Élections irakiennes : un paysage politique très divisé
Les élections législatives en Irak, prévues en mai 2018, constitueront le premier référendum national depuis la défaite du groupe État islamique (EI) en 2017. Lors de cette élection, le sectarisme, dynamique endémique de la politique irakienne depuis la chute de Saddam Hussein, en 2003, restera un problème. Mais il y en aura un plus grave, qui retient rarement l’attention des médias et des milieux politiques : les divisions entre confessions.
Les observateurs de la période pré-électorale s’intéresseront invariablement aux rivalités entre chiites et sunnites au cours du processus, mais je suis convaincu que la dynamique la plus marquante demeure, au-delà des tensions entre les kurdes, les divisions au sein des élites politiques irakiennes chiites et sunnites.
Une politique intérieure conflictuelle
Alors que le sectarisme a contribué à la violence des conflits et à l’âpreté du discours politique irakien, les scissions au sein des élites politiques chiites et sunnites ont exacerbé les divisions internes de l’Irak, entravant la capacité du gouvernement à s’attaquer à des questions aussi pressantes que la corruption, la reconstruction et la réconciliation – indispensables à la pérennisation de la paix.
Depuis 2003, les élections en Irak se fondent sur un système de listes, où les électeurs s’expriment en faveur d’alliances électorales plutôt que directement pour des politiques
Ce problème – conjugué aux tensions entre partis arabes et kurdes, dans le contexte de l’échec du vote kurde sur l’indépendance – soulève deux questions pressantes : premièrement, comment les partis kurdes vont-ils tirer leur épingle du jeu, lors d’un processus électoral national, compte tenu de leur tentative ratée d’indépendance ?
Deuxièmement, comment les électeurs réagiront-ils au rôle controversé des milices chiites dans le processus électoral, techniquement interdites par la Constitution irakienne, puisque ce sont des groupes armés ?
Ces questions trouveront réponse dans les urnes, qui détermineront si ces partis parviendront ou non à un consensus pour s’attaquer aux problèmes humanitaires et économiques immédiats de l’Irak.
Des coalitions arabes sunnites aux abois
Alors que les élections se tiendront dans quelques mois, les partis arabes sunnites ont exigé un report des élections afin de laisser aux personnes déplacées à l’intérieur du pays le temps de rentrer chez elles pour voter.
Le plus grand bloc sunnite arabe, le parti Mouttahidoun, a souligné l’impossibilité de tenir des élections équitables tant que les réfugiés ne seront pas rentrés dans leur ville d’origine. On estime qu’à la fin de 2017, 2,6 millions de personnes étaient encore déplacées à l’intérieur du pays – la plupart d’entre elles des Arabes sunnites.
Ce report a été rejeté par la Cour suprême irakienne ainsi que par Haïder al-Abadi, le Premier ministre sortant irakien, au motif que les élections irakiennes avaient déjà été reportées une fois, en septembre 2017, en raison de la guerre contre l’EI.
La tenue de ces élections le jour prévu fait partie des nombreuses questions qu’Abadi devra aborder avant le scrutin, où se présenteront un très grand nombre de partis chiites rivaux.
Coalitions chiites
Depuis 2003, les élections irakiennes se fondent sur un système de listes, où les électeurs s’expriment en faveur d’alliances électorales plutôt que directement de politiques. Pour maximiser leur nombre de voix, les partis ont l’habitude de former des coalitions avant chaque élection. Lors des premières élections de 2005, presque tous les partis chiites se sont présentés sur une liste électorale unique, et les partis kurdes également.
Ce modèle s’est, depuis, effondré. Par exemple, les partis sunnites arabes n’ont pas réussi à se mettre d'accord sur une liste unique pour 2018, ce qui a encore plus divisé les électeurs sunnites arabes.
À l’approche des élections de 2018, les coalitions chiites rivales en Irak comprenaient celles d’Abadi, qui se présentera à sa réélection à la tête de la coalition « Victoire de l’Irak » (Nasr al-Iraq), dont le nom capitalise sur la victoire irakienne contre l’EI.
Ensuite, depuis sa démission en 2014, l’ancien Premier ministre Nouri al-Maliki cherche à faire son retour politique, à la tête de la coalition de l’« État de droit » (Dawlat al-Qanoun).
Enfin, les milices chiites ont envoyé des candidats dans le bloc de la « Conquête » (al-Fatih).
Même si les candidats ont démissionné de leurs postes de miliciens pour se présenter aux élections, ils maintiendront des liens informels avec leurs unités militaires, dont certaines sont liées à l’Iran.
Le paysage politique kurde fracturé, tout comme le paysage politique chiite, démontre que l’ethnicité kurde n’est pas en soi suffisante pour unir tous les Kurdes d’Irak, et il en est de même de l’identité sectaire entre chiites et Arabes d’Irak
Alors que ces candidats devaient initialement se présenter sous la bannière de la coalition d’Abadi, cette alliance s’est effondrée un jour seulement après sa formation. Les raisons de cet effondrement restent obscures : probablement en raison de désaccords survenus au cours de négociations à huis clos.
En théorie, les candidats de la milice auraient pu s’aligner sur Maliki, mais ils ont choisi de se présenter sans étiquette.
Il ne s’agit là que de trois groupes parmi une multitude d’autres factions politiques chiites bien établies, dont l’émergence depuis 2003 trahit les fortes divisions au sein de l’élite politique chiite irakienne.
Des coalitions kurdes rivales
Les urnes décideront également du sort des deux partis kurdes traditionnels. Le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) va-t-il souffrir de l’échec de Massoud Barzani, son dirigeant, qui n’est pas parvenu à promouvoir l’indépendance des Kurdes irakiens ?
L’Union patriotique du Kurdistan (UPK) souffrira-t-elle de ne pas avoir soutenu cette tentative sans réserve et d’avoir, tacitement, permis à la ville de Kirkouk, riche en pétrole, de revenir sous contrôle du gouvernement irakien ?
En réalité, ces partis risquent de souffrir de ces deux initiatives, mais ils pourraient surtout perdre des voix en raison des accusations de corruption et de leur incapacité à créer de nouveaux emplois – problèmes qui ont déclenché une vague de protestations au sein du Gouvernement régional du Kurdistan (GRK).
D’autres partis politiques kurdes, comme le parti d’opposition « Change » (Gorran), mettront à profit ce mécontentement, et se présenteront avec deux autres partis d’opposition du GRK, pour former une coalition appelée « Homeland » (Nishtiman).
Il sera intéressant de voir quel parti soutiendra les électeurs de la ville contestée de Kirkouk. D’abord, le PDK a indiqué qu’il ne présentera aucun candidat dans cette ville, justement parce qu’elle est contestée.
L’opposition kurde pourrait profiter de ce boycott pour accroître sa base électorale.
Quoi qu’il en soit, le paysage politique kurde, aussi fracturé que le paysage politique chiite, démontre que l’ethnicité kurde n’est pas en soi suffisante pour unir les Kurdes irakiens, et il en va de même de l’identité sectaire entre chiites et arabes en Irak.
Quelques indicateurs positifs
Malgré ce sombre pronostic sur le cycle électoral irakien de 2018, il y a quelques signes positifs.
Premièrement, il semble possible que les partis confessionnels en Irak se réinventent pour devenir des mouvements nationaux. Les sadristes, partisans du chef religieux chiite Moqtada al-Sadr, ont été impliqués dans des exécutions de représailles confessionnelles pendant le conflit entre 2006 et 2008.
En 2018, Sadr a annoncé une liste commune avec le Parti communiste irakien, exemple insolite d’islamistes s’alliant à un parti laïc établi.
Deuxièmement, les questions sur l’issue des élections en Irak rappellent que ce scrutin n’est pas joué d’avance, chose rare dans une région où ne se tiennent jamais d’élections, ou dont le leader à vie obtient 99,9 % des voix.
L’Irak est une démocratie imparfaite, mais en termes régionaux relatifs, elle offre des perspectives intéressantes à un nouveau gouvernement irakien, qui peut tirer parti de la défaite de l’EI pour s’attaquer aux problèmes sous-jacents qui ont conduit à sa montée en puissance.
- Ibrahim Al-Marashi est professeur agrégé d’histoire du Moyen-Orient à l’Université d’État de Californie à San Marcos. Parmi ses publications figurent « Iraq’s Armed Forces: An Analytical History » (2008), « The Modern History of Iraq » (2017), et « A Concise History of the Middle East » (à paraître).
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo. Bagdad, 8 septembre 2014 : le nouveau Premier ministre irakien d’alors, Haïder al-Abadi, se pose, avant de soumettre son gouvernement à l’approbation du Parlement (Reuters).
Traduit de l’anglais (original) par Dominique Macabies.
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