Comment mettre fin aux sièges en Syrie
Des photos déchirantes nous parviennent de la guerre en Syrie avec une telle régularité qu’on serait presque pardonné de s’être endurci devant de telles horreurs. C’est ainsi que s’installe l’indifférence mondiale, et cela peut s’expliquer.
Cependant, une série de photos, largement diffusée le mois dernier, remet en question une telle dureté émotionnelle collective. Elles témoignent de la vie de Sahar Dofdaa, une fillette terriblement émaciée, née à Ghouta-Est, ville assiégée depuis 2012 par les forces loyales au président syrien, Bachar al-Assad.
Le siège comme outil
Ces sièges sont une caractéristique particulièrement importante de la guerre civile en Syrie. Ils ont notoirement servi d’instrument politique au gouvernement syrien – et il n’est pas le seul : des groupes armés d’opposition, Kurdes syriens et factions islamistes, dont Daech ont également eu plusieurs fois recours au siège.
Le dernier rapport rendu par Siege Watch, organisation qui suit l’évolution des sièges en Syrie, estime que plus d’un million de Syriens vivent en état de siège et que 1,3 million d’autres figurent sur sa « liste de surveillance », qui répertorie les villes où les habitants vivent dans des conditions proches d’un siège ou risquent de s’y retrouver.
Siege Watch compte plus de 50 zones assiégées ou en danger. Les territoires assiégés ou figurant sur la « liste de surveillance » des organisations comprennent deux communautés à Idleb (assiégées par les insurgés de Jaish al-Fatah), trois à Homs (toutes assiégées par les forces gouvernementales syriennes), quatre à huit à Damas et dans les zones rurales environnantes (principalement assiégées par les forces gouvernementales et leurs alliés), Deir Ezzor (précédemment assiégée par l’EI) et Alep (assiégée par les forces armées syriennes jusqu’en 2016 et toujours en danger).
Sans parler des zones dépeuplées telles que la ville de Raqqa, précédemment victime d’un siège en règle par les Forces démocratiques syriennes (FDS) dirigées par les Kurdes dans le cadre de la campagne anti-EI.
Le gouvernement syrien et diverses factions rebelles ont négocié des accords de « réconciliation » pour permettre aux combattants de quitter les zones assiégées et lever les sièges. Ce processus s’est structuré plus formellement depuis 2016.
Bien qu’à première vue, ces accords visent à mettre fin aux sièges et aux souffrances des civils, des observateurs tels qu’Amnesty International ont soutenu qu’ils aboutissent souvent à des expulsions et à des transferts forcés de populations, et qu’ils s’inscrivent dans la stratégie globale de la guerre que mène le gouvernement.
Transfert forcé
La crise actuelle à Ghouta-Est a commencé il y a près de cinq ans. Dans la région, vivent 400 000 personnes, actuellement assiégée par les forces gouvernementales. Ce siège a retenu l’attention de la communauté internationale, car leur situation s’est détériorée : les civils sont affamés et beaucoup d’entre eux, menacés de malnutrition ou de mort.
Parce qu’elles suggèrent qu’il serait possible de négocier avec les assiégeants, ces mesures légitiment, et même récompensent, le recours aux tactiques de siège
Ce qui se passe dans l’est de Ghouta ressemble au siège destiné à affamer Madaya, petite ville de montagne coupée du reste du monde par les forces pro-gouvernementales pendant près de deux ans. Après la première année, certaines organisations humanitaires ont avancé qu’au moins 65 personnes y étaient mortes de faim. Les habitants de Madaya sont restés des mois sans recevoir de nourriture de l’extérieur.
Les souffrances des habitants de Madaya et ceux de Zabadani, ville proche, presqu’entièrement contrôlée par la rébellion, ont pris fin – non qu’ils aient été secourus, mais parce qu’ils ont été évacués : les rebelles ont en effet conclu avec le régime un accord autorisant à évacuer les villes.
Les transferts de population de ce type (on estime qu’à Madaya et Zabadani 2 100 personnes sont concernées, parmi eux les rebelles) n’apportent guère de solution. Pas plus que les livraisons d’aide, sporadiques et négociées au préalable.
Certes, on pourrait justifier chacune de ces initiatives – elles sont pratiques et rapides, et c’est toujours mieux que rien – mais elles ont toutes les deux des effets pervers. En suggérant qu’on peut négocier avec les assiégeants, ces mesures légitiment, et même récompensent, le recours aux tactiques de siège.
À titre d’exemple, l’accord qui a mis fin aux sièges de Madaya et Zabadani comportait un corollaire : relâcher l’étau des sièges imposés par des insurgés islamistes autour de Fouaa et Kefraya, villes de la province d’Idleb. Ces sièges n’ont toujours pas été levés. Tout cela suscite beaucoup d’amertume.
Brutalité systématique
Il n’est donc pas étonnant qu’un convoi humanitaire des Nations Unies ait été accueilli à Ghouta-Est par des habitants brandissant banderoles et pancartes en signe de protestation. Ils s’insurgeaient de ce que l’aide reçue serve d’alternative à la levée définitive du siège.
Aux yeux de l’opinion publique, ces sièges sont un condensé évident du fait que le conflit en Syrie a dégénéré en barbarie systématique, ce qui atteste de la stratégie de guerre délibérément brutale du gouvernement.
Bien qu’un grand nombre de combattants en Syrie ait recours au siège, c’est le gouvernement qui en installe le plus : il est responsable de tous les sièges du gouvernorat de Homs et de la majorité de ceux du gouvernorat de Damas.
Les sièges en Syrie représentent un défi pour la communauté internationale. Son attitude envers communautés assiégées et les assiégeants est d’une grande importance, comme lors de toute crise humanitaire urgente. Or, les sièges en Syrie méritent aussi une attention particulière, maintenant que la guerre est si avancée.
Un premier pas
Le territoire détenu par l’EI se réduit comme une peau de chagrin. La communauté internationale s’y intéresse, parfois au détriment du bilan des pertes civiles et des autres formes de la guerre civile.
Maintenant que s’achève la campagne contre le califat autoproclamé de l’EI et que se poursuit la lutte contre l’insurrection, le monde ne saurait oublier les souffrances des civils syriens. La façon dont les autres pays réagissent aux sièges en Syrie contribuera à définir comment est perçu leur rôle dans la guerre.
Il a longtemps été proposé – notamment au Royaume-Uni, par des parlementaires européens (dont Jo Cox, député assassiné l’année dernière) – que les forces britanniques organisent des largages d’aide humanitaire pour nourrir les Syriens assiégés et affamés.
Mettre fin aux sièges en Syrie sera une mission difficile, qui ne saurait être menée à bien uniquement par des largages d’aide humanitaire.
Il y faudrait de la détermination. Mais il importe que les nations du monde fassent un premier pas. Qu’elles montrent qu’elles ont enfin renoncé à la passivité et décidé de passer à l’action.
Mettre fin aux sièges en Syrie sera une mission difficile, qui ne saurait être menée à bien uniquement par des largages d’aide humanitaire
Cela nécessiterait une vision internationaliste et du courage politique, rares à l’heure actuelle. Or, c’est indispensable. Ces deux qualités compteront beaucoup pour faire face à la plus grande crise humanitaire de notre époque et à son défi moral le plus sérieux.
Les gens meurent de faim dans les villes syriennes assiégées, encore aujourd’hui. Il s’avère que les accords de « réconciliation » n’ont rien réconcilié du tout. Pourtant, ces sièges pourraient être levés, si seulement le monde extérieur décidait d’agir.
-James Snell est un journaliste britannique qui a écrit pour de nombreuses publications internationales, dont National Review, The American Spectator, New Humanist et Free Inquiry.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo. Saqba, le 6 novembre 2017 : des enfants de la famille d’Umm Saeed attendent de prendre un repas de maïs et de chou, dans la région assiégée de Ghouta-Est, près de Damas. Depuis 2013, cette ville subit un siège très sévère imposé par le gouvernement, et souffre de pénuries de nourriture et médicaments. (Abdulmonam Eassa/AFP)
Traduction de l’anglais (original) par Dominique Macabies.
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