Football : le Maroc parie sur le retour des Ultras
RABAT –Avril 2016. C'est par une correspondance adressée aux clubs de football que le ministère marocain de l'Intérieur annonce l'interdiction des groupes d'Ultras, ces supporters qui encouragent de manière passionnelle leur équipe. À l’origine de cette décision : les violences qui ont marqué certains matchs, ainsi que le décès de deux supporters du Raja de Casablanca, le 19 mars 2016.
Deux ans plus tard, l'interdiction est levée. Si aucune explication officielle n'a, jusqu'à présent, été donnée, ce revirement intervient au moment où le Maroc promeut sa candidature pour l'organisation de la Coupe du monde 2026.
De l’avis de nombreux supporters, les Ultras compensent, par leur vitalité dans les stades, la faible qualité du spectacle footballistique et le désintérêt croissant du public. Dans ces conditions, la levée de l'interdiction viserait à réinsuffler un peu de vie dans les gradins. Surtout que le Maroc a choisi, comme principal argument de son spot promotionnel, de mettre en avant l'amour partagé des Marocains pour le foot, quasiment dépeint comme un vecteur d'unification des Marocains, tous âges et classes sociales confondus.
Selon le site d'information marocain Hespress, la levée de l'interdiction s'explique aussi par l'inquiétude des autorités, qui redoutent l'adhésion des groupes d'Ultras à des mouvements sociaux locaux.
Citant l'exemple du groupe Fatal Tigers, qui avait exprimé sa solidarité avec le hirak de Jerada, cette ville de l'est marocain qui connaît des manifestations massives depuis décembre 2017, Hespress fait état de la crainte du ministère de l'Intérieur de voir les Ultras marocains basculer dans l'action protestataire ou jouer un rôle similaire à ceux des Ultras égyptiens et tunisiens lors du printemps arabe. D'autant que les groupes d'Ultras disposent d'un grand pouvoir de mobilisation.
« Le supportérisme emprunte le répertoire d'une action collective, d'une construction d'identité et d'une vision du monde où on vit, et surtout un lieu où on formule des revendications légitimes et où on dénonce des faits sociaux et un ordre politique établi », explique à Middle East Eye le sociologue Abderrahim Bourkia. « Car dans les stades, les expressions de mécontentement sont anciennes, spontanées, et interviennent dans le domaine public. Cette levée de l'interdiction est une opportunité pour le mouvement ultra d'occuper le champ laissé par les associations et les partis politiques. »
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Le spécialiste, auteur d'un ouvrage sur la violence dans les stades, Des Ultras dans la ville : étude sociologique sur un aspect de la violence urbaine, cette décision peut également être interprétée « comme une volonté de soigner l'image dégradée des institutions auprès d'une bonne partie de la jeunesse, y compris chez les supporters ».
Le sociologue, qui se félicite de la levée de l'interdiction, estime que « l'interdiction et la répression ne sont pas la solution ». « Cela ne fait qu'entretenir un cercle vicieux de criminalisation du mouvement et de radicalisation des Ultras, et maintient davantage la tension entre les services sécuritaires, les symboles de la répression de l'État et les supporters ».
Pour lui, la violence appelle la violence et renforcer l'optique répressive n'est pas un remède, « le fait de s'acharner sur les ultras et mettre tous les supporters dans le même sac ne donnera pas les objectifs escomptés dans la lutte contre la violence qui s'invite dans les stades ».
C’est le 13 juin que la Fédération internationale de football (FIFA) désignera qui, du Maroc – qui postule pour la cinquième fois – ou du trio États-Unis-Mexique-Canada, organisera le Mondial 2026.
Fouzi Lekjaa, président de la Fédération royale marocaine de football (FRMF), a écrit à la FIFA pour dénoncer un changement tardif de certains critères d'éligibilité qui remettent en cause l'équité de l'attribution en défavorisant le Maroc. Parmi ces critères : l’obligation pour ces villes hôtes d’avoir une population minimum de 250 000 habitants, et des aéroports accueillant au minimum 60 millions de passagers par an. Des critères qui favorisent les mégalopoles américaines.
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