« Afrin est un cimetière pour Erdoğan » : les Kurdes de Syrie jurent de résister à la Turquie
Ce jeudi, des milliers de Kurdes ont protesté à Afrin contre le plan d’invasion couvé par la Turquie, tout en rejetant les déclarations turques selon lesquelles des civils fuyaient le canton syrien. « Afrin est un cimetière pour Erdoğan », pouvait-on lire sur une banderole au cours de la manifestation.
« Aujourd’hui, les habitants d’Afrin ont dit non à l’occupation turque et non aux attaques turques sur leur territoire, contre les civils », a soutenu Roj Moussa, un journaliste de 20 ans, à l’issue de la manifestation.
« Ce fut une manifestation énorme, malgré la pluie et le vent ; je n’avais jamais vu de protestations d’une telle ampleur auparavant », a-t-il ajouté.
« Aujourd’hui, les habitants d’Afrin ont dit non à l’occupation turque et non aux attaques turques »
– Roj Moussa, habitant d’Afrin et journaliste
Les protestations surviennent après plusieurs jours de mobilisation par la Turquie de blindés et d’artillerie à sa frontière, ainsi qu’après des menaces proférées par Ankara, qui entend anéantir la milice des YPG dans le canton, considérée par les autorités turques comme une organisation terroriste. Afrin a été la cible de frappes d’artillerie turques jeudi matin.
Le district d’Afrin abrite environ 500 000 civils, une population qui a doublé avec les réfugiés qui ont fui les combats sévissant dans les autres régions de Syrie.
La plupart du temps épargné par cette violence, le district est protégé par les YPG. La menace d’une invasion turque suscite la défiance de ses habitants.
Azad, un ingénieur en informatique qui a participé ce jeudi aux protestations contre les menaces turques, a déclaré que la manifestation était dirigée contre le bombardement récent de villages par l’armée turque.
« Un certain nombre de missiles ont visé le centre-ville d’Afrin, mais cela n’a pas occasionné beaucoup de dégâts », a-t-il expliqué.
« Le nombre de personnes qui partent est limité par rapport à ce que relaient les médias », a-t-il soutenu en référence aux médias turcs qui ont rapporté le départ d’habitants d’Afrin.
« Nous n’avons pas peur »
Selon Serbest, un homme de 37 ans qui travaille à l’université locale, les Kurdes d’Afrin ne fuiront pas de chez eux.
« Nous avons nos montagnes et nos grottes, nous défendrons les lieux et nous resterons. J’étais dans la rue il y a une demi-heure, la vie était ordinaire, les marchés étaient ouverts, les jeunes étaient dans les cafés », a-t-il poursuivi.
« Certains s’attendent à une attaque, d’autres non. Mais certains sont inquiets. »
Nariman Hesso, une journaliste pro-kurde de 25 ans, a déclaré à Middle East Eye que malgré les bombardements de jeudi, « des hommes, des femmes et des enfants [étaient] descendus dans la rue et [avaient] répondu à Erdoğan qu’ils n’avaient jamais peur ».
« Le moral des gens est très élevé et ils n’abandonneront jamais leurs terres. Nous nous dresserons jusqu’au bout contre les attaques turques, jusqu’à la dernière goutte de sang dans leur corps », a-t-elle soutenu.
« Les fils et les filles de tout le Rojava peuvent résister à l’invasion turque à Afrin »
– Roj Moussa, habitant d’Afrin
« La vie est normale à Afrin : malgré les menaces d’occupation turques, nous sommes là et nous sommes là pour rester », a ajouté Roj Moussa.
« Toutes les attaques du gouvernement turc au cours des quatre derniers jours ont rendu le peuple plus puissant. »
« Les fils et les filles d’Afrin ont pris part à la libération de Raqqa, Deir ez-Zor et Manbij. Arin Mirkan [une combattante d’Afrin décédée à Kobané en octobre 2014] était un symbole de la résistance de Kobané », a poursuivi Moussa.
« Les fils et les filles de tout le Rojava peuvent résister à l’invasion turque à Afrin », a-t-il ajouté.
Les regards kurdes tournés vers la Russie
Un sentiment de colère s’est également répandu à Afrin après que les États-Unis ont déclaré n’avoir aucun intérêt à Afrin. Mohammed Bilo, un autre journaliste du canton, a indiqué que tous les regards étaient tournés vers la Russie, qui dispose d’observateurs militaires dans la région.
« Afrin est sous l’influence de la Russie », a-t-il affirmé.
Abdulkarim Omer, chef des relations extérieures du canton de Jazira, dans le nord de la Syrie, a appelé la Russie et les États-Unis à faire pression sur la Turquie.
« Si la Turquie attaque Afrin, cela compliquera la crise en Syrie, a-t-il expliqué à Middle East Eye. Cela affectera le processus politique. Nous appelons la communauté internationale et la coalition dirigée par les États-Unis à faire pression sur le gouvernement turc. »
« La Russie tout comme les États-Unis doivent empêcher le gouvernement turc d’attaquer Afrin. »
« Toute attaque contre Afrin signifie le début de la fin des pourparlers de Sotchi [les pourparlers de paix soutenus par la Russie] et l’ensemble du processus de négociation reviendra à la case départ », a-t-il ajouté.
« Nous espérons que la communauté internationale ne restera pas immobile et condamnera de telles attaques, mais aussi qu’elle fera pression sur la Turquie pour la pousser à revoir sa politique en Syrie », a-t-il déclaré.
Les menaces turques suscitent des doutes
Omar Aloush, membre kurde de haut rang du conseil civil de Raqqa, qui contrôle la ville libérée, émet néanmoins des doutes quant au fait que la Russie ou les États-Unis autoriseraient une invasion turque.
« Les États-Unis essaient d’adopter une politique de double endiguement, d’assurer notre participation à la guerre contre le terrorisme et de veiller à ce que la Turquie ne soutienne pas la Russie », a-t-il ajouté.
« Dans le même temps, la Russie ne souhaite pas que la Turquie joue un plus grand rôle [en Syrie] », a-t-il ajouté.
Jeudi, le gouvernement syrien a averti qu’il était prêt à détruire les avions turcs entrant dans l’espace aérien syrien.
« C’est un message envoyé par la Russie pour éviter un accord avec la Turquie [sur Afrin] », a déclaré à MEE un responsable anonyme des YPG.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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