises par le royaume, bien que Friedman y touche. L’éminent néoconservateur Dov Zakheim amplifie même le sectarisme saoudien dans Foreign Policy, lorsqu’il prétend que « l’influence iranienne [...] se manifeste désormais véritablement sous la forme du croissant chiite ». Plus tard, il déplore le prétendu « soutien [de l’Iran] à l’instabilité dans toute la région ».
Robert Fulford se fait également le porte-voix de points de discussion sectaires lorsqu’il affirme :
« L’Iran a eu la liberté de s’établir à travers ses liens terroristes en tant que puissance dirigeante dans la région. Le Hezbollah, la faction terroriste islamiste chiite soutenue par l’Iran, est si bien placé au Liban qu’il dispose de représentants au parlement national et de suffisamment de sièges au sein du gouvernement pour opposer son veto à toute législation. Les Saoudiens ont en grande partie ignoré les progrès de l’Iran, mais il semblerait aujourd’hui qu’ils aient reconnu cette menace et décidé de s’y opposer. »
Ainsi, Fulford, qui passe une grande partie de son article à s’époumoner au sujet de la démocratie mais montre son mépris pour cette dernière en se plaignant des Libanais qui ont voté pour le Hezbollah, approuve la dangereuse escalade de l’hostilité du gouvernement saoudien à l’égard de l’Iran et du Liban.
Ni Zakheim, ni Fulford ne présentent de preuves pour étayer leurs accusations contre le Hezbollah ou l’Iran, ni ne décrivent le rôle important joué par l’État saoudien dans l’effusion de sang et la misère qu’il a fomentés au-delà de ses frontières.
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En effet, un large pan de la couverture médiatique est caractérisé par la dissimulation de l’horreur infligée par l’Arabie saoudite, les États-Unis, le Royaume-Uni et leurs partenaires dans leur guerre au Yémen.
Le pays fait face à ce que l’ONU considère comme « l’épidémie de choléra la plus virulente jamais enregistrée », avec 895 000 cas, un désastre dans lequel les États-Unis et le Royaume-Uni ont joué « un rôle crucial », selon un groupe de chercheurs médicaux. Sept millions de personnes au Yémen, soit environ un quart de la population, sont au bord de la famine, tandis que 17 millions d’habitants au total souffrent d’insécurité alimentaire.
En janvier, le bilan parmi les civils était de 10 000 morts et 40 000 blessés. Elliot Abrams ne mentionne même pas la guerre au Yémen dans son analyse consacrée à l’Arabie saoudite pour le Times.
Alors que les rédacteurs du Times critiquent la purge du prince Mohammed ben Salmane et formulent des mises en garde face à l’escalade américano-saoudienne contre l’Iran, le journal mentionne simplement la guerre au Yémen sans critiquer la conduite de l’Arabie saoudite et de ses alliés.
La guerre américano-britannique contre le Yémen
Dans le magazine Newsweek, Miriam Eps décrit une politique saoudienne au Yémen « controversée et percutante ». À cause de la guerre, 18,8 millions de Yéménites ont actuellement besoin d’aide humanitaire : « percutante » est le bon mot. Plus tard dans son article, Eps juge « coûteux » le rôle de l’Arabie saoudite dans la guerre au Yémen ; néanmoins, elle évoque là les coûts pour l’Arabie saoudite plutôt que les coûts engendrés par les deux millions de personnes déplacées au Yémen ou par les 188 327 personnes qui ont fui vers les pays voisins.
De même, Fulford affirme que le Yémen « s’est transformé en [un] État défaillant », comme si cela avait été produit par un mystère indéchiffrable.
Bien que Wintour qualifie de « brutale » la guerre saoudienne au Yémen, il omet de mentionner que cette guerre est également américaine et britannique, tout comme l’éditorial du Times, qui la décrit comme une guerre par procuration entre l’Iran et l’Arabie saoudite.
Aucune analyse des agissements saoudiens n’est complète si elle ne rend pas compte de la manière dont ceux-ci se déroulent dans le contexte de la « relation spéciale » entretenue par le pays avec Washington
Pourtant, durant la première moitié de 2017, la Grande-Bretagne a vendu 1,1 milliard de livres d’équipement militaire à l’État saoudien. Les États-Unis ont vendu 1,3 milliard de dollars d’armes au gouvernement saoudien en 2015 dans le but exprès de le réapprovisionner en munitions au Yémen ; ils ont également vendu 58 milliards de dollars d’armement aux Saoudiens entre 2009 et 2015.
Depuis les premières phases de la campagne de bombardement saoudienne au Yémen, les États-Unis échangent des renseignements avec les Saoudiens. Tout au long de la guerre, les États-Unis ont ravitaillé les avions saoudiens servant à bombarder le Yémen, doublant ses approvisionnements dans les mois qui ont suivi une frappe saoudienne qui a fait 140 morts au cours de funérailles. En outre, des militaires américains et britanniques se trouvent dans la salle de commandement des frappes saoudiennes au Yémen.
En outre, le gouvernement saoudien a travaillé avec les États-Unis pour alimenter la guerre en Syrie et orchestré un blocus contre le Qatar ; il semble également avoir contraint le Premier ministre libanais à démissionner. L’Arabie saoudite a ensuite rappelé ses citoyens vivant au Liban et a affirmé que le Liban lui avait déclaré la guerre, deux événements qui peuvent être considérés comme une menace à peine voilée : l’Arabie saoudite envisage une attaque militaire contre le Liban.
Aucune analyse des agissements saoudiens n’est complète si elle ne rend pas compte de la manière dont ceux-ci se déroulent dans le contexte de la « relation spéciale » entretenue par le pays avec Washington ; pourtant, parmi les articles que j’ai évoqués, seul Zakheim aborde le sujet en détail.
Les États-Unis sont le parti le plus puissant de ce partenariat, fondé sur les pétrodollars et les ventes d’armes.
Une alliance forgée entre les États-Unis, l’Arabie saoudite et Israël – trois pays déçus de voir que le gouvernement syrien et ses partenaires semblent avoir vaincu leurs intermédiaires dans la guerre qui sévit dans ce pays – vise à affaiblir voire à détruire complètement le Hezbollah et l’Iran. Les trois pays cherchent également à normaliser la dépossession et l’oppression des Palestiniens orchestrée par Israël, de sorte que la puissance saoudienne et israélienne soit incontestée dans la région, sous l’égide de l’empire américain.
Si les gens vivant en Grande-Bretagne, au Canada et aux États-Unis comprennent que leurs classes dirigeantes s’associent à l’Arabie saoudite pour perpétrer une violence et une oppression extrêmes, il est possible d’arrêter ces États. Mais leurs médias ont érigé une barrière pour empêcher cela.
- Greg Shupak est un auteur militant qui enseigne l’étude des médias à l’Université de Guelph, au Canada.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des Saoudiens discutent devant une affiche du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane lors du « MiSK Global Forum » organisé sous le slogan « Meeting the Challenge of Change » (« Relever le défi du changement »), à Riyad (Arabie saoudite), le 15 novembre 2017 (Fayez Nureldine/AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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