Des élections en 2018 mettront-elles fin au conflit en Libye ?
Le 29 novembre, l’envoyé spécial des Nations unies en Libye, Ghassan Salamé, a déclaré que la mission de l’ONU s’employait à organiser des élections en Libye avant fin 2018.
Cette annonce a été faite peu de temps après deux rounds de négociations parrainées par l’ONU en Tunisie entre des délégués de la Chambre des représentants (HoR), basé à Tobrouk, et du Conseil supérieur d'État (HCS), basé à Tripoli, pour convenir d’amendements à l’accord politique libyen.
Les pourparlers ont toutefois abouti à une impasse et aucun accord n’a été conclu.
Sans la mise en place d’un mécanisme de sécurité fort et impartial ainsi que d’institutions juridiques pour superviser et protéger les résultats, les élections n’auraient aucun sens
« Tenir des élections » est une idée qui a fait fureur en Libye au cours des dernières semaines de 2017, mais sans indications claires : quelles sortes d’élections, parlementaires ou présidentielles ? Et quand exactement ?
Options possibles
La Chambre des représentants et le Conseil supérieur d’État, qui représentent le principal clivage politique en Libye ne sont pas parvenus à s’entendre sur la marche à suivre, et l’échec de ces deux entités politiques de transition semble avoir motivé la tentative de l’envoyé de l’ONU de déplacer les priorités vers d’autres options possibles.
Parmi ces options, le projet d’organiser une grande conférence de réconciliation nationale en 2018 et de passer directement aux urnes pour remplacer les organes politiques actuels.
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Lorsqu’il s’est adressé au Conseil de sécurité, le 15 novembre, Ghassan Salamé a réitéré la suggestion d’une conférence nationale, prévue pour février 2018, qui « donnera aux Libyens de tout le pays l’occasion de se réunir en un seul lieu, de renouveler leur récit national commun et de s’entendre sur les mesures concrètes nécessaires pour mettre fin à la transition ».
Toutefois, cela pourrait encore constituer un levier politique pour exercer des pressions sur la Chambre des représentants et le Conseil supérieur d’État, afin qu’elles acceptent les compromis nécessaires à toute avancée.
Une conférence de réconciliation nationale ne pourrait se tenir qu’après l’aboutissement de nombreuses et importantes réconciliations locales et régionales en Libye, soit plus tard dans l’année.
L’idée d’une élection ne suscite rien de plus que l’apathie générale des Libyens, qui croient pour la plupart que leur vie quotidienne n’en sera guère changée
L'appel de l’envoyé de l’ONU à de nouvelles élections ressemble davantage à un levier qu’à un plan bien construit, en raison de l’absence d’explications claires quant aux fondements de ces élections : auront-elles lieu après l’approbation d’une nouvelle Constitution permanente à laquelle les Libyens aspirent depuis si longtemps ?
Si tel est le cas, les élections ne pourront avoir lieu qu’une fois la nouvelle Constitution approuvée par une majorité des deux tiers du peuple libyen, dans le cadre d’un référendum direct. Ou alors cela équivaudra encore à une quatrième période transitoire en vue d’élire de nouvelles entités politiques temporaires, qui ne fera que remplacer les visages actuels par de nouveaux.
Sans s’attaquer aux causes profondes du conflit libyen et sans y remédier, cette décision ne fera que prolonger une transition déjà agitée, entachée de conflits et de guerres civiles.
Ce n’est que récemment que les Libyens ont connu un premier scrutin, après les quatre décennies du régime autoritaire de Mouammar Kadhafi, au cours desquelles les élections n’ont jamais été autorisées. En l’espace de deux ans (2012-2014), quatre élections ont été organisées, dont celle de deux parlements consécutifs, ainsi que l’élection des conseils municipaux locaux et d’un organe de rédaction de la Constitution, composé de 60 membres.
Le plus fort taux de participation électorale, qui a rassemblé près de trois millions de personnes, a été enregistré lors des premières élections, tenues après la révolution de 2011, afin d’élire un parlement en juillet 2012, au cours desquelles presque tous les électeurs éligibles se sont inscrits pour voter.
Tout le monde était enthousiasmé à la perspective d’exercer un droit qui leur avait été refusé pendant des décennies et de tous les changements positifs en perspective.
Questions clés sans réponse
Aujourd’hui cependant, la situation est totalement différente. Les gens sont épuisés par les conflits et la violence actuels, le manque de sécurité ainsi que les conditions socio-économiques désastreuses. L’idée d’une élection ne suscite rien de plus que l’apathie générale des Libyens, qui croient pour la plupart que leur vie quotidienne n’en sera guère changée.
Par ailleurs, la mise en place d’un environnement sûr pendant la tenue des élections représente également un défi majeur. Enlèvements et assassinats sont quasiment hebdomadaires, comme en témoigne le très récent assassinat du maire de Misrata, Mohamed Eshtawi, figure de premier plan qui prônait la paix, la réconciliation et l’accord politique.
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Par conséquent, l’appel des Nations unies à tenir des élections en Libye en 2018, sans s’attaquer aux causes sous-jacentes à la violence et l’instabilité, revient effectivement à mettre la charrue avant les bœufs.
L’ONU a laissé sans réponse certaines questions clés : qui sera chargé d’assurer la sécurité pour des élections libres et pacifiques ? Les groupes armés, qui détiennent le vrai pouvoir dans l’Est et l’Ouest du pays, respecteront-ils le libre arbitre et les choix du peuple, ou s’immisceront-ils dans le processus pour imposer leurs propres préférences ?
Les élections sont-elles un but en soi ou doivent-elles constituer l’étape finale après des phases plus cruciales de réconciliation et de recherche d’un consensus sur la base d’un contrat social de partage du pouvoir et des richesses ?
Sans la mise en place d’un mécanisme de sécurité fort et impartial et sans la création d’institutions juridiques pour superviser et protéger les résultats, les élections n’auraient pas de sens. Elles risqueraient même d’entraîner davantage de divisions et de violence.
Au cours du colloque Dialogues méditerranéens qui s’est tenu du 30 novembre au 2 décembre à Rome, Ghassan Salamé a donné un long entretien au cours duquel il a expliqué en détail son plan d’ensemble et la place qu’y tiendront des élections.
Il a déclaré que les élections libyennes ne se tiendront en 2018 que si toutes les conditions sont réunies. Il a clairement exprimé son souhait que les Libyens n’aient pas à subir une nouvelle transition, mais qu’ils passent à des institutions permanentes autour de trois priorités : une Constitution, la réconciliation nationale et des élections.
L’envoyé spécial a souligné que les élections en Libye devraient offrir une solution au problème et non devenir la source de nouveaux conflits ! Selon lui, quatre conditions doivent être réunies avant que des élections puissent avoir lieu : des conditions techniques, législatives, politiques et sécuritaires.
Une autre nouvelle transition
En réponse aux conditions techniques, Ghassan Salamé a annoncé le 6 décembre, lors d’une conférence de presse conjointe avec la Haute commission électorale nationale libyenne (HNEC) – le début de l’inscription des électeurs en Libye en vue de préparer les élections dès qu’elles auront été appelées.
Le registre électoral n’a pas été mis à jour en Libye depuis les dernières élections de 2014. On estime à 4,5 millions le nombre de personnes autorisées à voter aujourd’hui, mais depuis le dernier scrutin de 2014, moins d’1,5 million se sont inscrites.
La commission a pour objectif d’enregistrer au moins 2,5 millions d’électeurs, soit plus de la moitié des personnes éligibles. Mais il faudrait sans doute de nombreux mois avant d’atteindre cet objectif, ce qui rend hautement improbable la tenue d’élections dans les prochains mois.
L’ouverture de l’inscription électorale a en effet galvanisé le débat politique en Libye, avec un net changement de discours en faveur d’éventuelles élections susceptibles de mettre fin à la stagnation et de sortir de l’impasse politique que connaît la Libye.
Un changement de narratif
Les vastes discussions sur les réseaux sociaux sont passées des guerres et des conflits à des débats sur l’opportunité de tenir les élections avant ou après un référendum sur une nouvelle Constitution permanente.
Les factions rivales ont rallié leurs partisans pour qu’ils s’inscrivent au scrutin. Le maréchal Khalifa Haftar a récemment exhorté ses partisans à préparer les élections. Cela pourrait indiquer qu’il a peut-être abandonné sa stratégie militaire de prise du pouvoir par la force au profit d’une voie politique, à la faveur de laquelle il pourrait se présenter aux élections.
Ce virage de Haftar semble résulter de la pression internationale et des efforts de persuasion de certains pays comme l’Italie et l’Égypte, son principal bailleur de fonds – entre autres.
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Les loyalistes de Kadhafi prônent également l’inscription des électeurs. Plusieurs reportages semblent suggérer que le fils de Kadhafi, Saïf al-Islam, se présenterait aux élections présidentielles, en promettant d’assurer « sécurité et stabilité ».
Que ses partisans se rendent aux élections indique qu’ils trouvent inévitable et acceptent une nouvelle ère politique et un nouvel ordre en Libye, fondé sur un régime constitutionnel et des élections démocratiques.
Malgré l’euphorie autour les élections, Saïf al-Islam pourrait se voir interdit de candidature, car il a été inculpé par un tribunal en Libye et il est recherché pour crimes de guerre par la Cour pénale internationale (CPI).
Il ne fait aucun doute que le report du débat sur les élections en Libye est un pas positif sur la voie vers la fin d’un conflit profond et d’une transition difficile et instable. Dans les mois à venir, le scénario idéal, toutefois, serait que l’ONU oriente les Libyens vers un référendum sur une nouvelle Constitution permanente, peut-être avant la fin 2018, suivi d’élections présidentielles et législatives au cours du premier semestre de 2019.
Il faut pour cela disposer d’éléments clés qui sous-tendent la volonté politique des acteurs régionaux et internationaux, l’arrêt de toutes les guerres et violences, une sécurité et des conditions socio-économiques nettement améliorées et, enfin, un consensus entre toutes les factions libyennes, afin de réconcilier leurs divergences et converger vers la construction conjointe d’un pays qui possède tant d’atouts intrinsèques et forts en sa faveur.
- Guma el-Gamaty, universitaire et homme politique libyen, est à la tête du parti Taghyeer en Libye et membre du processus de dialogue politique libyen soutenu par l’ONU.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : En deux ans (2012-2014), pas moins de quatre élections ont été organisées en Libye (AA).
Traduit de l'anglais (original) par Dominique Macabies.
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