La Méditerranée, une région vulnérable fortement exposée aux dérèglements climatiques
Le monde globalisé où nous vivons est en proie à des crises successives multidimensionnelles, économiques, financières, énergétiques et écologiques… La crise climatique s’inscrit dans ce processus, et n’est pas de reste. Elle nous rappelle notre responsabilité à changer sans tardiveté notre modèle de développement. Les conclusions quasi unanimes des scientifiques sont sans appel et souligne encore une fois l’urgence d’une riposte.
Cette crise affecte le Nord et le Sud et plus particulièrement la région méditerranéenne, considérée comme l’une des plus belles régions du monde, mais aussi la plus exposée.
Plusieurs constatations s’imposent à ce stade lorsqu’on opère la radioscopie de la région méditerranéenne.
L’une des plus belles régions du monde
Une première constatation : la Méditerranée est l’une des plus belles régions du monde, dotée d’un climat unique et de paysages splendides. Elle est aujourd’hui en passe de devenir un hot spot à l’échelle de la planète. À l’évidence, le bassin méditerranéen est la région la plus vulnérable, la plus fragile mais également la plus exposée aux dérèglements climatiques, en cours dans le monde.
Les écosystèmes et les sociétés méditerranéennes sont sans contexte parmi les régions les plus exposées par ces dérèglements annoncés et en cours du climat
Certes, la Méditerranée ne représente que 1,5 % de la surface terrestre, mais elle concentre, de par son histoire géoclimatique et anthropologique tous les enjeux potentiellement dangereux des changements en cours dans le monde.
Et sa centralité risque d’avoir un effet boomerang sur l’ensemble de la région. Cette région qui a subi tout au long de son histoire des tensions, des guerres, des occupations et des déchirements multiples, continue d’être aujourd’hui l’objet de tourments et de guerres ethniques et religieuses et de complots multiples, qui exacerbent les rivalités géostratégiques entre les différentes puissances.
La Méditerranée se saigne de sa jeunesse et se vide de ses richesses
La seconde constatation : la Méditerranée du Sud perd une grande partie de son élan démographique. Elle se saigne de sa jeunesse, se vide de ses richesses patrimoniales et culturelles accumulées depuis des millénaires, et se prépare à faire face aux enjeux potentiellement destructeurs, de son écosystème et de sa société, générés par le dérèglement climatique en cours.
Déjà en but à de fortes variations intersaisonnières, la région méditerranéenne dispose de ressources naturelles fragiles et vulnérables, des ressources en eau inégalement réparties et difficilement renouvelables, menacées par une pression démographique croissante, une urbanisation et une littoralisation sans précédent.
La troisième constatation : le bassin méditerranéen est un concentré des problèmes générés par le changement climatique et l’enjeu de tous les dangers à venir, et de grandes incertitudes pèsent sur sa sécurité. Ces dangers menacent tout autant l’air, la biodiversité, l’eau, les sols, les forêts, les îles, les îlots, la santé, et d’une manière générale le cadre de vie et la qualité de la vie.
Une dégradation croissante de l’air
Le premier enjeu est sans aucun doute l’air, en tant que ressource naturelle la plus essentielle à l’homme.
La pollution de l’air, du fait du changement climatique, est l’une des plus fortes dans la région en raison des variations intersaisonnières, et atteint des niveaux supérieurs aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Cette situation qu’aggravent le croît démographique et l’urbanisation dans le bassin sud expose les populations à des maladies respiratoires nombreuses, sans parler des altérations des eaux, des sols et de l’atmosphère.
La biodiversité est un réservoir de vie menacée
La Méditerranée est l’un des écosystèmes les plus riches de notre planète, dont dépendent des dizaines de millions de personnes.
Le monde animal et végétal est fortement altéré par la pollution, ses ressources sont surexploitées, sans parler de la destruction de l’habitat qui accueille les espèces animales qui y vivent.
Les communautés de poissons migrent vers le nord et l’est, se déplacent vers les régions du sud, et se décalent vers les périphéries temporairement les plus protégées du bassin méditerranéen.
Des espèces invasives, importées d’autres régions, colonisent la Méditerranée, modifient l’équilibre biologique et appauvrissent la diversité méditerranéenne et la production des ressources vivantes.
L’évapotranspiration aggrave la crise de l’eau, réduit sa disponibilité et exacerbe le stress hydrique pour de nombreuses communautés et l’irrégularité des précipitations due aux changements climatiques perturbe le cycle de l’agriculture pluviale. La question de la sécurité alimentaire se pose, d’ores et déjà, dans de nombreuses régions.
Les sécheresses et les inondations érodent et appauvrissent les sols en détruisant l’humus générateur de fertilité… et aggrave la crise alimentaire.
L’agriculture méditerranéenne exposée à des bouleversements profonds
Les évènements hydrométéorologiques affectent de plus en plus l’agriculture et le cycle de l’eau. Le risque de sécheresse et l’élévation de la température affecteront la production agricole et bouleverseront les pratiques agricoles « exclusives » à la Méditerranée : olivier, vigne, fruits secs…, sans oublier l’aquaculture et les techniques d’élevage et de transhumance.
Les forêts méditerranéennes subissent aussi les contrecoups du changement climatique
Avec 250 espèces ligneuses et de nombreuses espèces animales et végétales rares, voire rarissimes, les forêts du bassin méditerranéen régressent, reculent et se dépeuplent face à l’ampleur des sécheresses récurrentes, des incendies, des actions de déboisement et l’avancée des villes, et d’une manière générale de l’urbanisation incontrôlée. La question de la résilience et de la résistance des écosystèmes si vitale à l’homme est posée.
Les îles, les îlots et les deltas menacés de submersion
Les îles et îlots, dont le nombre dépasse les 10 000, sont confrontés au réchauffement et à la montée de la mer.
Certains, en tant que réservoirs uniques de la biodiversité méditerranéenne, sont purement et simplement menacés de disparition avec leur population animale et végétale, leur habitat, selon les analyses des scientifiques et des experts.
Les effets du changement climatique sur la santé et le retour des maladies orphelines
Enfin, les effets du changement climatique impactent aussi la santé, en faisant notamment resurgir des maladies orphelines. Car le changement des paramètres climatiques et les dérèglements bioclimatiques du milieu auront un impact direct ou indirect avec le développement des agents pathologiques sur la santé.
Les maladies infectieuses et chroniques et certaines maladies dites orphelines risquent de se développer ou de réapparaître à mesure de la raréfaction des pluies et de la recrudescence des phénomènes extrêmes (vents de sable, sécheresse, inondations, …)
L’aléa climatique accentuera la concentration et la crise urbaine et impactera l’équilibre de la société méditerranéenne. À l’horizon 2030, 50 % du littoral méditerranéen sera construit et l’urbanisation s’aggravera avec l’afflux de plus en plus de 200 millions de touristes qui viennent s’ajouter au surcroît démographique naturel.
C’est dire combien le changement climatique sur les paysages, l’économie et d’une manière générale sur les sociétés méditerranéennes aggravera durablement les équilibres précaires démographiques, économiques, écologiques et culturelles de ce bassin.
Le devenir de la Mare nostrum est un défi à notre intelligence collective : time to act
La mer Méditerranée, fermée ou semi-fermée, berceau de civilisations millénaires, est un hot-spot névralgique à l’échelle du globe et un modèle vivant de l’influence anthropique sur le milieu.
De zone de contact et de rencontres, elle est en passe de basculer et de devenir une zone de tensions politiques, économiques, culturelles et ce, à plus ou moins brève échéance. Les conflits multiples et ethniques, religieux et géostratégiques qui minent son équilibre avec leurs lots d’exils, de violence et de tragédie… n’en sont que les signes avant-coureurs.
La préservation de cette région à la lisière de trois continents et l’adaptation de nos comportements aux effets avérés du changement climatique sont aujourd’hui un défi historique sans précédent pour notre gouvernance.
C’est un défi également pour la science, pour notre intelligence collective et sans verser dans la sinistrose ou le déclinisme, il y a urgence à agir, car il y a un temps pour la réflexion et un temps pour l’action.
Changer pour sauver la Méditerranée
Car par-delà la beauté de ses îles, de ses rivages et la douceur se son climat, la Méditerranée souffre et se vide de sa sève nourricière.
Il s’agit de ne pas sous-estimer la crise climatique et de changer sans délai nos postures consuméristes, de modifier nos recettes éculées, de réformer notre gouvernance rentière, de changer l’école et l’enseignement, d’anticiper une nouvelle vision fondatrice.
Il s’agit de changer sans délai nos postures consuméristes, de modifier nos recettes éculées, de réformer notre gouvernance rentière
En d’autres termes, il s’agit de construire un autre modèle de consommation et de développement respectueux de l’homme et de la nature afin de transformer en actes les promesses fortes faites à nos enfants tout au long des sommets sur le climat.
C’est là un véritable changement de paradigme qu’il faut engager collectivement et sans tardiveté.
En effet, c’est seulement de la convergence de l’action de l’ensemble de la communauté méditerranéenne du Sud mais également du Nord –savants, chercheurs, chefs d’entreprises, ingénieurs, industriels, paysans, gouvernants, élus, associations et citoyens – que nous sauverons la Mare nostrum et que nous redonnerons vie et éclat à la Méditerranée. Cette mer qui a tant inspiré les grands esprits tout au long de l’histoire, et enfanté les plus belles civilisations de l’humanité.
- Chérif Rahmani est ambassadeur des Nations unies pour les Déserts et les Terres arides, président de la Fondation des déserts du monde, ancien ministre algérien et ancien coordinateur du groupe africain aux négociations climatiques à Copenhague, Caucun et Durban.
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Photo : Un petit Syrien boit de l’eau dans un camp de réfugiés (AFP).
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